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reusement sa course miraculeuse. Sur les visages des illustres voyageurs éclatait une joie durable, à cause qu’elle n’avait rien de forcé. Comme il faisait très-chaud, les uns étaient tout nus ; les autres, faute de nobles haillons gothiques, avaient revêtu la souquenille du pèlerin. Cependant la galère fendait le domaine de Neptune, de même que la grue fend les airs de ses ailes déployées. Enfin nous arrivâmes à cette vaste étendue de mer qui forme le golfe de Narbonne, exposé à toutes les injures du vent. La superbe personne du grand Mercure était assise sur une pile de six rames de papier, le sceptre en main et couronne en tête. Tout à coup un nuage, qu’on aurait dit enceinte, accoucha de quatre poëtes au milieu des bancs des rameurs ; pour mieux dire, ils tombèrent comme la pluie.

Le premier était Juan Luis de Casanate, poëte renommé et considérable, auquel Apollon confie son honneur. Qu’Apollon lui-même parle de son génie, qu’il le loue et le récompense de son mérite ; pour moi, je n’oserai jamais m’acquitter d’une tâche trop au-dessus de mes forces. Caton d’Utique n’égale pas le second, le plus fidèle et le plus dévoué serviteur d’Apollon. En vain mon pauvre génie voudrait-il louer dignement la haute intelligence du trésorier Gaspar de Barrionuevo. Aussitôt qu’il fut sorti du nuage, le grand Francisco de Rioja remplit le vide immense du grand vaisseau. J’aperçus aussi aux pieds de Mercure, Christoval de Mesa, qui a tant