L’Encyclopédie/1re édition/FOETUS
FŒTUS, s. m. (Physiologie.) Fœtus dans l’économie de la nature se dit de chaque individu formé dans sa matrice, voyez Matrice ; dans l’économie animale, de l’animal formé dans le ventre de sa mere, & par conséquent de l’enfant formé dans le sein de la femme : c’est de ce dernier que nous nous proposons de parler ici.
Quels sont les premiers principes de ce corps ? comment commence-t-il ? Est-il d’abord tout formé ? & ne fait-il que se développer ? C’est un point que toutes les recherches & les observations faites sur la génération tendent à éclaircir. Voyez Génération. Ainsi, sans nous arrêter aux différentes hypothèses que les dissertateurs plus ou moins appuyés de faits, ont imaginées pour expliquer les principes du développement des corps animés, remontons à la forme du corps humain la plus petite que les yeux les mieux habitués à observer ayent pû appercevoir. Voici ce que nous apprendront leurs observations.
Les Chirurgiens, les Accoucheurs, les Anatomistes, ont observé que trois ou quatre jours après la conception, il y a dans la matrice une bulle ovale, & que sept jours après la conception on peut distinguer à l’œil simple les premiers linéamens du fœtus. Ces linéamens néanmoins ne paroissent être qu’une masse d’une gelée presque transparente, qui a déjà quelque solidité, & dans laquelle on reconnoît la tête & le tronc. Quinze jours après on commence à bien distinguer la tête, & à reconnoître les traits les plus apparens du visage ; le nez n’est encore qu’un petit filet prééminent & perpendiculaire à une ligne qui indique la séparation des levres ; on voit deux points noirs à la place des yeux, deux petits trous à celle des oreilles ; aux deux côtés de la partie supérieure du tronc, de petites protubérances qui sont les premieres ébauches des bras & des jambes. Au bout de trois semaines, le corps du fœtus s’est un peu augmenté ; les bras & les jambes, les mains & les piés s’apperçoivent. L’accroissement des bras est plus prompt que celui des jambes, & les doigts des mains se séparent plûtôt que ceux des piés.
A un mois le fœtus a plus de longueur, la figure humaine est décidée, toutes les parties de la face sont déjà reconnoissables, le corps est dessiné, les hanches & le ventre sont élevés, les membres sont formés, les doigts des piés & des mains sont séparés les uns des autres, les visceres sont déjà marqués par des fibres pelotonnées. A six semaines le fœtus est plus long, la figure humaine commence à se perfectionner ; la tête est seulement, proportion gardée, plus grosse que les autres parties du corps. A deux mois il est plus long, & encore plus à trois, & il pese davantage. Quatre mois & demi après la conception, toutes les parties de son corps sont si fort augmentées, qu’on les distingue parfaitement les unes des autres ; les ongles même paroissent aux doigts des piés & des mains. Il va toûjours en augmentant de plus en plus jusqu’à neuf mois, sans qu’il soit possible de déterminer les dimensions de ses parties. Tout ce qu’il y a de certain, c’est que le fœtus croît de plus en plus en longueur, tant qu’il est dans le sein de sa mere, & qu’après la naissance il croît beaucoup plus dans les premieres années que dans les suivantes, jusqu’à l’âge de puberté.
Nous prenons le terme de neuf mois pour le terme ordinaire que l’enfant reste dans le sein de sa mere ; car différentes observations nous ont appris que des enfans nés à 6, 7, 8, 10, 11 & 13, ont vécu ; que d’autres ont resté 4 & 6 mois, y étant morts, sans s’y gâter, & même 23 mois, deux ans, trois ans, quatre ans, seize ans, vingt-six & quarante six ans, après avoir à la vérité souffert quelques altérations, mais sans que la santé de la mere ait paru dérangée. Voyez Scenckius, Bartholin, & les autres observateurs ; & même si nous en voulions croire Krantzius, Aventin, Wolff, il en est sorti un au bout de deux ans du ventre de la mere, tout parlant & en état de marcher. Quelle philosophie !
Nous regardons aussi la matrice comme le lieu dans lequel le fœtus se trouve plus ordinairement renfermé, dans quelqu’endroit de cette partie que puisse s’attacher son placenta, qu’on a en effet vû attaché dans différens endroits des parois intérieures de la matrice (voyez Accouchement) ; cependant quelques observateurs, & même des observateurs dignes de foi & capables d’observer, nous disent en avoir trouvé de développés dans les ovaires, dans le pavillon, dans les trompes, dans le bas-ventre, &c. Voyez les mémoires de l’académie royale des Sciences ; les œuvres anatomiques de feu M. Duverney medecin ; les miscell. natur. curios. &c.
