L’Encyclopédie/1re édition/ACCOUCHEMENT

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ACCOUCHEMENT, s. m. dans l’œconomie animale, action par laquelle la matrice se décharge au bout d’un certain tems du fruit de la conception. Voyez Matrice & Conception.

Il s’agit de trouver une cause qui, au bout de neuf mois, nous délivre de la prison où la nature nous a fait naître : mais malheureusement en Physiologie, comme dans toute autre science, lorsqu’il s’agit des causes premieres, l’imagination a toûjours beaucoup plus de part dans leur recherche que la vérité ; de-là cette diversité si grande dans l’explication de toutes les actions principales des corps animés. C’est ainsi que les uns ont prétendu que c’étoit le défaut d’aliment qui faisoit que le fœtus cherchoit à sortir : d’autres, que l’enfant se détachoit de la matrice par la même raison que le fruit se détache de l’arbre ; ceux-ci ont avancé que l’acreté des eaux renfermées dans l’amnios obligeoit l’enfant à se mouvoir & à chercher la sortie ; & ceux-là ont pensé que l’urine & les excrémens formoient une certaine masse, que leur acreté qui incommodoit le fœtus, de concert avec cette pesanteur, le contraignoit à se mouvoir ; que par ses mouvemens la tête se tournoit du côté de la matrice, & que le visage regardoit ordinairement le coccyx ; que dans cette situation les intestins & la vessie picotés par l’urine & par les excrémens, causoient encore plus d’inquiétude au fœtus dans le bassin ; que cette action de la mere augmentoit le tenesme, & par conséquent les efforts ; & que le concours de ces causes ouvroit la matrice, &c.

Pechelin & Bohn n’ont pas été satisfaits de cette opinion : ils ont crû mieux expliquer le phénomene dont il s’agit, en disant qu’il résultoit d’un effort du fœtus pour respirer, qui le faisoit tourner vers l’orifice de la matrice. Bergerus est plus porté à croire que la situation gênante où se trouve le fœtus, est la cause par laquelle il se tourne, & qu’il change de place. Marinus attribue, contre toute vérité anatomique, l’accouchement au changement de l’uterus, qui perd de son diametre & devient un sphéroide plus allongé & moins étendu.

Toutes ces idées ne sont que des dépenses d’esprit qu’ont fait divers Philosophes, pour éclairer le premier passage qui nous a conduit à la lumiere. La premiere cause irritante est sans doute, comme l’observe le Docteur Haller (Comment. Boerhaav) dans le fœtus. En effet, dans les animaux, il rompt l’œuf par son propre effort, & il éclot : cela se voit quelquefois dans les quadrupedes, toûjours dans les oiseaux, dans les viperes & dans les insectes. Ce fœtus se trouve de plus en plus incommodé, tant par son méchonium, que par l’angustie même du lieu & par la diminution des eaux, ce qui produit de plus fréquens froissemens contre la matrice, qui naissent du mal-aise que le fœtus sent, d’autant plus que le cerveau s’accroît davantage, & que ses organes se perfectionnent : de-là tous ces fœtus venus vivans après la mort de la mere ou sortis par une chûte de la matrice, qui étoit sans action. Ensuite, il est indubitable que l’irritation se communique à la matrice proportionnellement aux plus grandes inquiétudes du fœtus, à sa pesanteur, à sa force, à la petite quantité d’eaux qui l’enveloppent ; d’ailleurs il paroit que la matrice ne peut s’étendre que jusqu’à un certain point fixe, & il est raisonnable de penser que la mere ne peut manquer de beaucoup souffrir d’une dilatation forcée par le fœtus ; cette irritation engage d’abord la matrice à se resserrer : mais la cause prochaine efficiente, est l’inspiration de la mere qui est énormément augmentée, & qui la délivre d’un fardeau qu’elle ne peut plus supporter : c’est cette inspiration qui a ici le plus d’efficacité, puisque nous voyons tous les jours des accouchemens de fœtus morts, & qu’il est à croire que le fœtus vivant a encore trop peu d’instinct pour pouvoir s’aider, & que l’accouchement naturel ne se fait jamais sans des efforts violens : ces trois causes sont jointes par Verheyen. Harvey montre de la sagacité lorsqu’il dit, que si la couche est attendue de l’action du fœtus, il le faut tirer par la tête ; & par les piés, quand on l’attend de l’uterus.

