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certains phénomenes, & leurs causes. Voyez Expérimental.

Expérience, ἐμπείρια, (Medecine.) c’est la connoissance acquise par des observations assidues & par un long usage, de tout ce qui peut contribuer à la conservation de la santé & à la guérison des maladies. Voyez Empirisme & Empirique.

Expérience se dit aussi de l’épreuve que font les Medecins sur le corps humain ou sur celui de quelqu’animal, d’un moyen, d’une opération, d’une drogue dont ils ont lieu de croire, par le raisonnement, que l’usage peut être utilement appliqué contre quelque maladie, ou dont ils cherchent à connoître le bon ou le mauvais effet. Voyez Drogue, Remede, Opération. (d)

EXPÉRIMENTAL, adj. (Philosophie natur.) On appelle Philosophie expérimentale, celle qui se sert de la voie des expériences pour découvrir les lois de la Nature. Voyez Expérience.

Les anciens, auxquels nous nous croyons fort supérieurs dans les Sciences, parce que nous trouvons plus court & plus agréable de nous préférer à eux que de les lire, n’ont pas négligé la physique expérimentale, comme nous nous l’imaginons ordinairement : ils comprirent de bonne heure que l’observation & l’expérience étoient le seul moyen de connoître la Nature. Les ouvrages d’Hippocrate seul seroient suffisans pour montrer l’esprit qui conduisoit alors les philosophes. Au lieu de ces systèmes, sinon meurtriers, du moins ridicules, qu’a enfantés la medecine moderne, pour les proscrire ensuite, on y trouve des faits bien vûs & bien rapprochés ; on y voit un système d’observations qui sert encore aujourd’hui, & qui apparemment servira toûjours de base à l’art de guérir. Or je crois pouvoir juger par l’état de la Medecine chez les anciens, de l’état où la Physique étoit parmi eux, & cela pour deux raisons : la premiere, parce que les ouvrages d’Hippocrate sont les monumens les plus considérables qui nous restent de la physique des anciens ; la seconde, parce que la Medecine étant la partie la plus essentielle & la plus intéressante de la Physique, on peut toûjours juger avec certitude de la maniere dont on cultive celle-ci, par la maniere dont on traite celle-là. Telle est la Physique, telle est la Medecine ; & réciproquement telle est la Medecine, telle est la Physique. C’est une vérité dont l’expérience nous assure, puisqu’à compter seulement depuis le renouvellement des Lettres, quoique nous pûssions remonter plus haut, nous avons toûjours vû subir à l’une de ces sciences les changemens qui ont altéré ou dénaturé l’autre.

Nous savons d’ailleurs que dans le tems même d’Hippocrate plusieurs grands hommes, à la tête desquels on doit placer Démocrite, s’appliquerent avec succès à l’observation de la Nature. On prétend que le medecin envoyé par les habitans d’Abdere pour guérir la prétendue folie du philosophe, le trouva occupé à disséquer & à observer dès animaux ; & l’on peut deviner qui fut jugé le plus fou par Hippocrate, de celui qu’il alloit voir, ou de ceux qui l’avoient envoyé. Démocrite fou ! lui qui, pour le dire ici en passant, avoit trouvé la maniere la plus philosophique de joüir de la Nature & des hommes ; savoir d’étudier l’une & de rire des autres.

Quand je parle, au reste, de l’application que les anciens ont donnée à la physique expérimentale, je ne sai s’il faut prendre ce mot dans toute son étendue. La physique expérimentale roule sur deux points qu’il ne faut pas confondre, l’expérience proprement dite, & l’observation. Celle-ci, moins recherchée & moins subtile, se borne aux faits qu’elle a sous les yeux, à bien voir & à détailler les phénomenes de toute espece que le spectacle de la Nature présente :

celle-là au contraire cherche à la pénétrer plus profondément, à lui dérober ce qu’elle cache ; à créer, en quelque maniere, par la différente combinaison des corps, de nouveaux phénomenes pour les étudier : enfin elle ne se borne pas à écouter la Nature, mais elle l’interroge & la presse. On pourroit appeller la premiere, la physique des faits, ou plûtôt la physique vulgaire & palpable ; & réserver pour l’autre le nom de physique occulte, pourvû qu’on attache à ce mot une idée plus philosophique & plus vraie que n’ont fait certains physiciens modernes, & qu’on le borne à désigner la connoissance des faits cachés dont on s’assûre en les voyant, & non le roman des faits supposés qu’on devine bien ou mal, sans les chercher ni les voir.

Les anciens ne paroissent pas s’être fort appliqués à cette derniere physique, ils se contentoient de lire dans la Nature ; mais ils y lisoient fort assidument, & avec de meilleurs yeux que nous ne nous l’imaginons : plusieurs faits qu’ils ont avancés, & qui ont été d’abord démentis par les modernes, se sont trouvés vrais quand on les a mieux approfondis. La méthode que suivoient les anciens en cultivant l’observation plus que l’expérience, étoit très-philosophique, & la plus propre de toutes à faire faire à la Physique les plus grands progrès dont elle fût capable dans ce premier âge de l’esprit humain. Avant que d’employer & d’user notre sagacité pour chercher un fait dans des combinaisons subtiles, il faut être bien assûré que ce fait n’est pas près de nous & sous notre main, comme il faut en Géométrie réserver ses efforts pour trouver ce qui n’a pas été résolu par d’autres. La Nature est si variée & si riche, qu’une simple collection de faits bien complete avanceroit prodigieusement nos connoissances ; & s’il étoit possible de pousser cette collection au point que rien n’y manquât, ce seroit peut-être le seul travail auquel un physicien dût se borner ; c’est au moins celui par lequel il faut qu’il commence, & voilà ce que les anciens ont fait. Ils ont traité la Nature comme Hippocrate a traité le corps humain ; nouvelle preuve de l’analogie & de la ressemblance de leur physique à leur medecine. Les plus sages d’entr’eux ont fait, pour ainsi dire, la table de ce qu’ils voyoient, l’ont bien faite, & s’en sont tenus-là. Ils n’ont connu de l’aimant que sa propriété qui saute le plus aux yeux, celle d’attirer le fer : les merveilles de l’Electricité qui les entouroient, & dont on trouve quelques traces dans leurs ouvrages, ne les ont point frappés, parce que pour être frappé de ces merveilles il eût fallu en voir le rapport à des faits plus cachés que l’expérience a sû découvrir dans ces derniers tems ; car l’expérience, parmi plusieurs avantages, a entre autres celui d’étendre le champ de l’observation. Un phénomene que l’expérience nous découvre, ouvre nos yeux sur une infinité d’autres qui ne demandoient, pour ainsi dire, qu’à être apperçûs. L’observation, par la curiosité qu’elle inspire & par les vuides qu’elle laisse, mene à l’expérience ; l’expérience ramene à l’observation par la même curiosité qui cherche à remplir & à serrer de plus en plus ces vuides ; ainsi on peut regarder en quelque maniere l’expérience & l’observation comme la suite & le complément l’une de l’autre.

Les anciens ne paroissent avoir cultivé l’expérience que par rapport aux Arts, & nullement pour satisfaire, comme nous, une curiosité purement philosophique. Ils ne décomposoient & ne combinoient les corps que pour en tirer des usages utiles ou agréables, sans chercher beaucoup à en connoître le jeu ni la structure. Ils ne s’arrêtoient pas même sur les détails dans la description qu’ils faisoient des corps ; & s’ils avoient besoin d’être justifiés sur ce point, ils le seroient en quelque maniere suffisamment par le