Il est plus ordinaire de voir des femmes n’avoir qu’un enfant à la fois, qu’un plus grand nombre ; & lorsqu’elles en portent deux, trois, quatre & cinq, on les trouve très-rarement sous la même enveloppe, & leurs placentas, quoiqu’adhérans, sont presque toûjours distincts. Les observations sur le plus grand nombre d’enfans que les femmes ayent eu à la fois, méritent d’être discutées ; c’est ce qu’on verra à l’artic. Œconomie de la Nature, où on entrera dans quelque détail sur la fécondité des différens individus ; du reste est-il bien constant qu’une fois qu’un fœtus est développé dans la matrice, il puisse encore s’y en développer une autre par le même moyen ? c’est ce qui paroît confirmé par des observations qui seront examinées à l’article Superfétation. Mais quoiqu’on ait des exemples de fruit renfermé dans un autre fruit, d’œuf contenu dans un autre œuf ; que Bartholin nous apprenne que des rats ayent fait des petits qui en portoient d’autres, & qu’on ait vû en Espagne une jument faire une mule qui étoit grosse d’une autre mule : il paroîtra toûjours surprenant que des fœtus humains se soient trouvés fécondés des le sein de leur mere, & qu’ils soient accouchés d’enfans vivans peu de jours après leur naissance ; c’est cependant ce que paroissent confirmer Bartholin, Clauder, les miscell. natur. curios. le journal des savans, &c. Quoique ce cas soit des plus rares, pensera-t-on avec Bartholin, que la nature qui avoit en vûe de produire deux jumeaux, en a par certaines circonstances enfermé un dans l’autre, & qu’elle s’est conduite en ce cas comme quelques-uns la font agir dans la production d’enfans à deux têtes, à deux corps, à quatre bras, &c ? Voyez Monstre.
Pourquoi les enfans ressemblent-ils tantôt à leur pere, tantôt à leur mere ? Toutes les observations qu’on a eu occasion de faire dans l’économie de la nature, tant dans le regne végétal que dans le regne animal, font bien voir que cela a lieu, sans trop nous instruire du comment ni du pourquoi. C’est à-peu-près la même difficulté pour les différentes marques de naissance. Voyez Imagination & Génération.
Le fœtus situé dans la matrice y est donc comme le poisson au milieu des eaux, c’est-à-dire qu’on peut considérer tout son ensemble comme une espece d’œuf, rempli d’une liqueur dans laquelle le fœtus nage, & aux parois intérieures duquel il est arrêté d’un côté par une espece de cordon qui sort de son nombril, & qui est composé de vaisseaux qui se divisent & se subdivisent en un grand nombre de ramifications pour pénétrer ce côté des parois de l’œuf, passer à-travers, & s’aller implanter dans la matrice, de laquelle il tire par ce moyen sa nourriture.
Sept ou huit jours après la conception, si ce n’est plûtôt, le fœtus commence donc à être arrêté de cette façon à son cordon, s’augmente peu-à-peu, ne donne des signes de vie que plus d’un mois après la conception, plus ordinairement même à quatre mois ou quatre mois & demi, rarement plûtôt ni plus tard ; il s’accroît, placé qu’il est pour l’ordinaire (lorsqu’il est seul, que le placenta est attaché au fond de la matrice, & que d’autres causes d’équilibre ne changent pas cette situation), les piés en-bas, le derriere appuyé sur les talons, la tête inclinée sur les genoux, les mains sur la bouche, & il nage comme une espece de vaisseau dans l’eau contenue par les membranes qui l’environnent, sans que la mere en ressente d’incommodité ; mais une fois que la tête vient à grossir assez pour rompre cet équilibre, elle tombe en-bas, la face tournée vers l’os sacrum & le sommet vers l’orifice de la matrice, six, sept ou huit semaines, plus ou moins, avant l’accouchement. Voyez Accouchement.
La premiere des membranes qui paroît à l’extérieur de l’œuf, se nomme chorion ; & l’endroit de cette membrane qui soûtient le nombre presqu’infini des vaisseaux, dont les extrémités s’implantent dans la matrice, s’appelle placenta. Voyez Chorion & Placenta. En séparant le chorion, on découvre une autre membrane qu’on appelle amnios, qui, par conséquent, tapisse le chorion & le placenta, revêt le cordon ombilical, s’étend sur le corps du fœtus, ou au-moins se trouve continue à la membrane extérieure qui le couvre, & renferme immédiatement les eaux dans lesquelles le fœtus nage. Voyez Amnios.
Le cordon est composé de deux arteres & d’une veine qu’on nomme ombilicales, & d’un troisieme canal qu’on appelle ouraque, & qui, sans être creux dans l’homme, vient du fond de la vessie pour s’avancer jusqu’au nombril, où il semble se terminer ; tandis que creux dans les vaches, les brebis, les chevres, &c. il s’engage dans le cordon, coule entre les deux arteres en conservant encore la forme du canal, quitte le cordon pour s’étendre à droite & à gauche, & former de chaque côté un grand sac qui occupe toute une corne de la matrice à laquelle il est attaché par une petite appendice, & qui a la figure d’un gros boudin ; ainsi on ne peut pas douter qu’il ne soit le réservoir de l’urine du fœtus, & on le nomme en conséquence membrane allantoïde. Voyez Cordon, Ouraque & Allantoide.