Ces enfans remuent les piés, & en donnent des coups assez forts. Depuis trois ou quatre mois jusqu’à neuf, les mouvemens augmentent sans cesse, desorte qu’enfin ils excitent efficacement la mere à faire ses efforts pour accoucher, parce qu’alors ces mouvemens & le poids du fœtus ne peuvent plus être enduies par la matrice : c’est une rêverie d’imaginer que dans un tems plûtôt que dans un autre, le fœtus ne puisse plus supporter le défaut d’air qui manque à son sang, & qu’il veuille qu’on le rende à la lumiere qu’il ignore, & que par conséquent il ne peut desirer.

Les sentimens qui précedent ne sont pas les seuls qu’on ait eus sur les causes de l’accouchement, & l’opinion d’Haller n’est pas la seule vraissemblable. Nous exposerons plus bas celles de M. de Buffon.

La matrice s’eloigne dans la grossesse, de l’orifice externe de la vulve, & sans cesse elle monte dans le bas-ventre, qui lui oppose moins de résistance, & se dilate surtout entre les trompes, où il y a plus de sinus. Une matrice pleine d’un fœtus formé, occupe presque tout le bas-ventre, & fait remonter quelquefois le diaphragme dans le thorax. Quelquefois la femme ne paroît gueres grosse, quoique prête d’accoucher, & elle accouche d’un gros enfant ; la raison en est que l’uterus est plus dilaté postérieurement qu’antérieurement : mais il est facile, comme on voit, de s’assûrer, en touchant une femme, si elle est grosse, cet éloignement de l’uterus étant le premier signe de grossesse. (L)

Il s’ensuit de tout ce qui précede, qu’on peut considérer la matrice comme un muscle creux dont la dilatation est passive pendant tout le tems de la grossesse, & qui enfin se met en contraction & procure la sortie du fœtus. On a vû au commencement de cet article ce qu’il faut penser de divers raisonnemens sur ce qui sert d’aiguillon à cette contraction de la matrice : quoi qu’il en soit de la cause, il est constant que cette contraction est accompagnée de douleurs fort vives, qu’on nomme douleurs de l’enfantement. Elles se distinguent des douleurs de colique, en ce que celles-ci se dissipent, ou du moins reçoivent quelque soulagement par l’application des linges chauds sur le bas-ventre, l’usage intérieur de l’huile d’amandes douces, la saignée, les lavemens adoucissans, &c. au lieu que tous ces moyens semblent exciter plus fortement les douleurs de l’enfantement. Un autre signe plus distinctif est le siége de la douleur : dans les coliques venteuses, elle est vague ; dans l’inflammation, elle est fixe, & a pour siége les parties enflammées : mais les douleurs de l’enfantement sont alternatives, répondent au bas, & sont toutes déterminées vers la matrice. Ces signes pourroient néanmoins induire en erreur (car ils sont équivoques) & être produits par un flux de ventre, un tenesme, &c. Il faut donc, comme on l’a dit plus haut, toucher l’orifice de la matrice, & son état fournira des notions plus certaines sur la nature des douleurs, & les signes caractéristiques du futur accouchement. Lorsque le corps de la matrice agit sur l’enfant qu’elle renferme, elle tend à surmonter la résistance de l’orifice qui s’amincit peu à peu & se dilate. Si l’on touche cet orifice dans le tems des douleurs, on sent qu’il se resserre ; & lorsque la douleur est dissipée, l’orifice se dilate de nouveau. On juge du tems que l’accouchement mettra à se terminer par l’augmentation des douleurs, & par le progrès de la dilatation de l’orifice lorsqu’elles sont cessées.

