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un tems chaud ; & que les acides & les esprits fermentés les coagulent comme le lait. On ne préparera donc des émulsions que pour quelques heures, surtout en été ; on ne les mêlera point avec des sirops, ou des sucs acides, & on ne les aromatisera point avec des eaux spiritueuses.

L’émulsion se décompose par l’ébullition ; ce qu’on appelle dans quelque pays une émulsion cuite, c’est-à-dire à laquelle on a fait prendre quelques bouillons, est donc une préparation monstrueuse, un remede altéré & dégénéré autant qu’il est possible. La vûe médicinale de corriger par cette coction une prétendue crudité de l’émulsion, est trop vaine pour pouvoir autoriser une pratique si directement contraire aux regles de l’art.

Les émulsions ont toutes les propriétés des remedes appellés rafraîchissans, tempérans, délayans ; voyez Délayant, Rafraîchissant, & Tempérant : & de plus elles sont nourrissantes. On les ordonne très-utilement pour boisson ordinaire dans toutes les maladies inflammatoires, & sur-tout lorsqu’elles affectent principalement les visceres du bas-ventre, dans les diarrhées par irritation, dans les ardeurs d’urine, dans le commencement de la curation des chaudepisses, dans les chaleurs d’entrailles, & même dans certaines fleurs blanches. Voyez ces articles.

Dans tous ces cas on doit prescrire les émulsions à grande dose, à deux ou trois livres par jour au moins ; & c’est avoir une idée fort imparfaite de l’action de ce remede, que d’attendre quelque effet utile d’un seul verre d’émulsion donné dans la journée, ou le soir.

On se sert fort ordinairement de l’émulsion comme d’un véhicule commode, pour donner certains sels neutres étendus dans une grande quantité de liquide ou en lavage, comme on s’exprime communément. On dissout, par exemple, un gros ou un gros & demi de nitre purifié dans une pinte d’émulsion, pour faire ce qu’on appelle une émulsion nitrée ; c’est un usage fort ordinaire aussi de faire fondre trois ou quatre grains de tartre émétique dans une pinte d’émulsion, qu’on donne par verre pendant le cours de la journée, pour entretenir les évacuations abdominales dans plusieurs maladies aiguës. Voy. Fievre.

On prépare une émulsion purgative qui agit assez doucement, & qui n’a point le dégoût des potions purgatives ordinaires, en unissant intimement par une longue trituration dix ou douze grains de résine de jalap à une once de sucre, que l’on employe ensuite dans la composition d’une émulsion ordinaire : non-seulement le suc émulsif sert dans ce cas à masquer le goût de la résine, mais il concourt aussi avec le sucre à en corriger l’activité. Le sucre est le dissolvant des résines, & il forme avec elles un composé savonneux, miscible à l’eau. Voyez Sucre & Résine. Le suc émulsif possede la même propriété, quoiqu’avec un degré très-inférieur. On fait entrer aussi la résine de scammonée dans ces émulsions, à la dose de deux ou trois grains, avec huit, dix, ou douze grains de résine de jalap. Voy. Scammonée & Jalap.

Si l’on dispose une résine ou un baume à être dissous par l’eau en unissant ces substances au jaune d’œuf, & qu’on applique de l’eau à ce composé selon l’art, il en résulte aussi une liqueur laiteuse, que quelques auteurs ont appellé du nom d’émulsion ; celle-ci est vulnéraire, détersive, & cicatrisante ou purgative, selon la propriété de la résine ou du baume qu’on y a employé. Voyez les articles Vulnéraire, Détersif, & Purgatif résineux, au mot Purgatif.

La liqueur connue de tout le monde sous le nom

de lait de poule, est parfaitement analogue à l’émulsion. Voyez Œuf, Diete. (b)

EMUNCTOIRE, se dit des canaux qui déchargent les humeurs superflues du corps. Voyez Humeur. (L)

EN

EN & DANS, prépositions qui ont rapport au lieu & au tems. En France, en un an, en un jour, dans la ville, dans la maison, dans dix ans, dans la semaine. M. l’abbé Girard dans ses synonymes, Vaugelas, le P. Bouhours, & quelques autres grammairiens ont fait des observations particulieres sur ces deux prépositions ; en effet, dans l’élocution usuelle il y a bien des occasions où l’une n’a pas le même sens que l’autre.

On peut recueillir de M. l’abbé Girard & des autres grammairiens, que dans emporte avec soi une idée accessoire, ou de singularité ou de détermination individuelle, & voilà pourquoi dans est toûjours suivi de l’article devant les noms appellatifs, au lieu que en emporte un sens qui n’est point resserré à une idée singuliere. C’est ainsi qu’on dit d’un domestique, il est en maison, c’est-à-dire dans une maison quelconque ; au lieu que si l’on disoit qu’il est dans la maison, on désigneroit une maison individuelle déterminée par les circonstances.

On dit, il est en France, c’est-à-dire en quelque lieu de la France : il est en ville, cela veut dire qu’il est hors de la maison, mais qu’on ne sait pas en quel endroit particulier de la ville il est allé. On dit, il est en prison, ce qui ne désigne aucune prison quelconque ; mais on dit il est dans la prison du fort l’évêque ou de saint-Martin, voilà une idée plus précise ; il est dans les cachots, c’est ajoûter une idée plus particuliere à l’idée d’être en prison ; aussi exprime-t-on l’article en ces occasions. Il est en liberté, il est en fureur, il est en apoplexie. toutes ces expressions marquent un état, mais bien moins déterminé que lorsqu’on dit, il est dans une entiere liberté, il est dans une extrème fureur. On dit, il est en Espagne, & on dit il est dans le royaume d’Espagne ; il est en Languedoc, & il est dans la province de Languedoc.

Cette distinction d’idée vague & indéterminée ou de sens général pour en, & de sens plus individuel & plus particulier pour dans ; cette distinction, dis-je, a son usage ; mais on trouve des occasions où il paroît qu’on n’y a aucun égard, ainsi l’on dit bien il est en Asie, sans déterminer dans quelle contrée ou dans quelle ville de l’Asie il est ; mais on ne dit pas il est en Chine, en Pérou, &c. on dit à la Chine, au Pérou, &c. Il semble que l’éloignement & le peu d’usage où nous sommes de parler de ces pays lointains, nous les fasse regarder comme des lieux particuliers.

Le P. Bouhours a fait sur ces deux prépositions des remarques conformes à l’usage, & qui ont été répétées par tous les grammairiens qui ont écrit après cet habile observateur, même par Thomas Corneille sur Vaugelas. Il me semble pourtant que le P. Bouhours commence par une véritable pétition de principe (Remarques, tom. I. p. 67). On met toûjours en, dit-il, devant les noms, lorsqu’on ne leur donne point d’article : j’en conviens, mais c’est là précisément en quoi consiste la difficulté. Un étranger qui apprend le françois, ne manquera pas de demander en quelles occasions il trouvera le nom avec l’article ou sans l’article.

Outre ce que nous avons dit ci-dessus du sens vague & du sens particularisé ou individuel, voici des exemples tirés, pour la plûpart, du P. Bouhours, & des autres observateurs qui l’ont suivi.