Quant à l’eau que renferme l’amnios, & dans laquelle le fœtus nage, quelle en est la source ? s’y renouvelle-t-elle ? y a-t-il dans les membranes qui la contiennent des organes propres à la séparer ? distille-t-elle des vaisseaux exhalans, & est-elle reprise par des vaisseaux absorbans de toute la surface qu’elle touche ? sert-elle de nourriture au fœtus ? Ce sont de ces questions qui, après bien des discussions, n’ont pas encore acquis toute la clarté nécessaire pour n’y plus laisser aucun doute. Nous nous contenterons donc de dire que le fœtus se meut facilement de côté & d’autre, & que ce bain naturel le met à couvert des injures extérieures, en éludant la violence des coups que la femme grosse peut recevoir sur le ventre ; & il défend aussi, par la même raison, la matrice des secousses & des frotemens causés par les mouvemens du fœtus ; enfin ces eaux servent à faciliter la sortie de l’enfant dans le tems de l’accouchement, en rendant les passages plus souples.
Ainsi le fœtus croît dans sa prison jusqu’au tems où, semblable à une espece de fruit parvenu à sa maturité, les membranes qui l’environnent se rompent, les eaux coulent, & il enfile la route qui le conduit à la lumiere ; & s’il sortoit de la matrice sans que ces membranes se rompissent, il ne laisseroit pas de vivre en le plongeant dans l’eau, ou au-moins en faisant ensorte qu’il pût se conserver comme il étoit dans la matrice ; si bien que s’il étoit placé dans un milieu d’où les racines du placenta pussent tirer un suc propre à les nourrir, il vivroit dans cet état hors de la matrice, comme il y vivoit renfermé, sans respirer : mais il n’en est pas de même une fois qu’il a respiré ; car je ne crois pas que malgré la disposition de ses organes intérieurs, il pût s’y soûtenir long-tems. Voyez Respiration.
Il y a donc dans le fœtus quelque construction particuliere convenable à la vie qu’il mene dans le sein de sa mere. Il a un canal qui communique de la veine-porte à la veine-cave inférieure : on y trouve un trou de communication de l’oreillette droite du cœur à l’oreillette gauche, garni d’une soupape qui permet bien au sang de cette oreillette de passer dans la gauche, mais qui empêche, ou au-moins ne permet pas avec autant d’aisance, au sang de l’oreillette gauche de passer dans la droite ; ce trou est nommé trou ovale. On voit encore un canal qui communique de l’artere du poumon à l’aorte descendante, sous le nom de conduit artériel. Voyez Aorte, Cœur, &c.
Pour bien entendre les usages de ces parties, il faut remarquer, dit M. Duverney, que le sang de la veine-porte du fœtus coule fort lentement : premierement, parce qu’il n’est point battu ni comprimé par les mouvemens de la respiration ; deuxiemement, parce qu’il va d’un petit canal dans un grand ; troisiemement, parce qu’à chaque respiration de la mere, le placenta est comprimé de maniere que le mouvement des liqueurs qu’il contient en est augmenté, & par conséquent celui du sang de la veine ombilicale ; quatriemement, parce que ce sang est très-vif & très-fluide, tant parce qu’il se mêle immédiatement avec celui des arteres ombilicales qu’avec celui de la mere, qui doit être en quelque sorte comparé au sang de la veine du poumon des adultes, c’est à-dire qu’il est impregné de toutes les particules d’air destinées pour vivifier le sang du fœtus, & chargé de tous les sucs qui peuvent être employés pour sa nourriture & pour son accroissement.
Cela posé, il est aisé de concevoir que le sang de la veine ombilicale étant plus vif, plus fluide, & poussé avec plus de force que celui qui coule dans celui de la veine-porte, il en doit passer une portion considérable au-travers de ce sinus, dans l’embouchure du conduit veineux qui est fort court, sans aucun rameau, & qui se présente presque directement pour le recevoir. Il y a lieu de croire que le sang de la veine-porte ne peut pas beaucoup se détourner de sa route, parce que deux liqueurs, qui sont poussées par un canal commun avec des vîtesses inégales & des directions différentes, ne se mêlent pas parfaitement, & celle qui va plus vîte s’éloigne moins de sa premiere direction.
Il y a lieu de croire que la portion de ce sang qui se mêle avec celui de la veine-porte, sert à la rendre plus propre à la filtration de la bile.
Voilà par quelle adresse la nature fait passer les sucs nourriciers de la mere dans la veine-cave inférieure du fœtus, & de-là dans le cœur, qui est tout proche de l’insertion de ce conduit ; ce qui nous donne lieu de remarquer que comme tout ce qu’il y a de plus nécessaire à la vie & à la nourriture du fœtus, est renfermé dans le sang de la veine ombilicale, ainsi qu’il a été dit, la nature lui a frayé un chemin le plus court & le plus facile qui lui étoit possible pour le faire entrer dans le cœur, qui distribue ensuite cette liqueur si importante à toutes les parties du fœtus : car en faisant passer ce sang par ce conduit veineux qui, quoique très-court, prolonge, pour ainsi dire, la veine ombilicale jusqu’à l’entrée du cœur ; elle évite l’embarras d’une très-longue & très-pénible circulation, qui se feroit au-travers de la substance du foie. Examinons à-présent quel est l’usage du trou ovale.