Il est donc naturel de présumer, dit M. de Buffon, que ces douleurs qu’on désigne par le nom d’heures du travail, ne proviennent que de la dilatation de l’orifice de la matrice, puisque cette dilatation est le plus sûr moyen pour reconnoître si les douleurs que ressent une femme grosse sont en effet les douleurs de l’enfantement : la seule chose qui soit embarrassante, continue l’Auteur que nous venons de citer, est cette alternative de repos & de souffrance qu’éprouve la mere : lorsque la premiere douleur est passée, il s’écoule un tems considérable avant que la seconde se fasse sentir ; & de même il y a des intervalles souvent très-longs entre la seconde & la troisieme, entre la troisieme & la quatrieme douleur, &c. Cette circonstance de l’effet ne s’accorde pas parfaitement avec la cause que nous venons d’indiquer ; car la dilatation d’une ouverture qui se fait peu à peu, & d’une maniere continue, devroit produire une douleur constante & continue, & non pas des douleurs par accès. Je ne sai donc si on ne pourroit pas les attribuer à une autre cause qui me paroît plus convenable à l’effet : cette cause seroit la séparation du placenta : on sait qu’il tient à la matrice par un certain nombre de mammelons qui pénetrent dans les petites lacunes ou cavités de ce viscere ; dès-lors ne peut-on pas supposer que ces mammelons ne sortent pas de leurs cavités tous en même tems ? Le premier mammelon qui se séparera de la matrice, produira la premiere douleur ; un autre mammelon qui se séparera quelque tems après, produira une autre douleur, &c. L’effet répond ici parfaitement à la cause, & on peut appuyer cette conjecture par une autre observation ; c’est qu’immédiatement avant l’accouchement il sort une liqueur blanchatre & visqueuse, semblable à celle que rendent les mammelons du placenta lorsqu’on les tire hors des lacunes où ils ont leur insertion ; ce qui doit faire penser que cette liqueur qui sort alors de la matrice, est en effet produite par la séparation de quelques mammelons du placenta. M. de Buffon, Hist. nat. (I)

Lorsque le Chirurgien aura reconnu que la femme est dans un véritable travail, il lui fera donner quelques lavemens pour vuider le rectum avant que l’enfant se trouve au passage : il est aussi fort à propos de faire uriner la femme ou la sonder, si le col de la vessie étoit déja comprimé par la tête de l’enfant. Lorsque la femme est assez forte, on gagne beaucoup à lui faire une saignée dans le travail ; la déplétion qu’on occasionne par ce moyen, relâche toutes les parties & les dispose très-avantageusement. On prépare ensuite un lit autour duquel on puisse tourner commodément. Le Chirurgien touchera la femme de tems en tems, pour voir si les membranes qui enveloppent l’enfant sont prêtes à se rompre. Lorsque les eaux ont percé, on porte le doigt dans l’orifice de la matrice pour reconnoître quelle partie l’enfant présente ; c’est la tête dans l’accouchement naturel : on sent qu’elle est dure, grosse, ronde & égale ; les autres parties ont des qualités tactiles différentes dont il est assez facile de s’appercevoir, même à travers les membranes. Les choses étant dans cet état, (les eaux étant percées) il faut faire coucher promptement la femme sur le lit préparé particulierement pour l’accouchement. Ce lit doit être fait d’un ou de plusieurs matelas garnis de draps pliés en plusieurs doubles, pour recevoir le sang & les eaux qui viendront en abondance. Il ne faut pas que la femme soit tout-à-fait couchée, ni assise tout-à-fait : on lui éleve la poitrine & la tête par des oreillers : on lui met un traversin sous l’os sacrum pour lui élever le bassin : les cuisses & les jambes seront fléchies, & il est bon que les piés puissent être appuyés contre quelque chose qui résiste. Chez les personnes mal à leur aise, où l’on n’a pas la commodité de disposer un lit extraordinaire, on met les femmes au pié de leur lit, qu’on traverse d’une planche appuyée contre les quenouilles. La femme en travail tiendra quelqu’un par les mains pour mieux se roidir & s’en servir de point d’appui dans le tems des douleurs. Il ne faut point presser le ventre comme le font quelques Sages-femmes. Le Chirurgien oindra ses mains avec quelques graisses, comme sain-doux, beurre frais, ou avec quelques huiles, afin de lubrifier tout le passage. Il mettra ensuite le bout de ses doigts dans le vagin, en les tenant, autant qu’il le pourra, écartés les uns des autres dans le tems des douleurs.

