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PHÈDRE

serait incorporelle, et il est vraisemblable, bien que Platon n’ait pas « mythologisé » là-dessus, que les âmes dont le rôle est seulement d’essayer de suivre les dieux ne sont pas à cet égard différentes : c’est ce qu’exprime l’image des ailes, qui de la sorte ne serait pas aussi dépourvue qu’on l’a dit de signification doctrinale (cf. p. lxxxii n. 2). Toutes ces âmes sont dans le lieu naturel de l’âme. Celles qui n’y sont plus et qui sont tombées dans la génération s’en distinguent seulement en ce que leur corps n’est plus fait principalement de feu (cf. Timée 40 a), mais principalement de terre (Phèdre 246 c), ou, à parler par symbole, en ce que, si la vertu des ailes subsiste encore à l’état latent, elles en ont du moins perdu l’usage. Quand donc Platon définit la mort une « séparation » de l’âme et du corps (Phédon 64 c), cela se rapporterait seulement à ce corps sans gloire dont la substance principale a tant d’assiette et si peu de mobilité qu’il en résulte pour elle une grande pesanteur relative ; on peut même se demander si les damnés n’en doivent pas conserver quelque équivalent (cf. Phèdre 256 e sq. et Notice du Phédon p. lxii et lxxvii sq.). Enfin cette union nécessaire, dans laquelle l’âme a sur le corps la primauté de nature et d’action, aurait sa raison d’être dans la composition même de l’âme. Le Divisible selon le corps y représente la nécessité essentielle de s’unir à un corps, la possibilité d’une résistance et la réalité d’un point d’application pour ce mouvement dont l’âme est à elle-même le principe. Ainsi ce serait comme un intermédiaire entre les « intentions » de l’intellect, avec ce qu’elles contiennent d’énergie motrice, et, d’autre part, la masse sensible que meut l’âme. La vie du philosophe, disait le Phédon, doit être une mortification ; la prédication morale y était empreinte du mysticisme le plus exalté. Le ton change avec le Phèdre, car il demande à l’âme de recouvrer l’usage de ses ailes : il s’agirait donc alors pour elle, non point de mourir à tout corps, mais de se préparer à reprendre une autre sorte de corps, savoir celle qui originairement lui est propre. C’est ce que déjà le Banquet (212 a) et plus tard le Timée (90 bc) appellent s’immortaliser aussi pleinement que cela est possible à la nature humaine. Or cela se fait moins par l’ascétisme que par le savoir et par l’amour, solidaires l’un de l’autre.