On vient de faire voir qu’une portion considérable du sang de la veine ombilicale se jette dans la veine-cave inférieure, où il se mêle encore avec celui qui revient par cette veine-cave. Ce sang s’avance vers le cœur ; & là, rencontrant le trou ovale dont on vient de parler, il oblige sa soupape par son poids & son impulsion à se tenir ouverte, & à le laisser passer pour la plus grande partie dans le tronc de la veine du poumon, de-là dans le ventricule gauche ; ce qui fait qu’il y passe avec facilité & autant que l’ouverture du trou peut le permettre, c’est que dans le fœtus humain, il y a un rebord membraneux, qui regnant transversalement le long de la partie supérieure du trou ovale, détermine une partie du sang de la veine-cave inférieure à passer par ce trou. Dans les animaux à quatre piés, la digue qui est entre les deux veines-caves, fait un rebord précisément au-dessus du même trou ; ce qui fait que le sang qui monte par la veine-cave inférieure, & qui va heurter contre cette digue, trouve une très-grande résistance qui le détermine à passer facilement par le trou ovale : car par ce choc, le sang venant à rencontrer celui qui remonte, pose plus long-tems sur la soupape qu’il fait baisser, non seulement par son poids, mais encore en revenant de la digue sur lui-même. Ce qui facilite encore le passage du sang de la veine-cave inférieure par le trou ovale, c’est que la soupape a une entiere liberté de se baisser, ne trouvant que peu de résistance de la part du sang qui revient dans le tronc de la veine du poumon ; tant à raison de la situation & de la direction de cette même soupape, qui est placée à la partie supérieure de ce tronc, c’est-à-dire dans l’endroit où le sang qui y coule fait le moins d’effort ; que parce qu’il en passe moins dans la veine du poumon, qu’il est moins élastique, & qu’il se meut avec moins de vîtesse.
En parlant de la structure de cette soupape, on a expliqué dans quel tems du mouvement du cœur elle s’éleve & s’abaisse pour former ou laisser ouvert le trou ovale.
Il est aisé de juger que ce trou sert aussi-bien que le conduit veineux à abreger le chemin de la veine ombilicale, car le conduit veineux exempte ce sang de l’embarras d’une circulation très-longue & très pénible qu’il se feroit au-travers du foie, ainsi qu’il a été dit ; & par le trou ovale ce même sang évite pareillement l’embarras d’une circulation au-travers du poumon, non-seulement inutile, mais aussi très difficile, & qui paroît même causer la mort du fœtus. En un mot, le conduit veineux fait passer ce sang jusqu’à l’entrée du cœur sans traverser le foie, & le trou ovale le fait passer dans le ventricule droit, & par le poumon. Il ne seroit rentré dans l’aorte qu’après avoir traversé ce viscere, où il se seroit dépouillé de ses parties les plus vives & les plus nourricieres. Examinons maintenant quel est l’usage du conduit artériel.
La veine-cave supérieure se décharge entierement dans le ventricule droit qui reçoit aussi une portion du sang qui coule par la veine-cave inférieure, savoir celle qui n’a pû passer par le trou ovale ; mais afin que ce sang évite le chemin inutile & difficile des poumons, il arrive que quand il est poussé par la contraction du ventricule droit du cœur dans le tronc de l’artere du poumon, tout ce sang ne peut pas passer dans ce viscere par la résistance que lui font l’affaissement des cellules, & tous les plis & les replis de leurs vaisseaux contre lesquels ce sang va heurter ; c’est donc ce qui le détermine à passer par le canal de communication pour se rendre dans l’aorte descendante : & si l’on fait attention à la grande résistance que le sang trouve à passer par le poumon, & que le canal de communication a plus de diametre qu’une des branches qui vont au poumon ; il sera aisé de prouver que la portion la plus considérable qui sort du ventricule droit, est forcée d’entrer dans le conduit artériel, & d’y passer avec le degré de vîtesse convenable à sa quantité.
On va expliquer pourquoi cette circulation est différente dans l’homme avant & après la naissance.
Le fœtus ne pouvant respirer tant qu’il est renfermé dans le ventre de sa mere, ses poumons sont affaissés, leurs vaisseaux sont repliés les uns sur les autres ; de sorte que si l’artere du poumon y portoit une aussi grande quantité de sang qu’après la naissance, le sang s’y amasseroit & gonfleroit tellement les vaisseaux, qu’il ne manqueroit pas d’interrompre la circulation du ventricule droit au gauche, d’y causer quelque inflammation, & d’y former des abcès qui causeroient bien-tôt la mort du fœtus ; ce qui ne peut plus arriver après la naissance, parce que l’air que l’enfant respire gonflant toute la substance celluleuse des poumons, leurs vaisseaux sont redressés : ainsi non-seulement cet air prépare au sang une voie très-libre pour passer du ventricule droit au gauche, mais il le force même par son ressort de couler incessamment dans le ventricule gauche.
On voit à-présent, tant par le moyen du trou ovale que par celui du conduit artériel, que le poumon n’est pas chargé d’une si grande quantité de sang, puisqu’une portion de la veine-cave inférieure passe par le trou ovale dans le tronc de la veine du poumon qui se décharge dans le ventricule gauche, & de-là dans l’aorte, & qu’ainsi ce sang n’est pas obligé de circuler par le ventricule droit & par les poumons ; & quant au sang qui est entré dans le ventricule droit, & qui a passé dans l’artere du poumon, la plus grande partie est forcée par le refoulement que souffre le sang dans la substance du poumon, de couler par le conduit artériel dans l’aorte descendante, sans passer par les poumons & le ventricule gauche du cœur : par ce moyen le trou ovale ne décharge pas seulement le ventricule droit du cœur, mais encore le poumon ; de même le conduit artériel ne décharge pas seulement le ventricule gauche, mais encore le poumon.
