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qu’Esculape, qui en a même été le dieu, seulement pour avoir jetté fort imparfaitement les fondemens d’une science qu’Hippocrate a presque édifiée en entier.

En effet il fut le premier qui découvrit le seul principe de l’économie animale, dont les phénomenes bien étudiés, bien observés, & les lois bien connues, puissent servir à diriger le medecin dans ses fonctions, & par conséquent le mettre dans le cas d’agir avec connoissance de cause. Le résultat des recherches d’Hippocrate, fut donc que ce principe général n’est autre chose que ce qu’il appelle la nature, c’est-à-dire la puissance qui se trouve dans tous les animaux, qui dirige tous les mouvemens des solides & des fluides nécessaires pour leur conservation ; il lui attribuoit des facultés comme ses servantes : c’est par ces facultés, selon lui, que tout est administré dans le corps des animaux. La maniere d’agir de la nature, ou son administration la plus sensible, par l’entremise des facultés, consiste, selon lui, d’un côté à attirer ce qui est bon ou ce qui convient à chaque partie, à le retenir, à le préparer ou le changer ; & de l’autre, à rejetter ce qui est superflu ou nuisible, après l’avoir séparé de ce qui est utile : c’est sur quoi roule presque toute la physiologie d’Hippocrate.

La nature, selon lui, est le vrai médecin qui guérit les maladies, comme elle est le vrai principe qui conserve la santé. La nature trouve elle-même les voies de la guérison, sans paroître les connoître, comme nous clignons les yeux & comme nous parlons, sans penser aux organes par le moyen desquels cela s’exécute : sans aucun précepte elle fait ce qu’elle doit faire. La nature peut suffire par-tout ; c’est elle qui constitue la medecine spontanée, le principe de la guérison des maladies, sans aucun secours de l’art ; c’est elle que le medecin doit consulter dans l’administration des remedes, pour ne faire que la seconder, que l’aider à opérer les changemens nécessaires, en écartant les obstacles qui s’y opposent, en favorisant les moyens de l’exécution. Sans elle, sans sa disposition à agir, tous les remedes ne peuvent être que nuisibles, ou tout au-moins inutiles. Voyez Economie animale, Nature (Econom. animale), Faculté, Santé, Effort (Physiol.), Maladies, Coction, Crise, Expectation, Remede

Persuadé du bon fondement de cette doctrine, Hippocrate s’appliqua principalement à examiner la marche de la nature dans le cours des maladies, comme il l’a prouvé par ses traités sur les maladies en général, lib. de morbis, & sur les affections, lib. de affectionibus : & il parvint non-seulement à connoître, d’après ce seul examen & sans être instruit d’ailleurs, les symptomes des maladies passées, présentes & futures, mais à les décrire de telle façon que les autres pussent les connoître comme lui : c’est ce qu’on voit sur-tout dans ses aphorismes, sect. vij. aphorismorum, & dans ses recueils de prognostics, de prédictions & d’observations sur les crises, lib. prognostic. prædict. prænotion. coac. lib. de judicationib. de dieb. judicator. Il acquit sur cela tant d’habileté, que depuis lui personne ne l’a égalé, & que l’on n’a fait que le copier dans la maniere de décrire, d’exposer les signes diagnostics & prognostics des maladies.

Les medecins ignorans & paresseux ont voulu faire regarder toutes ces observations, sur-tout par rapport aux prédictions, comme des connoissances de pure curiosité, qui ne présentent que des phénomenes particuliers aux malades d’Hippocrate, ou au moins au pays où il pratiquoit la Medecine, & par conséquent auxquels il est inutile de s’arrêter, n’ayant, disent-ils, jamais rien vu de semblable

dans les différentes maladies qu’ils ont eu occasion de traiter : mais ont-ils su bien voir, bien suivre ces maladies ? se sont-ils donné les soins, l’attention nécessaire pour cela ? Ce qu’il y a de certain à cet égard, c’est que les medecins éclairés, prudens, appliqués, laborieux, ont toujours regardé ce qu’Hippocrate a donné sur les prognostics, comme les remarques les plus judicieuses & les plus utiles qui ayent jamais pu être faites à l’avantage de la medecine ; & ils les ont trouvé vraies dans des exemples sans nombre en différens climats, tant la nature est constante & uniforme dans ses opérations, & Hippocrate exact dans ses observations.

Ce grand génie ne s’en est pas tenu à exceller à cet égard ; il a été encore l’inventeur de cette importante partie de la Medecine que l’on appelle diététique, qui concerne l’administration des alimens & leur abstinence dans les maladies. Trib. lib. VI. de diætâ, libr. de alimento, de hermidorum usu, de salubri dioetâ, de victu acutorum. Il établit dans ces ouvrages sur ce sujet, que le régime est de si grande conséquence, soit en santé, soit en maladie, que, sans ce moyen, on ne peut pas se conserver ni se rétablir ; ensorte qu’il en fit son remede principal dans sa pratique, & même souvent ce fut le seul qu’il employa, sur-tout lorsque le malade est d’un bon tempérament & que ses forces le soutiennent : c’est pourquoi il fut aussi attentif au choix du régime, qu’à l’examen de la disposition du malade. Dans ce qu’il nous a laissé sur cet article, particulierement à l’égard des maladies aiguës, lib. cit. on reconnoît le grand maître & le medecin consommé.

L’Anatomie commençoit à être cultivée de son tems pour la spéculation ; il s’y adonna comme à une connoissance qu’il jugeoit utile & même nécessaire dans l’exercice de la Medecine : c’est ce qu’il enseigne dans plusieurs traités qui sont relatifs à cette partie. Lib. VI. de corde, de ossium naturâ, de venis, de humoribus, de geniturâ, de principiis & carnibus, de glandulis, de naturâ humanâ. Il paroît même dans plusieurs endroits de quelques autres de ses œuvres de alimento, de insomniis, de flatibus, selon l’interprétation qu’en ont donnée plusieurs auteurs modernes, entr’autres Drelincourt, qu’il avoit entrevu la découverte fameuse de la circulation du sang, qui n’a été manifestée qu’un grand nombre de siecles après lui.

Il fut très-habile dans l’exercice de la Chirurgie, dont il paroît avoir fait toutes les opérations, excepté celle de la lithotomie, avec un jugement peu inférieur & peut-être égal à celui de nos célebres chirurgiens modernes : on peut juger des connoissances qu’il a eues & de ce qu’il a pratiqué à cet égard, par ceux de ses ouvrages qui y ont rapport. Lib. VI. de articulis, de fracturis, de fistulis, de vulneribus capitis, de Chirurgiæ officinâ.) D’ailleurs il donne des marques passim dans presque tous ses écrits, lorsque l’occasion s’en présente, de l’excellence de son savoir & de sa capacité en ce genre.

A l’égard de la matiere médicale, on ajouta beaucoup de son tems à celle qui étoit en usage parmi les Cnidiens, branche de la famille des Asclépiades. Le nombre des medicamens s’accrut extrêmement, afin qu’il pût répondre à la variété des cas : cependant il paroît certain qu’Hippocrate, à en juger par ses écrits, ne fit jamais usage que de peu de remedes & des plus simples : la plus grande quantité & la plus grande variété de ceux qu’il employa, fut dans les maladies des femmes, de virginum morbis, de morbis mulierum, de sterilibus, où chacun sait que les indications changent beaucoup, sont souvent multipliées & très-difficiles à suivre. Nous ne voyons point que ce grand homme fasse mention d’aucun