Quand la tête de l’enfant commencera à avancer, le Chirurgien se disposera à recevoir l’enfant. Lorsqu’elle sera avancée jusqu’aux oreilles, on tachera de glisser quelques doigts sur la machoire inférieure, & à la premiere douleur un peu forte on tirera l’enfant. Il ne faut pas tirer l’enfant tout droit, mais en vacillant un peu de côté & d’autre, afin de faire passer les épaules. Ces mouvemens se doivent faire sans perdre de tems, de crainte que l’enfant ne soit suffoqué par l’action de l’orifice sur le cou, si cette partie restoit arrêtée trop long-tems au passage. Aussitôt que les épaules seront dehors, on coule les doigts sous les aisselles pour tirer le reste du corps.

Dès que l’enfant sera tiré, le Chirurgien le rangera de côté, lui tournant la face de façon qu’il ne puisse être incommodé, ou même étouffé par le sang & les eaux qui sortent immédiatement après, & qui tomberoient dans la bouche & dans le nez du nouveau né s’il étoit couché sur le dos.

Après avoir mis l’enfant dans une position où l’on ne puisse pas craindre ces inconvéniens, on fait deux ligatures au cordon ombilical avec un fil ciré en plusieurs doubles : ces ligatures se font à quatre travers de doigt de distance, & le plus proche de l’enfant, à peu près à cet intervalle de son nombril. On coupe le cordon avec des ciseaux ou avec un bistouri entre les deux ligatures, dont l’effet est d’empêcher que la mere ne perde du sang par la veine ombilicale qui le porte à l’enfant, & que l’enfant ne souffre point de l’hémorrhagie des arteres ombilicales qui reportent le sang de l’enfant au placenta.

On entortille alors l’extrémité du cordon qui sort de la matrice autour de deux doigts, & on le tire doucement après avoir donné de légeres secousses en tous sens pour décoller le placenta, dont la sortie est l’effet de la contraction de la matrice déterminée encore par quelques douleurs. Ce viscere tend à se débarrasser de l’arriere-faix qui deviendroit corps étranger. On doit considérer la sortie du placenta comme un second accouchement. Lorsque le cordon ombilical est rompu, ou lorsque le placenta résiste un peu trop à sa séparation de l’intérieur de la matrice, il faut que le Chirurgien y porte la main promptement tandis que l’orifice est encore béant : le délai deviendroit par le resserrement de l’orifice un grand obstacle à l’introduction de la main. Si dans le second cas que nous venons d’exposer on ne portoit pas la main dans la matrice pour en détacher le placenta, & qu’on s’obstinât à vouloir tirer par le cordon, on pourroit occasionner le renversement de la matrice dont nous parlerons en son lieu. Il faut de même porter la main dans la matrice, lorsqu’après avoir tiré le placenta on s’apperçoit qu’il n’est pas dans son entier. On débarrasse en même tems dans toutes ces occasions la cavité de cet organe des caillots de sang qui pourroient s’y trouver.

Si après avoir tiré l’enfant on reconnoissoit que le ventre ne se fût point affaissé, comme il le fait ordinairement, & que les douleurs continuassent assez vivement, il faudroit avant que de faire des tentatives pour avoir le placenta, reporter la main dans la matrice. Il y a presque toûjours dans cette circonstance un second enfant dont il faudroit accoucher de nouveau la femme, après avoir rompu les membranes qui enveloppent le second enfant ; & il ne faudroit délivrer la mere du placenta du premier enfant qu’après le second accouchement, parce que les arrierefaix pouvant être collés l’un à l’autre, on ne pourroit en arracher un sans décoller l’autre, ce qui donneroit lieu à une perte de sang qui pourroit causer la mort à l’enfant qui resteroit, & même être préjudiciable à la mere.

