L’Encyclopédie/1re édition/EMPIRIQUE

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EMPIRIQUE, s. m. & adj. (Medec.) Ce terme dans le sens propre, a été donné de tout tems aux medecins qui se sont fait des regles de leur profession sur leur pratique, leur expérience, & non point sur la recherche des causes naturelles, l’étude des bons ouvrages, & la théorie de l’art. Voyez Empirique (Secte), & Empirisme.

Mais le mot empirique se prend odieusement dans un sens figuré, pour désigner un charlatan, & se donne à tous ceux qui traitent les maladies par de prétendus secrets, sans avoir aucune connoissance de la medecine. Voyez Charlatan.

Empirique, secte (Med.) Cette célebre secte qui fit autrefois une grande révolution dans la Medecine, commença environ 287 ans avant la naissance de J. C. Celse nous apprend que Sérapion d’Alexandrie fut le premier qui s’avisa de soûtenir qu’il est nuisible de raisonner en Medecine, & qu’il falloit s’en tenir à l’expérience ; qu’il défendit ce sentiment avec chaleur, & que d’autres l’ayant embrassé, il se trouva chef de cette secte.

Quelques-uns racontent la même chose de Philinus de Cos, disciple d’Hérophile. D’autres ont aussi prétendu qu’Acron d’Agrigente étoit fondateur de cette secte ; & les empiriques jaloux de l’emporter par l’antiquité sur les dogmatiques dont Hippocrate fut le chef, appuyoient cette derniere opinion.

Pour éclaircir le fait, il faut distinguer entre les anciens medecins empiriques, ceux qui exercerent la medecine, depuis qu’Esculape l’avoit réduite en art, jusqu’au tems de son union avec la philosophie. On peut regarder ces premiers medecins comme les premiers empiriques : mais il y a cette différence entr’eux & les disciples de Sérapion ou de Philinus, qu’ils étoient empiriques sans en porter le titre, & qu’ils pouvoient d’autant moins passer pour sectaires, qu’il n’y avoit alors qu’une opinion ; au lieu que les empiriques qui leur succéderent, choisirent eux-mêmes ce titre, & se séparerent des dogmatiques : enfin l’empirisme des premiers étoit purement naturel ; c’étoit au contraire dans les derniers un effet de méditation & d’amour de nouveaux systèmes qu’ils inventerent pour établir leur parti, & bannir le raisonnement de la Medecine, se conduisant en ce point comme quelques modernes qui méprisent toute pratique excepté la leur.

Quoi qu’il en soit, les empiriques proprement nommés ne connoissoient qu’un seul moyen de guérir les maladies qui étoit l’expérience. Le nom d’empirique ne leur venoit point d’un fondateur ou d’un particulier qui se fût illustré dans la secte, mais du mot grec ἐμπειρία, expérience.

L’expérience, disoient-ils, est une connoissance fondée sur le témoignage des sens : ils distinguoient trois sortes d’expériences. La premiere & la plus simple, disoient-ils, est produite par le pur hasard, c’est un accident imprévû, par lequel on guérit d’une maladie, comme dans le cas où quelqu’un auroit été soulagé d’un grand mal de tête par une hémorrhagie, ou de la fievre par une diarrhée qu’on n’auroit point provoquée. La seconde espece d’expériences est de celles qui se font par essai, comme il arrive lorsque quelqu’un ayant été mordu par un animal venimeux, applique sur la blessure la premiere herbe qu’il trouve. La troisieme espece d’expériences comprend celles que les empiriques appelloient imitatoires, ou dans lesquelles on répete dans l’espoir d’un pareil succès, ce que le hasard, l’instinct, ou l’essai, ont indiqué.

C’est la derniere espece d’expérience qui constituoit l’art : ils la nommoient observation, & la narration fidele des accidens, des remedes, & des effets, histoire. Or comme l’histoire des maladies ne peut jamais être complete faute de lumieres, ils avoient encore recours à la comparaison, qu’ils appelloient épilogisme, que M. le Clerc traduit par les mots de substitution d’une chose semblable. L’observation, l’histoire, la substitution d’une chose semblable, étoient les seuls fondemens de l’empirisme. Toute la medecine des empiriques se réduisoit donc à avoir vû, à se ressouvenir, & à comparer ; ou pour me servir des termes de Glaucias, les sens, la mémoire, & l’épilogisme, formoient le trépié de leur medecine. Ajoûtons qu’ils rejettoient toutes les causes diversifiées, occultes ou cachées des maladies, toute hypothèse, la recherche des actions naturelles, l’étude de la théorie de l’art, de la pharmacie, des méchaniques, & des autres sciences. Ils prétendoient encore qu’il étoit inutile de disséquer des cadavres, & que quand la dissection n’avoit rien de cruel, elle devoit être regardée comme malpropreté. Ce croquis peut suffire sur la doctrine des empiriques. Voyons ce que Celse en a pensé.

Il est vrai, dit ce judicieux écrivain, que sur les causes de la santé & des maladies, les plus savans ne peuvent faire que des conjectures ; mais il ne faut pas pour cela négliger la recherche des causes cachées qui se trouvent quelquefois, & qui sans former le medecin, le disposent à pratiquer la medecine avec plus de succès. Il est vraissemblable que si l’application qu’Hippocrate & Erasistrate (qui ne se contentoient pas de panser des plaies & de guérir des fievres) ont donnée à l’étude des choses naturelles, ne les a pas fait medecins à proprement parler, ils se sont du moins rendus par ce moyen de beaucoup plus grands medecins que leurs collegues. Ils n’auroient pas été l’ornement de leur profession, s’ils s’en étoient tenus à la simple routine. Si la similitude ou l’analogie apparente doit être le seul guide de l’art, comme le prétendent les empiriques, au moins faut-il raisonner pour distinguer entre toutes les maladies connues, quelle est celle dont les rapports à la maladie présente sont les plus grands, & pour déterminer par ces rapports les remedes qu’on doit employer. Il est constant que les maladies ont souvent des causes purement méchaniques faciles à distinguer ; & en ce cas le medecin ne balancera jamais dans l’application des remedes. D’un autre côté, si les dogmatiques avoient raison de prétendre qu’on ne pouvoit appliquer les remedes convenables sans connoître les causes premieres de la maladie, les malades & les medecins seroient dans un état bien déplorable, les uns se trouvant dans l’impossibilité de traiter la plûpart des maladies dont les autres ne peuvent toutefois guérir sans le secours de l’art.

Tel est le précis du jugement impartial de Celse sur le grand procès des empiriques & des dogmatiques, procès dont M. le Clerc a fait le rapport avec tant d’exactitude. Mais il suffira de remarquer ici qu’on vit dans cette querelle (& on le présume sans peine) les mêmes passions, les mêmes écarts, les mêmes abus, qui sont inséparables de toutes les disputes, où l’on se propose toûjours la victoire, & jamais la recherche de la vérité. Si quelqu’un est curieux de la seconde partie de cette histoire, il la trouvera dans l’empirisme & le dogmatique modernes. Voyez donc Empirisme. Article de M. le Chevatier de Jaucourt.