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rendus fous, la boisson les a rendus féroces ; ils te pousseront par leurs ensorcellements, toi, pauvre malheureux, contre leur glaive à la pointe de feu. Des hommes plus forts ont été ensorcelés, des héros plus grands ont été vaincus. »

Le joyeux Lemminkäinen dit, le beau Kaukomieli répondit : « J’ai déjà vécu, jadis, dans ces demeures de Pohjola ; le Lapon ne pourra m’ensorceler, Turjalainen[1] ne pourra me renverser. J’ensorcellerai moi-même le Lapon, je foulerai aux pieds Turjalainen ; par la puissance de mon chant, je lui briserai les épaules, je lui trouerai les joues, je déchirerai en deux morceaux le col de sa chemise, je mettrai en pièces la cuirasse de sa poitrine. »

La mère de Lemminkäinen dit : « Ah ! mon fils, mon pauvre fils, tu parles encore des jours passés, tu rappelles ton voyage d’autrefois ! Oui, tu as déjà fréquenté, jadis, ces demeures de Pohjola, tu as nagé à travers ses lacs fermés, tu as éprouvé toutes ses eaux étroites comme une langue de chien ; tu as longé bruyamment ses torrents orageux, ses chutes d’eau retentissantes ; tu as sondé les cataractes de Tuoni[2], tu as mesuré les abîmes de Manala[3], et tu y serais encore enseveli si ta pauvre mère n’était pas venue à ton secours.

« Souviens-toi, ô mon fils, de ce que je te dis : Quand tu arriveras dans l’habitation de Pohjola, tu y verras sur la colline[4] une foule de poteaux couronnés de têtes humaines ; un seul de ces poteaux est libre ; on te coupera la tête pour la suspendre à sa cime. »

Le joyeux Lemminkäinen répondit, le beau Kaukomieli dit : « Un sot pourrait s’en effrayer, un pauvre diable pourrait redouter une longue guerre, une guerre de cinq ans, de six ans, de sept ans ; mais un héros ne s’en

  1. Voir page 100, note 2.
  2. Voir page 88, note 3.
  3. Voir page 88, note 2.
  4. Voir page 65, note 2.