Si un enfant avoit beaucoup souffert au passage, s’il étoit froissé & contus, comme cela arrive dans les accouchemens laborieux, on pourroit couper le cordon ombilical après avoir fait une seule ligature, & tiré quelques cuillerées de sang par le bout du cordon qui tient à l’enfant avant que de le lier : cette saignée rempliroit l’indication que demande un pareil état.

L’accouchement où l’enfant présente les piés pourroit à la rigueur passer pour naturel, puisqu’il sort facilement de cette façon par l’aide d’un Accoucheur, & que c’est ainsi qu’il faut terminer les accouchemens laborieux dans lesquels les enfans présentent quelques autres parties, à moins que ce ne soient les fesses, l’enfant pouvant alors être tiré en double.

Lorsqu’on a été obligé d’aller chercher les piés de l’enfant, on les amene à l’orifice de la matrice : si l’on n’en a pû saisir qu’un, l’autre ne fait point d’obstacle ; il faut tirer celui qu’on tient jusqu’à ce qu’on puisse dégager l’autre cuisse. Lorsque l’enfant a la poitrine dans l’orifice de la matrice, il faut ; sans cesser de tirer, donner un demi tour si les doigts des piés regardoient l’os pubis, afin de retourner l’enfant dont le menton pourroit s’accrocher à ces os si l’on continuoit de le tirer dans cette premiere situation.

Un accouchement naturel par rapport à la bonne situation de l’enfant, peut être difficile lorsque la femme n’aura point été aidée à propos, qu’il y aura long-tems que les eaux se seront écoulées, & que les douleurs deviendront languissantes, ou même cesseront tout-à-fait. On peut bien remédier en quelque sorte à la secheresse de l’accouchement, en exposant la femme à la vapeur de l’eau tiede qui relâche les parties : mais rien ne supplée au défaut des douleurs : les lavemens acres que quelques Auteurs conseillent peuvent irriter le rectum & la matrice par communication ; mais cela peut être infructueux & nuisible : le plus court dans ces conjonctures est de se servir du tire-tête, dont nous parlerons au mot Forceps.

Lorsque le fœtus est mort, & qu’on ne peut pas l’avoir par l’instrument dont nous venons de parler, on est contraint de se servir des moyens extrèmes, & de dépecer l’enfant avec les crochets, pour délivrer la mere de ce fruit infortuné. Voyez Crochet.

Si toutes choses bien disposées d’ailleurs, il y a une impossibilité physique de tirer l’enfant en vie par les voies ordinaires, en consequence de la mauvaise conformation des os du bassin de la mere, &c. il faut faire l’opération césarienne. V. Césarienne.

Mais la nature tend trop efficacement à la conservation des especes pour avoir rendu les accouchemens laborieux les plus fréquens. Au contraire, il arrive quelquefois que le fœtus sort de la matrice sans déchirer les membranes qui l’enveloppent, & par conséquent sans que la liqueur qu’elles contiennent se soit écoulée : cet accouchement paroit être le plus naturel, & ressemble à celui de presque tous les animaux : cependant le fœtus humain perce ordinairement ses membranes à l’endroit qui se trouve sur l’orifice de la matrice, par l’effort qu’il fait contre cette ouverture ; & il arrive assez souvent que l’amnios, qui est fort mince, ou même le chorion, se déchirent sur les bords de l’orifice de la matrice, & qu’il en reste une partie sur la tête de l’enfant en forme de calote ; c’est ce qu’on appelle naitre coeffé. Dès que cette membrane est percée ou déchirée, la liqueur qu’elle contient s’écoule : on appelle cet écoulement le bain ou les eaux de la mere : les bords de l’orifice de la matrice & les parois du vagin en étant humectés, se prêtent plus facilement au passage de l’enfant. Après l’écoulement de cette liqueur, il reste dans la capacité de la matrice un vuide dont les Accoucheurs intelligens savent profiter pour retourner le fœtus, s’il est dans une position desavantageuse pour l’accouchement, ou pour le débarrasser des entraves du cordon ombilical qui l’empêchent quelquefois d’avancer. M. de Buffon, Hist. nat.