En un mot le poumon est par ce moyen déchargé, comme on dit, d’une circulation inutile & dangereuse ; inutile, puisque ce sang n’y peut recevoir aucune préparation propre à maintenir la vie du fœtus ; dangereuse, puisqu’on vient de prouver qu’il seroit par-là en danger de perdre la vie : il ne laisse pas néanmoins d’y passer du sang considérablement pour tenir ses vaisseaux dilatés, afin qu’ils soient en état d’en recevoir une plus grande quantité, immédiatement après la naissance de l’enfant.
On peut dire que la nature observe ici la même chose qu’elle fait à l’égard des tortues, des grenouilles, des poissons, & des insectes ; car dans les tortues, dans des animaux du même genre, & dans les poissons, tout le sang qui est destitué de sa partie spiritueuse, ne repasse dans l’aorte qu’après s’être mêlé avec celui qui revient des poumons, qui l’anime & qui le vivifie.
Dans les insectes qui ont plusieurs cœurs, chaque cœur qui a son aorte a aussi ses trachées particulieres qui lui servent de poumon ; & le sang n’entre point dans cette aorte qu’il n’ait été auparavant préparé dans les vaisseaux du cœur, par l’air que lui fournissent les trachées.
De même dans le fœtus, le sang qui n’est pas assez spiritueux n’entre point dans l’aorte qu’il n’ait été mêlé avec celui qui vient de la mere, lequel a la même qualité que celui qui revient des poumons.
Cela étant ainsi, il est aisé de juger que dans le fœtus ce mélange du sang se doit faire dans le ventricule d’où naît l’aorte, c’est-à-dire dans le gauche ; c’est à quoi sert le trou ovale, & le conduit artériel qui y fait passer une portion considérable du sang de la mere.
On voit que dans les adultes tout le sang veineux passe dans les poumons, où il est impregné de particules aériennes qui le rendent propre à toutes ses fonctions avant que d’entrer dans le ventricule gauche, & de-là dans l’aorte : il faut observer que dans le fœtus le sang de la veine-cave supérieure, qui est dépouillé de ses particules spiritueuses aériennes & nourricieres, se décharge tout entier dans le ventricule droit, & qu’il n’y en entre qu’une petite portion de la veine-cave inférieure ; ce même sang est poussé dans le tronc de l’artere du poumon, où il est divisé en trois parties.
La premiere, qui est la plus considérable, passe par le conduit artériel dans l’aorte descendante, pour être rapportée promptement par les arteres ombilicales dans le placenta, & s’y préparer de nouveau.
Les deux autres parties qui sont obligées de circuler par le poumon, où elles ne reçoivent aucune préparation, puisqu’il est sans action, se rendent dans le tronc de la veine du poumon pour se remêler avec le sang qui vient de la mere, lequel a passé par le trou ovale, & c’est par ce mélange qu’il se ranime & se vivifie.
A l’égard du sang contenu dans le ventricule gauche, on voit que c’est le plus spiritueux & le plus chargé de parties nourricieres, parce qu’il vient presque tout de la mere par le trou ovale : or ce même sang sortant du ventricule gauche, entre dans l’aorte qui le distribue aux parties supérieures & inférieures ; avec cette différence, que celui qui passe par l’aorte descendante se mêle avec celui du canal de Botal, qui est moins vif & moins spiritueux ; au lieu que celui qui monte au cerveau conserve toute la bonne qualité qu’il a reçûe par son mélange avec le sang de la mere, ce qui le rend d’autant plus propre à la filtration des esprits, dont l’influence est si nécessaire pour l’entretien de la vie du fœtus.
Comme dans la tortue & dans plusieurs autres animaux il n’y a à chaque circulation qu’environ un tiers du sang qui passe par le poumon pour s’y vivifier, & que cette portion suffit pour animer autant qu’il en est besoin toute la masse du sang, parce que ces animaux ne sont point destinés à des actions où il se fasse une grande dissipation d’esprits ou de la substance des parties ; de même dans le fœtus, qui dans le ventre de la mere est presque sans action & dans une espece de sommeil continuel, une petite portion du sang de la mere suffit pour animer toute la masse autant qu’il est nécessaire.
Examinons à-présent de quelle maniere se forment les vaisseaux de communication dans le fœtus.
