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Selon l’alcoran, au chap. de la priere, les Mahométans reconnoissent sept portes de l’enfer, ou sept degrés de peines ; c’est aussi le sentiment de plusieurs commentateurs de l’alcoran, qui mettent au premier degré de peine, nommé gehennem, les Musulmans qui auront mérité d’y tomber ; le second degré, nommé ladha, est pour les Chrétiens ; le troisieme, appellé hothama, pour les Juifs ; le quatrieme, nommé saïr, est destiné aux Sabiens ; le cinquieme, nommé sacar, est pour les mages ou Guebres, adorateurs du feu ; le sixieme, appellé gehim, pour les Payens & les Idolatres ; le septieme, qui est le plus profond de l’abysme, porte le nom de haoviath ; il est reservé pour les hypocrites qui déguisent leur religion, & qui en cachent dans le cœur une différente de celle qu’ils professent au-dehors.

D’autres interpretes mahométans expliquent différemment ces sept portes de l’enfer. Quelques-uns croyent qu’elles marquent les sept péchés capitaux. D’autres les prennent des sept principaux membres du corps dont les hommes se servent pour offenser Dieu, & qui sont les principaux instrumens de leurs crimes. C’est en ce sens qu’un poëte Persan a dit : « Vous avez les sept portes d’enfer dans votre corps ; mais l’ame peut faire sept serrures à ces portes : la clef de ces serrures est votre libre arbitre, dont vous pouvez vous servir pour fermer ces portes, si bien qu’elles ne s’ouvrent plus à votre perte ». Outre la peine du feu ou du sens, les Musulmans reconnoissent aussi comme nous celle du dam.

On dit que les Cafres admettent treize enfers, & vingt-sept paradis, où chacun trouve la place qu’il a méritée suivant ses bonnes ou mauvaises actions.

Cette persuasion des peines dans une vie future, universellement répandue dans toutes les religions, même les plus fausses, & chez les peuples les plus barbares, a toûjours été employée par les législateurs comme le frein le plus puissant pour arrêter la licence & le crime, & pour contenir les hommes dans les bornes du devoir.

II. Les auteurs sont extrèmement partagés sur la seconde question : savoir, s’il y a effectivement quelque enfer local, ou quelque place propre & spécifique où les réprouvés souffrent les tourmens du feu. Les prophetes & les autres auteurs sacrés parlent en général de l’enfer comme d’un lieu soûterrain placé sous les eaux & les fondemens des montagnes, au centre de la terre, & ils le désignent par les noms de puits & d’abysme : mais toutes ces expressions ne déterminent pas le lieu fixe de l’enfer. Les écrivains prophanes tant anciens que modernes ont donné carriere à leur imagination sur cet article ; & voici ce que nous en avons recueilli d’après Chambers.

Les Grecs, après Homere, Hésiode, &c. ont conçû l’enfer comme un lieu vaste & obscur sous terre, partagé en diverses régions, l’une affreuse où l’on voyoit des lacs dont l’eau bourbeuse & infecte exhaloit des vapeurs mortelles ; un fleuve de feu, des tours de fer & d’airain, des fournaises ardentes, des monstres & des furies acharnées à tourmenter les scélérats. (Voyez Lucien, de luctu, & Eustathe, sur Homere). l’autre riante, destinée aux sages & aux héros. Voyez Élysée.

Parmi les poëtes latins, quelques-uns ont placé l’enfer dans les régions soûterraines situées directement au-dessous du lac d’Averne, dans la Campagne de Rome, à cause des vapeurs empoisonnées qui s’élevoient de ce lac. Æneide, liv. VI. Voy. Averne.

Calipso dans Homere parlant à Ulysse, met la porte de l’enfer aux extrémités de l’Océan. Xenophon y fait entrer Hercule par la peninsule acherasiade, près d’Héraclée du Pont.

