Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puisse en arriver, n’est pas de gâter & d’ébrecher le boutoir du maréchal ; mais si malheureusement la nouvelle lame que l’on brochera, chasse & détermine cette retraite contre le vif ou dans le vif, l’animal boitera, le pié sera serré, où il en résultera une plaie compliquée.

Le fer étant enlevé, il s’agira de nettoyer le pié de toutes les ordures qui peuvent soustraire la sole, la fourchette & les mammelles, ou le bras des quartiers (Voyez Ferrure) aux yeux de l’opérateur. C’est ce qu’il fera en partie avec son brochoir, & en partie avec son rogne-pié. Il s’armera ensuite de son boutoir pour couper l’ongle, & pour parer le pié. Il doit tenir cet instrument très-ferme dans sa main droite, en en appuyant le manche contre lui, & en maintenant continuellement cet appui, qui lui donne la force de faire à l’ongle tous les retranchemens qu’il juge convenables, voy. Ferrure : car ce n’est qu’en poussant avec le corps, qu’il pourra les opérer & assûrer ses coups ; autrement il ne pourroit l’emporter sur la dureté de l’ongle, & il risqueroit s’il agissoit avec la main seule de donner le coup à l’aide ou au cheval, & d’estropier ou de blesser l’un ou l’autre. Il importe aussi, pour prévenir ces accidens cruels, de tenir toûjours les piés de l’animal dans un certain degré d’humidité : ce degré d’humidité s’opposera d’ailleurs au desséchement, source de mille maux, & on pourra les humecter davantage quelques jours avant la ferrure. Voyez Panser, Palefrenier. Dès que la corne sera ramollie, la parure en coûtera moins au maréchal.

La plûpart d’entr’eux pour hâter la besogne, pour satisfaire leur avidité, & pour s’épargner une peine qu’ils redoutent, appliquent le fer rouge sur l’ongle, & consument par ce moyen la partie qu’ils devroient supprimer uniquement avec le boutoir. Rien n’est plus dangereux que cette façon de pratiquer ; elle tend à l’altération entiere du sabot, & doit leur être absolument interdite. J’ai été témoin oculaire d’évenemens encore plus sinistres, causés par l’application du fer brûlant sur la sole. La chaleur racornit cette partie, & suscite une longue claudication, & souvent les chevaux meurent après une pareille épreuve. Ce fait attesté par quelques-uns de nos écrivains & par un auteur moderne, auroit au moins dû être accompagné de leur part de quelques détails sur la maniere de remédier à cet accident ; leur silence ne sauve point le maréchal de l’embarras dans lequel il est plongé, lorsqu’il a le malheur de se trouver dans ce cas affligeant pour le propriétaire du cheval, & humiliant pour lui. J’ai été consulté dans une semblable occasion. Le feu avoit voûté la sole, de maniere qu’extérieurement & principalement dans son milieu, elle paroissoit entierement concave : sa convexité pressoit donc intérieurement toutes les parties qu’elle recouvre, & la douleur que ressentoit l’animal étoit si vive, qu’elle étoit suivie de la fievre & d’un battement de flanc considérable. Si le maréchal avoit eu la plus legere théorie, son inquiétude auroit été bien-tôt dissipée ; mais les circonstances les moins difficiles, effrayent & arrêtent les artistes qui marchent aveuglément dans les chemins qui leur ont été tracés, & qui sont incapables de s’en écarter pour s’en frayer d’autres. Je lui conseillai de dessoler sur le champ le cheval ; & à l’aide de cette opération, il lui conserva la vie : on doit par conséquent s’opposer à des manœuvres qui mettent l’animal dans des risques évidens ; & si l’on permet au maréchal d’approcher le fer, & de le placer sur le pié en le retirant de la forge, il faut faire attention que ce même fer ne soit point rouge, n’affecte & ne touche en aucune façon la sole, & qu’il ne soit appliqué que pendant un instant très-court, & pour marquer seulement les inégalités qui subsistent après la parure, &

qui doivent être applanies avec le boutoir.