Pour que l’Accouchement soit naturel, il faut, selon les Medecins, trois conditions : la premiere, que la mere & l’enfant fassent réciproquement leurs efforts, la mere pour mettre au monde l’enfant, & l’enfant pour sortir du ventre de sa mere. La seconde, que l’enfant vienne au monde la tête la premiere, cela étant sa situation naturelle. Et la troisieme, que l’accouchement soit prompt & facile, sans aucun mauvais accident.

Lorsque l’enfant présente les piés, ou qu’il vient de travers ou double, l’accouchement n’est point naturel. Les Latins appelloient les enfans ainsi nés agrippæ, comme qui diroit ægrè parti. Voyez Agrippa.

L’Accouchement naturel est celui qui se fait au terme juste, c’est-à-dire, dans le dixieme mois lunaire : l’accouchement n’est point naturel, lorsque l’enfant vient au monde ou plûtôt ou plûtard, comme dans le huitieme mois.

Les femmes accouchent au bout de sept, huit, neuf, dix & onze mois : mais elles ne portent pas plus long-tems, nonobstant que quelques Medecins prétendent qu’un accouchement peut être naturel dans le quatorzieme mois.

On a remarqué que les Accouchemens sont plus heureux dans le septieme mois que dans le huitieme, c’est-à-dire, qu’il est plus aisé de sauver l’enfant quand il vient dans le septieme mois que quand il vient dans le huitieme, & que ces premiers vivent plus souvent que les derniers.

Peysonnel, Medecin à Lyon, a écrit un Traité Latin du terme de l’Accouchement des femmes, où il entreprend de concilier toutes les contradictions apparentes d’Hippocrate sur ce sujet. Il prétend que le terme le plus court de l’Accouchement naturel, suivant Hippocrate, est de cent quatre-vingts-deux jours, ou de six mois entiers & complets ; & le plus long, de deux cens quatre-vingts jours, ou de neuf mois complets & dix jours ; & que les enfans qui viennent devant ou après ce terme ne vivent point, ou ne sont pas légitimes.

Bartholin a écrit un Livre de insolitis partûs viis, des conduits extraordinaires par où sort le fœtus : il rapporte différens exemples d’accouchemens fort extraordinaires. Dans les uns le fœtus est sorti par la bouche ; dans d’autres par l’anus. Voyez Salmuthus, Obs. 94. Cent. III. Transact. Philosoph. n°. 416. p. 435.

* Il est fait mention dans les Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1702, page 235, d’un fœtus humain tiré du ventre de sa mere par le fondement. Cette espece d’accouchement est assez extraordinaire pour trouver place ici. Au mois de Mars 1702, M. Cassini ayant donné avis à l’Académie des Sciences qu’une femme, sans avoir eu aucun signe de grossesse, avoit rendu par le siége plusieurs os qui sembloient être les os d’un fœtus, la chose parut singuliere, d’autant plus que quelques-uns se souvinrent qu’on avoit autrefois proposé des faits semblables, qui s’étoient trouvé faux par l’examen qu’on en avoit fait ; & M. Littre s’offrit à vérifier celui-ci.

Il trouva dans le lit une femme de 31 ans, autrefois fort grasse, alors horriblement décharnée & très foible. Il y avoit douze ans qu’elle étoit mariée : elle avoit eu trois enfans pendant les six premieres années de son mariage ; elle avoit fait quatre fausses couches dans les trois années suivantes ; & le 15 du mois d’Août de l’année précédente elle avoit senti une douleur aiguë à la hanche droite ; & cette douleur qui étoit diminuée quelque tems après, avoit entierement cessé au bout de cinq semaines. Au commencement du mois de Novembre de la même année, elle avoit senti sous le foie une autre douleur, accompagnée d’un grand étouffement ; & en appuyant sur la région douloureuse, on y avoit remarqué une tumeur ronde & grosse qui ne paroissoit pas au dehors, & qu’on sentoit au toucher. Environ deux mois après, ce qui faisoit cette tumeur étoit tombé dans le côté droit du bassin de l’hypogastre, & la douleur & l’étouffement avoient cessé sur le champ. Voyez la suite effrayante des symptomes de cet accident dans le Mémoire de M. Littre ; la fievre continue pendant quatre mois sans relâche, avec redoublemens par jour, & frissons ; l’aversion pour les alimens, les défaillances, les hoquets, le vomissement de sang, un cours de ventre purulent & sanglant, qui entraînoit des os, des chairs, des cheveux, &c. les épreintes, les coliques, la toux, le crachement de sang, les insomnies, les délires, &c.