D’autres se sont imaginé que l’enfer étoit sous le Ténare, promontoire de Laconie, parce que c’étoit

un lieu obscur & terrible, environné d’épaisses forêts, d’où il étoit plus difficile de sortir que d’un labyrinthe. C’est par-là qu’Ovide fait descendre Orphée aux enfers. D’autres ont crû que la riviere ou le marais du Styx en Arcadie étoit l’entrée des enfers, parce que ses exhalaisons étoient mortelles. Voyez Ténare & Styx.

Mais toutes ces opinions ne doivent être regardées que comme des fictions des poëtes, qui, selon le génie de leur art, exagérant tout, représenterent ces lieux comme autant de portes ou d’entrées de l’enfer, à l’occasion de leur aspect horrible, ou de la mort certaine dont étoient frappes tous ceux qui avoient le malheur ou l’imprudence de s’en trop approcher. Voyez Enfer, (Mythol.)

Les premiers Chrétiens, qui regardoient la terre comme un plan d’une vaste étendue, & le ciel comme un arc élevé ou un pavillon tendu sur ce plan, crurent que l’enfer étoit une place soûterraine & la plus éloignée du ciel, de sorte que leur enfer étoit placé où sont nos antipodes. Voyez Antipodes.

Virgile avoit eu avant eux une idée à-peu-près semblable.

. . . . . . . . . tum Tartarus ipse
Bis patet in præceps tantum, tenditque sub umbras,
Quantus ad æthereum cœli suspectus Olympum.

Tertullien, dans son livre de l’ame, représente les Chrétiens de son tems comme persuadés que l’enfer étoit un abysme situé au fond de la terre ; & cette opinion étoit fondée principalement sur la croyance de la descente de Jesus-Christ aux Lymbes. Matth. XII. v 40. V. Lymbes, & l’article suivant Enfer.

Whiston a avancé, sur la localité de l’enfer, une opinion nouvelle. Selon lui, les cometes doivent être considérées comme autant d’enfers destinés à voiturer alternativement les damnés dans les confins du Soleil, pour y être grillés par ses feux, & les transporter successivement dans des régions froides, obscures, & affreuses, au-delà de l’orbite de Saturne. Voyez Comete.

Swinden, dans ses recherches sur la nature & sur la place de l’enfer, n’adopte aucune des situations cy-dessus mentionnées ; & il en assigne une nouvelle. Suivant ses idées, le Soleil lui-même est l’enfer local ; mais il n’est pas le premier auteur de cette opinion : outre qu’on pourroit en trouver quelques traces dans ce passage de l’Apocalypse, chap. xvj. V. 8 & 9. Et quartus angelus effudit phialam suam in Solem, & datum est illi æstu affligere homines & igni, & æstuaverunt homines æstu magno. Pythagore paroît avoir eu la même pensée que Swinden en plaçant l’enfer dans la sphere du feu, & cette sphere au milieu de l’univers. D’ailleurs Aristote de cœlo, lib. II. fait mention de quelques philosophes de l’école italique ou pythagoricienne, qui ont placé la sphere du feu dans le Soleil, & l’ont même nommée la prison de Jupiter. Voyez Pythagoriciens.

Swinden, pour soûtenir son système, entreprend de déplacer l’enfer du centre de la terre. La premiere raison qu’il en allegue, c’est que ce lieu ne peut contenir un fond ou une provision de soufre ou d’autres matieres ignées, assez considérable pour entretenir un feu perpétuel & aussi terrible dans son activité que celui de l’enfer ; & la seconde, que le centre de la terre doit manquer de particules nitreuses qui se trouvent dans l’air, & qui doivent empêcher ce feu de s’éteindre : « Et comment, ajoûte-t-il, un tel feu pourroit-il être éternel & se conserver sans fin dans les entrailles de la terre, puisque toute la substance de la terre en doit être consumée successivement & par degrés » ?

Cependant il ne faut pas oublier ici que Tertullien a prévenu la premiere de ces difficultés, en