Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 3, 1864.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jour, il prescrit nourriture et breuvage largement ; une fois, il entasse les couvertures de tous côtés ; une autre fois, il veut que ce malade brûlant boive toute une fiole d’eau glacée ; et quand vous le voyez agir de la sorte, vous ne lui reprochez pas la diversité des traitements ; vous ne l’accusez pas d’une continuelle inconstance ; au contraire, vous louez l’habileté qui se sert en toute sécurité, des choses qui paraissent nuisibles, opposées à la santé, qui cependant la rétablissent. C’est même à cette marque que vous reconnaissez le médecin consommé dans son art. Si vous acceptez le médecin qui pratique ainsi des traitements contraires, à bien plus forte raison, il faut louer Paul, qui sait si bien s’accommoder à nos maladies. Car, autant que ceux dont le corps est malade, ceux que tourmentent les maladies de l’âme, ont besoin de la diversité bien entendue des traitements ; si vous les abordez sans ménagement, leur salut est tout à fait compromis. Et faut-il s’étonner que les hommes pratiquent ce que le Dieu Tout-Puissant met lui-même en usage, lui qui, pour nous guérir, ne nous prend pas toujours de la manière la plus expéditive et sans ménagement ? Il veut que nous soyons vertueux librement, et non par nécessité ; par violence ; il emploie une méthode, non parce qu’il n’a pas assez de puissance, loin de nous cette pensée, mais parce que nous sommes faibles. Il peut certes se contenter de faire un signe, ou plutôt se contenter de vouloir, et accomplir tout ce qu’il veut ; mais nous, une fois devenus maîtres de nous-mêmes, nous ne supportons pas le joug léger de son obéissance. Si donc il nous entraînait malgré nous, il nous enlèverait-ce qu’il nous a donné, je veux dire le choix de nos volontés, notre liberté. Pour qu’il n’en soit pas ainsi, Dieu a besoin de moyens d’action nombreux et différents. Ces réflexions ne sont pas superflues ici ; elles nous sont inspirées par l’ingénieuse sagesse du bienheureux Paul : quand vous le voyez qui se soustrait aux dangers, admirez-le, comme vous l’admirez quand il court affronter les périls ; courage d’un côté, sagesse de l’autre. Quand il tient un langage superbe, admirez-le comme vous l’admirez quand il se tempère ; humilité d’un côté, de l’autre grandeur d’âme. Quand il se glorifie, admirez-le ; quand il s’abaisse en parlant de lui, admirez-le encore ; d’un côté nul orgueil ; de l’autre affection et charité : il recherchait le salut d’un grand nombre, voilà la raison de sa conduite. Aussi disait-il : Soit que nous soyons emportés comme hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu ; soit que nous nous tempérions, c’est pour vous. (2Cor. 5,13) Car nul n’a jamais eu tant de raisons pressantes d’orgueil, nul n’a été aussi pur de toute pensée d’arrogance. Méditez ces paroles : La science enfle (1Cor. 8,1), nous répéterons tous ces paroles avec lui ; or il portait en lui une science telle qu’aucun homme certes n’en posséda jamais de pareille ; cependant cette science ne l’exaltait pas ; au contraire, il s’abaisse en y pensant : Ce que nous avons de science et de prophétie, nous ne l’avons qu’en partie (1Cor. 13,9) ; Et encore : Je ne crois pas, mes frères, avoir encore atteint où je tends (Phil. 3,13) ; et encore : Si quelqu’un se flatte de savoir quelque chose, il ne sait encore rien (1Cor. 8,2) ; le jeûne enfle aussi, et le Pharisien le montre, en disant : Je jeûne deux fois la semaine. (Lc. 18,12) Mais Paul qui faisait plus que jeûner, qui souffrait la faim, s’appelait un avorton. (1Cor. 15,8)
Et que parlé-je de ses jeûnes, et de sa science, quand il eut, avec Dieu, des entretiens plus nombreux, plus suivis, qu’aucun prophète, qu’aucun apôtre, et que ce fut pour lui une raison de plus pour s’humilier ? Ne me parlez pas des conversations sublimes que rapporte l’Écriture ; il en a caché le plus grand nombre ; il ne les a pas dites toutes, ne voulant pas ajouter à la grandeur de sa gloire ; il ne les a pas ensevelies toutes dans le silence, pour ne pas laisser un libre cours aux paroles des faux apôtres. Car Paul ne faisait rien sans raison, sans un motif toujours justifié par la sagesse ; et il déployait tant d’habileté, de prudence, au milieu des circonstances les plus contraires, que toujours il méritait les louanges, les mêmes louanges. Je m’explique. C’est une grande vertu que la modestie, en parlant de soi ; mais Paul, en se louant, parlait avec tant d’à-propos, qu’il mérite encore plus d’être honoré pour ce qu’il dit de lui-même, que pour son silence ; s’il n’avait pas fait entendre ce qu’il a dit, il serait plus coupable que ceux qui se glorifient sans raison ; s’il ne s’était pas glorifié, il aurait tout perdu et trahi ; il aurait exalté les ennemis de l’Évangile. Il savait si bien profiter partout de l’opportunité des circonstances, et, avec une pensée droite, faire exceptionnellement les choses ordinairement