Un canal membraneux & mou, par où il ne passe plus de sang, s’affaisse peu-à-peu & s’étrecit, jusqu’à ce qu’enfin ses parois venant à se toucher & à se coller l’une contre l’autre, de canal qui étoit, il ne devient plus qu’un ligament ; or après la naissance de l’enfant il ne passe plus de sang par le conduit veineux, parce que le cours de celui de la veine ombilicale qui se jettoit dedans avec facilité, est arrêté ; il n’y a plus que le sang qui coule par le sinus de la veine-porte, qui puisse en fournir quelque portion à ce conduit : mais il faut remarquer que ce sang coule plus aisément par les vaisseaux du foie de l’enfant après la naissance par deux raisons ; premierement parce que la substance de ce viscere étant battue sans cesse par les mouvemens de la respiration, elle se dégage & se débarrasse de quantité d’humeurs dont elle étoit remplie pendant le séjour du fœtus dans le ventre de la mere, & par conséquent laisse au sang un passage plus libre ; deuxiemement, parce que les branches que la veine-porte jette dans le foie, ont leurs canaux ouverts directement du côté que ces vaisseaux entrent dans le sinus ; au lieu que le conduit de communication n’a son ouverture dans le sinus de la veine-porte qu’en biaisant, & de maniere que le sang qui coule dans le sinus venant à frapper contre, ne tend qu’à presser & à retenir l’embouchure même du conduit veineux.
Voilà de quelle maniere il se forme.
Examinons à présent comment se ferme le trou ovale après la naissance de l’enfant.
Pour le bien entendre, il faut se souvenir que dans le fœtus, tout le sang qui revient des parties inférieures, de même que celui qui vient du placenta, se ramasse dans la veine-cave inférieure, & qu’au contraire il en passe peu dans le tronc de la veine du poumon, ainsi qu’il est prouvé ; ensorte qu’il est aisé de juger que l’impulsion de tout ce sang qui passe par la veine-cave inférieure, peut facilement ouvrir la soupape du trou ovale, sans rencontrer beaucoup de résistance de la part du sang qui vient dans le tronc de la veine du poumon, lequel est en petite quantité ; mais après la naissance de l’enfant, tout le sang qui sort du ventricule droit, est obligé de circuler par le poumon, comme il sera prouvé ; & il y reçoit une forte impulsion : premierement parce que le cœur bat plus fort & pousse avec plus de violence le sang dans l’artere du poumon, qui à son tour repousse plus fortement celui de la veine du poumon ; secondement parce que les petits canaux du poumon devenant dans l’inspiration moins courbés, l’impétuosité du sang de l’artere se communique davantage au sang de la veine ; troisiemement parce que le sang coulant avec plus de vîtesse par le poumon, il en passe moins par le canal de communication, & par conséquent il en passe davantage par le poumon ; quatriemement parce que ce sang est fort élastique, à cause des qualités que l’air lui a communiquées.
On voit par-là que le sang qui circule par le tronc de la veine du poumon, coule avec plus de vîtesse, qu’il est en plus grande quantité, & plus élastique qu’il n’étoit auparavant, & qu’il gonfle davantage ce vaisseau ; par conséquent il doit l’emporter de beaucoup sur l’effort du sang de la veine cave inférieure, ce qui le met en état de soûlever la soupape & de la tenir fortement attachée à la partie du trou qu’elle laissoit ouvert, & de donner à cette soupape le tems de se coller peu-à-peu aux parois de la veine du poumon.
Le sang qui produit cet effet est principalement celui qui revient du poumon droit, car c’est le seul qui venant à frapper contre la soupape, & la prenant par-dessous & par l’endroit où elle est attachée, la soûleve & la déploie, & fait qu’elle s’applique au trou ; de cette sorte que s’il étoit possible que celui qui revient du poumon gauche abandonnât le chemin de l’oreillette pour venir frapper contre cette soupape déjà soûlevée, il ne serviroit qu’à la maintenir encore davantage dans cet état.
En parlant de la structure de cette soupape, on a expliqué plus au long comment elle se releve & se ferme.
Suivant tout ce que nous venons de dire, il ne sera pas difficile de faire voir comment se ferme aussi le canal de Botal après la naissance.
L’on a déjà fait remarquer que tant que le fœtus est renfermé dans le sein de la mere, les poumons sont sans action ; que tout leur tissu cellulaire est affaissé, leurs vaisseaux pliés & repliés en quantité d’endroits ; que le peu de sang qui y a passé a même de la peine à circuler, & que par le séjour qu’il y fait, il leur donne une teinture rouge & une consistance dure & ferme comme de la chair : mais aussitôt après la naissance, l’air extérieur se trouvant forcé d’entrer dans les poumons, les dilate, les gonfle, &c. & d’un autre côté si on considere l’insertion de ce canal dans l’aorte, on trouvera que quand l’aorte descendante se dilate, elle en comprime l’extrémité, parce que ce canal s’y insere de biais, & selon le cours du sang. Or il est certain que depuis la respiration, l’aorte reçoit beaucoup plus de sang qu’auparavant, & par conséquent qu’elle est plus dilatée ; ajoûtez à cela que le canal de communication se trouvant entre le tronc de l’aorte du poumon & l’aorte descendante, il est comprimé par le gonflement & la dilatation de tous les deux.
