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cxiv
PHÈDRE

c’est qu’il y a dans ce monde-ci un être privilégié qui y survit à une humanité très ancienne et par conséquent excellente ; qui est indifférent aux nécessités de l’existence, également supérieur du reste à l’abondance ou au besoin ; qui ne vit que pour l’harmonie de la pensée ; dont la mission est d’examiner les autres hommes et de surveiller leurs occupations ; qui après sa mort se trouve uni à ce à quoi, sa vie durant, il s’était efforcé de ressembler : c’est le philosophe. Or cette idée, il l’exprimait alors sans recourir à la fable : ce qu’il voulait signifier ainsi, c’est que le philosophe est un missionnaire du divin, un médiateur qui sur la terre n’est déjà plus de la terre et dont la mission s’achèvera auprès de ce divin dont il était ici-bas l’envoyé et l’interprète (cf. Banquet, Notice, p. cvi). Telle est l’idée que symbolise le personnage du philosophe, et voici qu’à son tour celui-ci est symbolisé par la Cigale. Il y a donc ici un double symbole : par quoi est-il suggéré et comment s’insère-t-il dans le développement organique de l’œuvre ? Un effort vers la vérité a été commencé ; avons-nous le droit, étant philosophes, d’y renoncer pour éviter de nous fatiguer, et préférerons-nous au souci du vrai celui de notre repos ? Ainsi s’introduit à sa place l’idée de la mission du philosophe, et l’introduction de cette idée signifie même (cf. p. xxxvi sq.) un moment important dans le progrès de l’entretien. Mais d’autre part les cigales dans le platane sont surexcitées par la chaleur, et la musique de leurs ailes bruissantes se fait plus soutenue ; cette impression sonore (déjà notée 230 c) adhère maintenant à l’idée et lui fournit le vêtement qui sera le plus capable de rendre cette idée sensible à l’esprit de Phèdre, une fois qu’auront été piquées ses curiosités de mythologue. Le mythe des Cigales n’est donc pas, semble-t-il, une simple fantaisie poétique : il est une étape dans la réalisation d’un plan et, en un conte historié, il traduit une idée philosophique. — L’invention est moins douteuse encore en ce qui concerne la fable de la découverte de l’écriture : l’observation de Phèdre sur l’aisance de Socrate à fabriquer des contes de ce genre et la réplique de celui-ci sont significatives (275 bc). Cette réplique précise le sens d’une indication donnée au début (229 e sq.) : le philosophe accueillera telles quelles, et naïvement, les fables de la mythologie, non comme une matière à recherches érudites,