L’Encyclopédie/1re édition/FORCEPS

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FORCEPS, en Chirurgie, mot latin qui signifie littéralement une paire de tenailles : il convient génériquement à toutes les especes de pincettes, ciseaux, cisoires, tenettes, & autres instrumens avec lesquels on saisit & l'on tire les corps étrangers. Voyez Corps étranger, Exérese.

On a conservé particulierement le nom de forceps à une espece de tenette destinée à faire l'extraction d'un enfant dont la tête est enclavée au passage. Cet instrument a été appellé longtems le tire-tête de Palfin, du nom de cet auteur, chirurgien & lecteur d'anatomie à Gand. Nous avons peu d'instrumens qui ayent souffert plus de changemens dans leur construction. On peut lire avec fruit l'histoire très-détaillée des différens forceps, dans un traité de M. Levret, de l'académie royale de Chirurgie, intitulé observations sur les causes & les accidens de plusieurs accouchemens laborieux, Paris 1747, & dans la suite de ces observations données au public en 1751.

Cet instrument est composé de deux branches, auxquelles on considere un corps & deux extrémités ; l'une antérieure, pour saisir la tête de l'enfant ; & l'autre postérieure, qu'on peut appeller le manche. La jonction des deux branches à l'endroit du corps se fait par entablement. A l'une des branches, il y a un bouton conique qui entre dans une ouverture pratiquée dans le corps de l'autre branche, & on les assujettit par le moyen d'une coulisse à mortaise, laquelle engage le collet qui est à l'extrémité du bouton. M. Smellié, célebre praticien de Londres, se sert d'un forceps dont les deux pieces se joignent par encochure ; on les fixe par un lac ou lien qu'on noue sur les manches. M. Levret avoue que cette jonction par deux coches profondes qui se reçoivent mutuellement, est plus commode dans l'usage que la jonction par l'entablement à mi-fer : mais il ne la croit pas si stable, non-seulement par le défaut d'opposition exacte des parties supérieures de l'instrument, mais encore par le vacillement des branches, que le lien ne peut empêcher.

L'extrémité anterieure de chaque branche est une cuillere fenêtrée ; la tête s'engage naturellement dans ces vuides, & donne par-là une bonne prise à l'instrument. Dans les forceps anglois le plein de la partie intérieure étoit demi-rond sur sa largeur. M. Levret y a fait pratiquer une petite cannelure bordée d'une petite levre le long du bord interne le plus éloigné du vuide des branches, afin que l'instrument pût s'appliquer encore plus intimement sur les parties latérales de la tête de l’enfant, & que la prise fût plus solide.

Les manches ou parties postérieures de l’instrument n’ont pas besoin de description : la figure 1. Planche XV. de Chirurgie, représente cet instrument à la moitié du volume naturel.

Le forceps est un instrument indispensable dans la pratique des accouchemens. Il est fort avantageux pour tirer un enfant dont la tête est enclavée au passage, ou lorsque l’accouchement traîne en longueur, & qu’il devient impossible par l’épuisement des forces de la mere. Son usage n’est point dangereux ; on tire par son moyen des enfans vivans sans aucune impression funeste.

On ne doit pas toûjours se proposer d’amener la tête en-dehors par l’usage du forceps : il peut servir avec succès à la repousser en-dedans lorsqu’elle n’est pas trop avancée ; ce qui se fait en donnant à l’instrument qui embrasse la tête des petits mouvemens en-haut, en-bas, & latéralement ; & lorsqu’on est parvenu à faire rentrer la tête, on peut porter la main dans la matrice pour aller saisir les pieds de l’enfant, & terminer l’accouchement suivant la méthode ordinaire en pareil cas.

Les anciens accoucheurs, faute de cet instrument, attendoient tout des forces de la nature dans les accouchemens, jusqu’à ce que le fœtus étant mort ils se servoient du crochet. Voyez Crochet. Souvent même à raison du péril où la mere se trouvoit, ils étoient forcés d’avoir recours à ce dernier instrument, & de sacrifier l’enfant vivant ; procédé généralement condamné par les modernes, qui préviennent tous les desordres qui peuvent suivre de l’enclavement de la tête de l’enfant, en se servant du forceps. Le signe le plus positif qui doit déterminer l’accoucheur à employer promptement le forceps, c’est la formation d’une tumeur sur la tête enclavée de l’enfant, qui n’avance plus quoique le travail ne soit point interrompu, mais seulement ralenti. La circonstance la plus ordinaire, & dans laquelle on se sert le plus utilement du forceps sur une femme bien conformée, c’est lorsque la base du crane est encore placée au-dessus du détroit supérieur des os du bassin, pendant que le casque osseux est dans le vagin, & que l’orifice de la matrice est presqu’entierement effacé par sa grande dilatation : il est bon d’observer qu’à quelque degré que la tête soit enclavée, elle permet toujours l’introduction des branches du forceps, parce qu’elle se prête suffisamment à leur passage, sans qu’il soit besoin d’user d’aucune violence capable de nuire à la mere ni à l’enfant. Aussi se sert on fort utilement de cet instrument dans les cas où la difficulté de l’accouchement vient du volume trop considérable de la tête de l’enfant sans hydrocéphale ; car au moyen du forceps on facilite peu-à-peu son alongement, & l’on procure enfin sa sortie.