À l’inspection des os rendus, M. Littre s’apperçut qu’ils appartenoient à un fœtus d’environ six mois. Cependant cette femme n’avoit jamais eu aucun soupçon de grossesse ; son ventre n’avoit jamais sensiblement grossi, & elle n’y avoit point senti remuer d’enfant : mais d’un autre côté elle avoit eu quelques autres signes de grossesse que M. Littre rapporte. M. Littre examina ensuite la matrice & le gros boyau de la malade : la matrice étoit dans son état naturel, & il n’en étoit rien sorti que dans le tems réglé pour les femmes saines qui ne sont pas grosses. Mais le fondement étant bordé d’hémorrhoïdes, son orifice étoit serré & rétréci par une dureté considérable qui en occupoit toute la circonférence ; & en introduisant avec beaucoup de peine de sa part, & de douleur de la part de la malade, le doigt & les instrumens, le rectum lui parut ulceré & percé en dedans d’un trou large d’environ un pouce & demi. Ce trou situé à la partie postérieure de l’intestin du côté droit, deux pouces & demi au-dessus du fondement, ne laissoit plus de doute sur le chemin que les os & les autres matieres étrangeres avoient tenu.

En examinant avec le doigt cette plaie, M. Littre sentit la tête d’un fœtus qui étoit si fortement appliquée, qu’il ne put la déranger, & que depuis trois jours la malade ne rendoit plus de matieres extraordinaires.

L’état de la malade étant constaté, il s’agissoit de la guérir : pour cet effet, M. Littre commença par lui donner des forces, en lui prescrivant les meilleurs alimens & les remedes les plus capables d’affoiblir les symptomes du mal : ensuite il travailla à tirer le reste du fœtus ; ce qu’il ne put exécuter qu’avec des précautions infinies, & dans un tems très-considérable. Il tira avec ses doigts tous les petits os & les chairs, il inventa des instrumens à l’aide desquels il coupa les gros os, sans aucun danger pour la femme ; & ce traitement commencé au mois de Mars dura cinq mois, au bout desquels la malade se trouva en état de vaquer à ses affaires. Ceux qui le suivront dans tout son détail, douteront si l’art a moins de ressources que la nature, & s’il n’y a pas des cas où le Chirurgien & le Medecin ne font pas plus qu’elle pour notre conservation : cependant on sait qu’elle conserve tout ce qu’elle peut empêcher de périr, & que de tous les moyens qui lui sont possibles, il n’y en a presqu’aucun qu’elle n’emploie.

M. Littre cherche, après avoir fait l’histoire de la guérison, dans quel endroit ou dans quelle partie du ventre de la malade le fœtus étoit contenu pendant qu’il vivoit. On peut d’abord soupçonner quatre endroits différens ; la simple capacité du ventre, la matrice, les trompes & les ovaires.

Il n’étoit pas dans la simple capacité du ventre, parce qu’en pressant la partie inférieure du ventre de haut en bas, on touchoit une espece de poche d’une grandeur à contenir un petit fœtus d’environ six mois, ronde, peu stable dans son assiette, & percée d’un trou. Cette poche n’étoit pas les membranes du fœtus, mais une partie de la mere, car les membranes du fœtus avoient été extraites par l’ouverture du gros boyau.

Il n’étoit pas non plus dans la cavité de la matrice ; 1°. parce que la malade a eu réglément ses ordinaires pendant cette grossesse : 2°. que le trou de la poche étoit situé à sa partie latérale gauche : 3°. que trois mois après la sortie du fœtus cette poche étoit encore grosse : 4°. que pendant le traitement il n’étoit survenu aucune altération aux parties naturelles, aucun écoulement, &c. 5°. que la matrice pleine d’un fœtus de six mois ne s’étend point jusqu’aux fausses côtes : 6°. que s’il eût été dans la matrice, il en eût rongé les parois pour en sortir.