Le sang passe-t-il directement de la mere à l’enfant par les racines du placenta ? en quel organe particulier lui fait-il prendre un caractere laiteux dans ce passage ? c’est ce que différentes observations opposées les unes aux autres laissent encore indécis. Tout ce qu’il y a de constant, c’est qu’il se nourrit, que toutes ses parties y sont disposées à exercer les fonctions auxquelles elles sont destinées lorsqu’il arrive au monde, que les veines lactées y sont remplies d’un suc, les reins garnis à leur partie supérieure, où le sang l’emporte en attendant que le rein séparant une plus grande quantité d’urine qu’il ne faisoit dans le sein de la mere, il fasse sécher de disette cette capsule ; qu’à la partie supérieure & antérieure de la poitrine il y a une espece de corps glanduleux qu’on appelle thymus, lequel remplit la poitrine avec les poumons, &c. & qui une fois que les poumons viennent à être dilatés par l’action de la respiration, se desseche peu-à-peu au point qu’il disparoît presqu’entierement, &c. Voyez Veines lactées, Reins succenturiaux, & Thymus.
Comment le fœtus pourroit-il se nourrir par la bouche, si on ne peut avaler sans respirer ? Voyez Déglutition.
Quelque bien disposées que soient d’ailleurs les parties du fœtus, & quoique quelques-unes paroissent déjà sur la voie des fonctions qu’elles doivent exercer, quelque petit que soit l’exercice qu’elles en font ; il en est d’autres qui sont simplement préposées à ces fonctions sans les avoir en aucune façon exercées ; c’est ainsi que l’enfant ne lâche point les eaux ni les excrémens qu’il n’ait respiré ; mais une fois qu’il est exposé à l’air, dont le poids est sans comparaison plus grand que celui de la liqueur dans laquelle il nage, tout son corps se dilate, sa poitrine s’éleve, l’air enfile la route des poumons, l’irritation qu’il cause & la vîtesse avec laquelle il entre & resort, font crier & éternuer l’enfant ; les secousses du diaphragme pressent pendant ce tems les visceres du bas-ventre, les excrémens sont par ce moyen chassés des intestins, & l’urine de la vessie. La nature même a pris tant de précaution pour certains organes délicats & sensibles, qu’elle les a garnis d’une espece de membrane particuliere, comme l’œil & l’oreille, qui non-seulement peut être de quelqu’usage au fœtus dans le sein de la mere, mais encore sert à préserver ces parties des trop vives impressions de l’air lorsque le fœtus vient à y paroître. Voyez Œil & Oreille.
Dans quel détail ne nous entraîneroient pas les remarques que nous aurions à faire sur l’état dans lequel se trouvent les différentes parties de l’enfant à la sortie du sein de sa mere, sur la souplesse & les différentes portions de ses os, qui sont celles qui deviendroient plus intéressantes par rapport à la maniere dont on embéguine & on emmaillote les enfans ; sur la disposition des autres parties qui exigeroient des soins particuliers pour veiller à ce que le développement en fût le plus parfait qu’il est possible, ou au moins qu’on ne s’opposât point à celui que la nature leur prépare, si on ne cherche à l’aider dans ses vûes ; tous détails qui deviendroient assez intéressans pour être la matiere d’un traité particulier.
Quelles autres discussions ne demanderoient pas l’examen des signes qui sont connoître si le fœtus n’est point mort dans le sein de sa mere ? s’il y a respiré ? s’il est possible qu’il y vive après la mort de sa mere, & comment cela peut arriver ? & une infinité d’autres questions aussi utiles que curieuses, & que nous ne pouvons ni ne devons même approfondir ici, faute de pouvoir les résoudre. (L)
On pourroit résoudre plusieurs autres questions qu’on fait sur le fœtus, lorsqu’il est dans le sein de sa mere, si les sens nous accordoient leur secours, pour suivre son développement depuis son origine jusqu’à son terme ; mais la vûe de tels mysteres nous est interdite : bornés aux connoissances grossieres qui sautent aux yeux, nous savons seulement que le fœtus dans ses commencemens, & même dans les derniers tems, differe à plusieurs égards du nouveau-né & de l’adulte. Indiquons donc ici les principales différences qui s’y rencontrent, avant ou peu après l’accouchement.
D’abord par rapport aux parties molles, on observe que les arteres & les veines ombilicales du fœtus, de même que le canal veineux du foie, sont des canaux creux qui deviennent solides dans les adultes. De plus il y a pour l’ordinaire dans l’estomac du fœtus, une humeur glaireuse, de couleur blanchâtre, de même que dans les intestins grêles ; tandis que les gros intestins sont presque toûjours remplis d’une humeur noire & visqueuse, appellée meconium, qui est plus épaisse que la liqueur de l’estomac & des intestins grêles. Le foie du fœtus est plus gros à proportion que dans l’adulte, de même que l’appendice du cœcum. On comprend aisément que cette grosseur du foie dans le fœtus, provient de ce que le diaphragme étant immobile, il ne peut comprimer le foie ; au lieu que quand l’air a fait entrer cette cloison musculeuse en jeu, le foie se trouve comprimé, & pour lors le sang ne peut plus gonfler ce viscere comme il faisoit auparavant. Les capsules atrabilaires y sont d’un volume presqu’égal à celui des reins, dont la surface est semblable à celle des reins du veau. Enfin la vessie semble un peu plus alongée, en se portant vers le nombril.