Pour faire usage du forceps, il faut d’abord placer convenablement la malade sur le bord de son lit, les cuisses élevées & écartées, les piés rapprochés des fesses, & maintenus en cette situation par des aides. On tâche ensuite de reconnoître dans l’intervalle de deux douleurs, s’il y en a encore, avec l’extrémité des doigts, dans quel point de sa circonférence la tête de l’enfant paroît le moins serrée ; c’est ordinairement la partie latérale du bassin ; & par ce même endroit on introduit la branche du forceps qui porte l’axe, si c’est du côté gauche, en l’appuyant plus sur la tête de l’enfant que contre le bassin de la mere, afin de conduire cette branche entre ces parties sans les blesser. Il faut pour cet effet tenir obliquement la branche qu’on veut introduire, & la diriger de bas en haut jusqu’à ce que son extrémité supérieure se trouve placée dans l’échancrure de l’os des îles de ce côté : alors il faut faire décrire à cette branche un demi-cercle, en la faisant passer en côté opposé par le dessus ou par le dessous, suivant qu’il y aura moins de résistance. Un aide doit soûtenir cette branche. L’opérateur introduit la seconde par le même endroit que la premiere ; & lorsqu’elle est à une égale profondeur, on les croise pour les joindre solidement par le moyen de l’axe & de la piece à coulisse destinés à cet usage.

Lorsque la tête est bien saisie, il faut en faire l’extraction : premierement il faut tirer vers le bas pour faire descendre la tête dans le vagin ; & lorsqu’elle y est descendue presqu’entierement, on doit tirer horisontalement ; & sur la fin il faut relever les mains. Ces trois mouvemens sont indiqués par la direction du chemin que la tête doit parcourir depuis le détroit du bassin jusqu’au dehors de la vulve. Mais outre ces mouvemens principaux il faut encore, pour faciliter l’opération, en faire de petits en tous sens pendant tout le tems de l’extraction.

Mais lorsque la face de l’enfant est tournée en-dessus, il est rare, pour ne pas dire impossible, suivant M. Levret, que le forceps droit puisse saisir la tête, parce que ses branches sont dirigées vers la saillie de l’os sacrum ; ensorte que lorsqu’on croit tenir avec cet instrument la tête dans l’un de ses diametres, on ne tient qu’une portion de sa circonférence près du cou ; de maniere qu’il est alors absolument impossible d’en faire l’extraction, parce que l’instrument, faute d’une prise convenable, s’échappe entre la tête de l’enfant & le rectum de la mere. Ce defaut de succès a suggéré à M. Levret une correction du forceps : il a donné à ses branches une courbure, au moyen de laquelle on peut saisir la tête de l’enfant au-dessus des os pubis. Voyez Plan. XV. fig. 2. Et comme ce nouveau forceps peut servir dans tous les cas, M. Levret a proscrit le droit de sa pratique. Un homme intelligent sentira assez la précaution que la courbure exige pour l’introduction de l’instrument, & dans les mouvemens pour l’extraction de la tête. Le forceps courbe peut aussi être d’un grand secours pour extraire la tête d’un enfant restée dans la matrice & séparée du corps.

En général on ne doit se servir du forceps que dans les cas où il est impossible que la tête sorte du couronnement sans son secours : ainsi il ne doit avoir lieu que quand la tête y est si serrée qu’elle peut être dite enclavée. On pourroit quelquefois prévenir ces enclavemens par des manœuvres particulieres dirigées avec intelligence, différemment suivant les cas : par exemple, quand le visage de l’enfant se présente avec le menton ou le front contre l’os pubis, on essaye de faire remonter l’enfant assez haut pour que la tête se présente directement au passage. Si l’on ne peut y réussir, il semble d’abord qu’il n’y auroit point d’autre moyen que de recourir au forceps ; cependant on parvient à faire descendre aisément le front dans le vagin, en faisant mettre la femme sur les genoux & les coudes, & en appliquant dans cette posture une main sur le pubis.

Il y a des cas où il suffiroit pour déclaver la tête d’un enfant, d’introduire entre elles & les parties de la mere qui s’opposent à la sortie de l’enfant, un instrument fait en levier. Tel est le fameux instrument de Roonhuisen, qui a été si long-tems un secret en Hollande, où l’on assûre que ce célebre praticien terminoit presque tous les accouchemens laborieux par ce moyen si simple. Voyez Pl. XV. fig. 3. Il paroît qu’on peut dégager avantageusement par ce levier la tête retenue par l’os pubis, ou la tête qui dans une disposition oblique de la matrice arc bouteroit contre une des tubérosités de l’os ischion. Voyez sur l’usage des forceps, les ouvrages de M. Levret & ceux de M. Smellié, accoucheurs à Paris & à Londres ; la matiere y est traitée d’une maniere très-instructive, toutes les difficultés y sont éclaircies ; l’expérience & la théorie s’y prêtent un appui mutuel. (Y)