D’où M. Littre conclut que c’est donc ou la trompe ou l’ovaire qui avoit servi de matrice au fœtus : mais il ne se décide point pour l’une de ces parties plûtôt que pour l’autre ; il conjecture seulement que la poche formée par l’une ou l’autre s’est ouverte, & que le fœtus est tombé dans la capacité de l’hypogastre où il est mort.

On a vû par le commencement de cet article, ce qu’il produisit là, & quelles furent les suites de cet accident.

Vers la fin de Septembre la malade fut aussi forte & dans le même embonpoint qu’auparavant. Elle joüissoit d’une parfaite santé lorsque M. Littre faisoit l’histoire de sa maladie.

Le fait précedent est remarquable par la maniere dont une femme s’est débarrassée d’un enfant mort : en voici un autre qui ne l’est gueres moins par le nombre des enfans qu’une femme a mis au monde tous vivans. On lit, Hist. de l’Acad. 1709, pag. 22, que dans la même année la femme d’un Boucher d’Aix étoit accouchée de quatre filles, qui paroissoient de différens termes, ensuite d’une masse informe, puis de deux jours en deux jours de nouveaux enfans bien formés, tant garçons que filles, jusqu’au nombre de cinq ; de sorte qu’en tout il y en avoit neuf, sans compter la masse : ils étoient tous vivans, & furent tous baptisés ou ondoyés. On n’avoit point encore ouvert la masse informe, qui apparemment contenoit un autre enfant. Le nombre des enfans, & quelques soupçons de superfétation, sont ici des choses très-dignes d’observation.

Il est vrai que l’histoire de la fameuse Comtesse de Hollande seroit bien plus merveilleuse : mais aussi n’a-t-elle pas l’air d’une histoire.

En 1685, à Leckerkerch, qui est à huit ou dix lieues de la Haye, la femme d’un nommé Chrétien Claes accoucha de cinq enfans. Le premier fut un garçon qui vécut deux mois. Dix-sept heures après la naissance de celui-là, vint un second fils, mais mort. Vingt-quatre heures après cette femme mit au monde un troisieme garçon, qui vécut environ deux heures. Autres vingt-quatre heures après elle eut un quatrieme mort-né. Elle mourut elle-même en mettant au monde un cinquieme garçon, qui périt dans le travail.

Je terminerai cet article par une question physiologique relative à la méchanique des accouchemens. On demande s’il se fait un écartement des os pubis dans cette opération de la nature. Quelques Auteurs pensent que ceux qui tiennent l’affirmative le font avec trop de crédulité, & peu d’exactitude : mais il y a des faits très-circonstanciés qui détruisent ces imputations. M. Verdier, célebre Anatomiste, de l’Académie Royale de Chirurgie, & Démonstrateur royal des Ecoles, a traité amplement cette matiere dans son Traité d’Ostéologie, à l’article des os du bassin. M. Loüis a fait des observations sur un grand nombre de cadavres, à la sollicitation de M. Levret, membre de la même Académie ; & tous deux ont vû par le parallele de la jonction des os du bassin des femmes & des hommes, que dans celles-là il y avoit des dispositions très-naturelles à l’écartement non-seulement des os pubis, mais encore des iléons avec l’os sacrum ; & l’examen des cadavres des femmes mortes en couche à l’Hôtel-Dieu, que M. Levret a fait avec M. Moreau, Chirurgien Major de cette Maison en survivance de M. Boudou, confirme que toute la charpente osseuse du bassin prête plus ou moins dans les accouchemens les plus naturels.

Les Chirurgiens François ont beaucoup travaillé sur la matiere des accouchemens : tels sont Portail, Peu, Viardel, Amand, Mauriceau, Lamotte, Levret, &c. M. Puzos a donné à l’Académie de Chirurgie plusieurs Mémoires sur cette matiere : il y en a un inséré dans le premier volume sur les pertes de sang des femmes grosses, digne de la réputation de l’Auteur.