On peut rapporter encore à la paresse des ouvriers, l’inégalité fréquente des quartiers : outre qu’en coupant l’ongle ils n’observent point à cet égard de justesse & de précision, le moins de facilité qu’ils ont dans le maniement de cet instrument lorsqu’il s’agit de retrancher du quartier de dehors du pié du montoir, & du quartier de dedans du pié hors du montoir (Voyez Montoir), fait que ces quartiers sont toûjours plus hauts que les autres, les piés sont conséquemment de travers, & une ferrure ainsi continuée suffit pour donner naissance à une difformité incurable. Que l’on examine les piés de presque tous les chevaux, on se convaincra par soi-même de la justice de ce reproche. Le resserrement des quartiers, leur élargissement, le retrécissement des talons, l’encastelure, sont de plus très-souvent un effet de leur ignorance. Voyez Ferrure. A défaut par eux de parer à plat les talons, ils les resserrent plûtôt qu’ils ne les ouvrent. Voyez Ibid.

Après qu’on a retranché de l’ongle tout ce qui en a été envisagé comme superflu, que l’on a donné au pié la forme qu’il doit avoir, que l’on a rectifié les imperfections, & que le maréchal ayant fait poser le pié à terre, s’est assûré que relativement à la hauteur des quartiers il n’est point tombé dans l’erreur commune, car il ne peut juger sainement de leur égalité que par ce moyen, le palefrenier levera de nouveau le pié, & le maréchal présentera le fer sur l’ongle : ce fer y portera justement & également, sans reposer sur la sole ; s’il vacilloit sur les mammelles, l’animal ne marcheroit point sûrement, les lames brochées seroient bien-tôt ébranlées par le mouvement que recevroit le fer à chaque pas du cheval, dés que ce fer n’appuyeroit pas également par-tout ; & si son appui s’étendoit jusque sur la sole, l’animal en souffriroit assez ou pour boiter tout bas, ou du moins pour feindre. La preuve que le fer a porté sur cette partie, se tire encore de l’inspection du fer même qui dans la portion même sur laquelle a été fixé l’appui dont il s’agit, est beaucoup plus lisse, plus brillant, & plus uni que dans toutes les autres. Il est néanmoins des exceptions & des cas où la sole doit être contrainte ; mais alors le maréchal n’en diminue pas la force, & lui conserve toute celle dont elle a besoin. Voyez Ferrure. Lorsque je dis au reste qu’il est important que le fer porte par-tout également, je n’entends pas donner atteinte à la regle & au principe auquel on se conforme, en éloignant le fer du pié depuis la premiere étampure en-dedans & en talon jusqu’au bout de l’éponge, ensorte qu’il y ait un intervalle sensible entre l’ongle & cette partie de la branche : cet intervalle qui peut regner sans occasionner le chancellement de fer est nécessaire, & par lui le quartier de dedans toûjours & dans tous les chevaux plus foible que celui de dehors, se trouve extrèmement soulagé.

Aussi-tôt que l’appui du fer est tel qu’on est en droit de l’exiger, le maréchal doit l’assujettir ; il broche d’abord deux clous, un de chaque côté, après quoi le pié étant à terre, il considere si le fer est dans une juste position : il fait ensuite reprendre le pié par le palefrenier, & il broche les autres. La lame de ces clous doit être déliée & proportionnée à la finesse du cheval & à l’épaisseur de l’ongle ; il faut cependant toûjours bannir, tant à l’égard des chevaux de legere taille que par rapport aux chevaux plus épais, celles qui par leur grosseur & par les ouvertures énormes qu’elles font, détruisent l’ongle & peuvent encore presser le vif & serrer le pié. Le maréchal brochera d’abord à petits coups, & en maintenant avec le pouce & l’index de la main gauche, la lame sur laquelle il frappe. Lorsqu’elle aura fait un certain chemin dans l’ongle, & qu’il pourra reconnoître le