A l’égard de la poitrine, on y remarque que la glande thymus est fort grosse, par la raison que le poumon affaissé laisse un plus grand espace pour cette partie. On remarque encore que le canal artériel conserve sa cavité ; que le trou ovale est ouvert ; que les poumons, examinés avant que le fœtus ait respiré, sont d’une couleur noirâtre ; & que leur substance, au lieu d’être spongieuse comme elle l’est dans l’adulte, se trouve très-compacte ; de sorte qu’un morceau jetté dans l’eau, ne manque point d’aller au fond. Un peu de teinture de Physiologie explique tous ces faits.
Pour ce qui concerne les parties dures, le volume de la tête en géneral paroît ordinairement plus considérable à proportion dans le fœtus, que dans le nouveau-né & dans l’adulte ; les os du crâne sont éloignés, sur-tout dans l’endroit qu’on nomme la fontanelle, & ceux qui n’ont pas encore de suture. Les dents sont imparfaites, & cachées sous les gencives. Le conduit auditif n’est point encore parfait, & est fermé par une membrane continue à l’épiderme ; membrane qui disparoît ensuite après l’accouchement. Les os de tout le corps sont fort mous ; plusieurs sont cartilagineux, & les articulations sont aussi très-imparfaites.
Quoique l’anatomie du fœtus nous manque encore dans tous ses degrés d’accroissement, il y a néanmoins deux remarques importantes qu’il ne faut pas négliger de faire sur son squelette, en attendant qu’on donne quelqu’ouvrage complet sur cette matiere. La premiere remarque, c’est que les os qui ont part à la composition des organes des sens, ou qui sont destiné, à leur conservation, sont les premiers perfectionnés dans le fœtus ; tels sont ceux qui forment les orbites, les lames osseuses & spongieuses de l’os ethmoïde, & les osselets des oreilles. La seconde remarque utile, c’est que presque tous les os du fœtus se trouvent composés de plusieurs pieces, ce qui contribue beaucoup à faciliter sa sortie de l’utérus au tems de l’accouchement.
Quelque différente, & peut-être quelqu’incertaine que soit la situation du fœtus dans la matrice, cependant plusieurs auteurs croient que dans les premiers tems, cette situation est telle, que toutes les parties de son corps sont pliées, & que toutes ensemble elles forment une figure ronde, à-peû-près comme une boule, pour s’accommoder à la cavité de la matrice, de même que tous les membres d’un poulet se trouvent pliés pour répondre à la cavité de l’œuf qui le renferme ; que dans cette situation, dis-je, la tête est panchée en-devant, l’épine du dos courbée en-dedans, les cuisses & les jambes pliées, ensorte que ses talons s’approchent des fesses, & les bouts de ses piés sont tournés en-dedans, ses bras fléchis, & ses mains près des genoux. Il a pour lors l’épine du dos tournée vers celle de la mere, la tête en-haut, la face en-devant, & les piés en-bas ; & à mesure qu’il vient à croître & à grandir, il étend peu-à-peu ses membres.
Il prend ensuite des situations différentes de celles-ci ; lorsqu’il est prêt à sortir de la matrice, & même long-tems auparavant, il a ordinairement la tête en-bas & la face tournée en-arriere, & il est naturel d’imaginer qu’il peut changer de situation à chaque instant. Des personnes expérimentées dans l’art des accouchemens, ont prétendu s’être assûrés qu’il en change en effet beaucoup plus souvent qu’on ne le croit d’ordinaire ; & c’est ce qu’on tâche de prouver par les observations suivantes. 1°. On trouve souvent le cordon ombilical tortillé & passé autour du corps & des membres de l’enfant, d’une maniere qui suppose que le fœtus a fait des mouvemens dans tous les sens, & qu’il a pris des positions successives très-différentes entr’elles. 2° Les meres sentent les mouvemens du fœtus tantôt d’un côté du ventre, & tantôt d’un autre côté ; il frappe également en plusieurs endroits différens, ce qui suppose qu’il prend des situations différentes. 3°. Comme il nage dans un liquide qui l’environne de toutes parts, il peut très-aisément se tourner, s’étendre, se plier par ses propres forces ; & il doit aussi prendre des situations différentes, suivant les différentes attitudes du corps de la mere : par exemple, lorsqu’elle est couchée, le fœtus doit être dans une autre situation que quand elle est debout.
Enfin vers le dernier mois, c’est-à-dire sur la fin du huitieme, il fait la culbute ; & pour lors sa tête se porte vers l’orifice interne de l’utérus, & sa face est tournée vers le coccyx de la mere. Dans cet état, qui est le dernier période de la grossesse, il agit sur l’orifice de l’utérus, tant par son poids que par ses mouvemens, & donne lieu à la matrice de se mettre en contraction. Cette contraction de la matrice étant jointe à celle des muscles du bas-ventre, à l’action accélérée du diaphragme, & à d’autres causes qui ne sont pas encore bien connues, occasionne la sortie de l’enfant hors de sa prison ; ou pour parler plus simplement, occasionne sa venue au monde. Il y voit à peine le jour, que l’orgueil ne cesse de lui crier qu’il est le roi de l’univers ; & ce prétendu roi de l’univers qui pese à-présent vingt à vingt-quatre livres, tiroit son origine neuf mois auparavant d’une bulle de volupté. (D. J.)