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continuent dans tous les tems leurs travaux ordinaires ; la vie dure qu’elles menent, donne à leurs fibres plus de force, plus de ressort, & les garantit des accidens qu’éprouvent les femmes des villes : les danseuses publiques sont à-peu-près dans le même cas que celles qui sont habituées au travail. Ainsi les femmes enceintes doivent proportionner l’exercice qu’elles font, à la force de leur tempérament ; il est toûjours plus sûr de s’y livrer moins qu’on ne pourroit le soûtenir, cependant sans passer d’une extrémité à l’autre, parce que le défaut nuit comme l’excès. Voyez Exercice, (Econom. anim.)

Mais lorsqu’il s’agit de s’exercer avec modération pendant la grossesse, ce ne doit jamais être par des moyens qui puissent causer des secousses dans le corps ; on ne doit par conséquent se servir qu’avec beaucoup de prudence, de voitures roulantes, & ne pas s’exposer aux accidens de l’équitation, sur-tout aux approches de l’accouchement ; le repos est alors plus nécessaire que dans aucun autre tems. C’est un préjugé pernicieux de croire que les mouvemens du corps aident alors à détacher l’enfant & à favoriser son exclusion ; il en est comme d’un fruit que l’on abat à coups de gaule avant sa maturité : cet abus est une des causes les plus communes des mauvais accouchemens, des pertes qui les précedent, des situations desavantageuses dans lesquelles se présente l’enfant pour sortir de la matrice. Voyez Accouchement, Fausse-Couche.

Des différens états de santé dans lesquels peut se trouver la femme. Il en est peu où le sommeil paroisse lui convenir autant que pendant la grossesse ; l’embryon ou le fœtus qu’elle porte est dans un repos presque continuel. Voyez Fœtus. Puisque le repos du fœtus est un des moyens que la nature se choisit pour travailler à sa formation, attendu la délicatesse de ses organes, qui ne pourroient pas être mis en mouvement dans les premiers tems sans danger de solution de continuité, les meres doivent donc être attentives à tout ce qui peut troubler ce repos, sur-tout dans les premiers tems de la grossesse : ainsi elles doivent dormir dans cet état plus qu’elles ne font ordinairement ; mais en général le sommeil doit être proportionné à leurs forces & à l’exercice qu’elles font. Les femmes délicates dissipent moins que les autres, elles ont les fibres plus foibles, le sommeil les relâche, les affoiblit encore plus ; elles doivent donc aussi s’y livrer avec modération : celles qui sont robustes & qui font beaucoup d’exercice, ou qui sont accoûtumées à des travaux pénibles, ont besoin de plus de repos, & le sommeil leur convient mieux. La vie oisive équivaut presque au sommeil ; la vie exercée est l’état le plus marqué de la veille, & celui qui paroît être le plus éloigné du sommeil. Plus on s’exerce, plus on a besoin de repos, c’est ce qui doit servir aux femmes grosses pour se régler sur le plus ou moins d’avantage qu’elles peuvent retirer du sommeil, entant qu’il peut contribuer au parfait développement & à l’accroissement du fœtus.

Quant aux évacuations naturelles, il est ordinaire dans l’état de santé, que les femmes grosses ne soient point sujettes aux flux menstruel, le plus souvent il est nuisible qu’elles le soient ; ainsi elles doivent éviter tout ce qui peut les échauffer, foüetter le sang, & faire reparoître cette évacuation qui est alors contre-nature ; les exercices violens, les passions vives produisent souvent cet effet, & sont par-là également préjudiciables à la mere & à l’enfant : quand au contraire la suppression naturelle des menstrues cause quelque atteinte à la santé des femmes grosses, elles peuvent y remédier par de plus grands exercices, par la diminution des alimens & le choix de ceux qui sont plus liquides, & par la saignée ; le volume & le poids de la matrice, en resserrant le

boyau rectum sur lequel elle porte principalement, y retient les matieres fécales, en retarde l’excrétion ; ce qui donne lieu à ce qu’elles s’y dessechent par leur séjour dans un lieu chaud, & occasionne le plus souvent la constipation. On peut remédier à cet inconvénient (qui peut même être cause de quelque fausse-couche par les efforts qu’il fait faire dans la déjection), en usant de quelques legers laxatifs huileux ou de quelques minoratifs, & sur-tout en employant les remedes ou lavemens, avec la précaution de ne rien faire qui puisse rendre le ventre trop libre, parce que ce vice oppose à celui qu’il s’agit de combattre, dispose souvent à l’avortement, selon que l’a remarqué Hippocrate, qui dit, anhor. xxxjv. lib. V. que si une femme enceinte a un cours de ventre considérable, elle est en grand danger de se blesser.

Tout annonce que la femme est plus délicate que l’homme, par conséquent plus sensible ; c’est pourquoi elle est plus susceptible des plus fortes passions, mais elle les retient moins long-tems que l’homme. De tous les différens états de la vie dans lesquels peut se trouver la femme, il n’en est point dans lequel sa grande sensibilité soit plus marquée, & les passions qui en peuvent résulter lui soient plus nuisibles que dans celui de la grossesse : cette différence ne peut être attribuée qu’au changement qui se fait dans l’équilibre de l’économie animale par rapport à la femme grosse, par l’effet de la suppression des menstrues, qui rend le système des vaisseaux en général plus tendu, qui augmente l’érétisme du genre nerveux ; ce qu’on observe également dans cette même suppression, lorsqu’elle est morbifique. Voyez Equilibre (Econom. amm.), Orgasme, Menstrues, (Physique). En général toutes les passions agissent en tendant ou détendant les organes du sentiment, en contractant ou relâchant les fibres motrices ; de quelque maniere qu’elles produisent leurs effets, elles ne peuvent que troubler l’action des solides & le cours des humeurs : ainsi les passions de l’ame ne peuvent manquer de produire de plus grands, desordres dans les femmes grosses, à proportion qu’elles y ont plus de disposition. Ainsi soit que les passions accélerent l’exercice de toutes leurs fonctions, ou qu’elles le retardent, il ne peut que s’en suivre des lesions qui doivent se communiquer au fœtus ou par les compressions, par les resserremens spasmodiques, convulsifs, auxquels il est exposé de la part de la matrice & des parties ambiantes, ou par les étranglemens des vaisseaux utérins, qui lui transmettent la matiere de sa nourriture, ou par le défaut d’impulsion dans le cours des humeurs de la mere, qui dispose celles qui sont portées au fœtus à perdre leur fluidité, & à contracter d’autres mauvaises qualités, &c. ensorte que les passions excessives ne peuvent qu’être très-pernicieuses au fœtus, lorsqu’elles le sont à celle qui le porte dans son sein ; d’autant plus qu’il est lui-même plus susceptible d’impression à-proportion que son organisation est plus foible, plus délicate ; mais il faut observer que les influences de l’ame de la mere sur le fœtus se réduisent toûjours à des impressions purement méchaniques, & qu’elles n’ont sur lui aucun pouvoir physique, tel que celui qu’on attribue communement à l’imagination. Voy. Imagination.

On peut juger de tout ce qui vient d’être dit des mauvais effets des passions dans les femmes grosses, par ceux qu’elles produisent dans les femmes pendant l’évacuation menstruelle : la terreur causée par le bruit subit du tonnerre, d’un coup de canon, arrête souvent tout-à-coup le flux utérin dans les unes, & l’excite dans les autres au point de causer une suppression ou une perte, & quelquefois même une fausse-couche. Les passions sont donc extrêmement à craindre pour les femmes grosses, sur-tout quand