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venuto, cavaliero ; so parlar zenoese et tusco, anch’io (Adieu, soyez le bienvenu, seigneur, et moi aussi, je sais parler génois et toscan). » Et moi, je répondis « La vostra signoria, sia la ben trovata, patron mio (Serviteur, enchanté de revoir votre seigneurie). » Je rencontrai en mon chemin, Luis Velez, honneur et joie du monde de la cour, et je l’embrassai en pleine rue, en plein midi. Je donnai mon cœur et mon âme, avec ma main, à Pedro de Morales ; et, l’ayant embrassé, je reçus avec joie Justiniano.

Au détour d’une rue, je sentis un bras autour de mon cou, je regardai et vis sur moi une personne dont la présence me causa plus d’embarras que de plaisir ; c’était précisément (je ne veux point le taire) un de ceux qui, entraînés par leurs tristes projets, étaient passés à l’ennemi. Deux autres vinrent rejoindre ce traître, riant à contre-cœur et me faisant mille saluts, tout en me parlant. Et moi, sournoisement, en vieux poëte d’expérience, je leur rendis avec usure leurs saluts, sans y mettre de mauvaise grâce, sans trahir le moindre mécontentement. Crois bien, ô lecteur aimé, crois bien que la dissimulation sert parfois à mettre les autres qualités en relief. Je m’en rapporte à toi, ô David ; quoique tu paraisses fou, au pouvoir d’Aquis, en feignant la folie, tu donnes la mesure de ta sagesse. Je les quittai enfin, en attendant le moment opportun et l’occasion propice d’infliger un châtiment à leur couardise ou à leur folie.