Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre la plus longue. La maniere la plus naturelle & la plus sûre d’arriver à un objet, c’est d’y aller par le plus court chemin, pourvû qu’on y aille en marchant, & non pas en sautant d’un lieu à un autre. On peut juger de-là combien est opposée à l’éloquence véritable, cette loquacité si ordinaire au barreau, qui consiste à dire si peu de choses avec tant de paroles. On prétend, il est vrai, que les mêmes moyens doivent être présentés différemment aux différens juges, & que par cette raison on est obligé dans un plaidoyer de tourner de différens sens la même preuve. Mais ce verbiage prétendu nécessaire deviendra évidemment inutile, si on a soin de ranger les idées dans l’ordre convenable ; il résultera de leur disposition naturelle une lumiere qui frappera infailliblement & également tous les esprits, parce que l’art de raisonner est un, & qu’il n’y a pas plus deux logiques, que deux géométries. Le préjugé contraire est fondé en grande partie sur les fausses idées qu’on acquiert de l’éloquence dans nos colléges ; on la fait consister à amplifier & à étendre une pensée ; on apprend aux jeunes gens à délayer leurs idées dans un déluge de périodes insipides, au lieu de leur apprendre à les resserrer sans obscurité. Ceux qui douteront que la concision puisse subsister avec l’éloquence, peuvent lire pour se desabuser les harangues de Tacite.

Il ne suffit pas au style de l’orateur d’être clair, correct, propre, précis, élégant, noble, convenable au sujet, harmonieux, vif, & serré ; il faut encore qu’il soit facile, c’est-à-dire que la gêne de la composition ne s’y laisse point appercevoir. Le style naturel, dit Pascal, nous enchante avec raison ; car on s’attendoit de trouver un auteur, & on trouve un homme. Le plaisir de l’auditeur ou du lecteur diminuera à mesure que le travail & la peine se feront sentir. Un des moyens de se préserver de ce défaut, c’est d’éviter ce style figuré, poétique, chargé d’ornemens, de métaphores, d’antitheses, & d’épithetes, qu’on appelle, je ne sai par quelle raison, style académique. Ce n’est assûrément pas celui de l’académie Françoise ; il ne faut, pour s’en convaincre, que lire les ouvrages & les discours même des principaux membres qui la composent. C’est tout au plus le style de quelques académies de province, dont la multiplication excessive & ridicule est aussi funeste aux progrès du bon goût, que préjudiciable aux vrais intérêts de l’état ; depuis Pau jusqu’à Dunkerque, tout sera bien-tôt académie en France.

Ce style académique ou prétendu tel, est encore celui de la plûpart de nos prédicateurs, du moins de plusieurs de ceux qui ont quelque réputation ; n’ayant pas assez de génie pour présenter d’une maniere frappante, & cependant naturelle, les vérités connues qu’ils doivent annoncer, ils croyent les orner par un style affecté & ridicule, qui fait ressembler leurs sermons, non à l’épanchement d’un cœur pénétré de ce qu’il doit inspirer aux autres, mais à une espece de représentation ennuyeuse & monotone, où l’acteur s’applaudit sans être écouté. Ces fades harangueurs peuvent se convaincre par la lecture réfléchie des sermons du P. Massillon, sur-tout de ceux qu’on appelle le petit-carême, combien la véritable éloquence de la chaire est opposée à l’affectation du style : nous ne citerons ici que le sermon qui a pour titre de l’humanité des grands, modele le plus parfait que nous connoissions en ce genre ; discours plein de vérité, de simplicité, & de noblesse, que les princes devroient lire sans cesse pour se former le cœur, & les orateurs chrétiens pour se former le goût.

L’affectation du style paroît sur-tout dans la prose de la plûpart des poëtes : accoûtumés au style orné & figuré, ils le transportent comme malgré eux dans leur prose ; ou s’ils font des efforts pour l’en bannir,

leur prose devient traînante & sans vie : aussi avons-nous très-peu de poëtes qui ayent bien écrit en prose. Les préfaces de Racine sont foiblement écrites ; celles de Corneille sont aussi excellentes pour le fond des choses, que défectueuses du côté du style ; la prose de Rousseau est dure, celle de Despréaux pesante, celle de la Fontaine insipide ; celle de la Motte est à la vérité facile & agréable, mais aussi la Mote ne tient pas le premier rang parmi les Versificateurs. M. de Voltaire est presque le seul de nos grands poëtes dont la prose soit du moins égale à ses vers ; cette supériorité dans deux genres si différens, quoique si voisins en apparence, est une des plus rares qualités de ce grand écrivain.

Telles sont les principales lois de l’élocution oratoire. On trouvera sur ce sujet un plus grand détail dans les ouvrages de Cicéron, de Quintilien, &c. surtout dans l’ouvrage du premier de ces deux écrivains qui a pour titre Orator, & dans lequel il traite à fond du nombre & de l’harmonie du discours. Quoique ce qu’il en dit soit principalement relatif à la langue latine qui étoit la sienne, on peut néanmoins en tirer des regles générales d’harmonie pour toutes les langues.

Nous ne parlerons point ici des figures, sur lesquelles tant de rhéteurs ont écrit des volumes : elles servent sans doute à rendre le discours plus animé ; mais si la nature ne les dicte, elles sont froides & insipides. Elles sont d’ailleurs presque aussi communes, même dans le discours ordinaire, que l’usage des mots, pris dans un sens figuré, est commun dans toutes les langues. Voyez Langue, Dictionnaire, Figure, Trope, Eloquence. Tant pis pour tout orateur qui fait avec réflexion & avec dessein une métonymie, une catachrese, & d’autres figures semblables.

Sur les qualités du style en général dans toutes sortes d’ouvrages, voyez Elegance, Style, Grace, Gout, &c.

Je finis cet article par une observation, qu’il me semble que la plûpart des rhéteurs modernes n’ont point assez faite ; leurs ouvrages, calqués pour ainsi dire sur les livres de rhétorique des anciens, sont remplis de définitions, de préceptes, & de détails, nécessaires peut-être pour lire les anciens avec fruit, mais absolument inutiles, & contraires même au genre d’éloquence que nous connoissons aujourd’hui. « Dans cet art, comme dans tous les autres, dit très-bien M. Freret (hist. de l’acad. des Belles-Lettres, tome XVIII. pag. 461.), il faut distinguer les beautés réelles, de celles qui étant arbitraires dépendent des mœurs, des coûtumes, & du gouvernement d’une nation, quelquefois même du caprice de la mode, dont l’empire s’étend à tout, & a toûjours été respecté jusqu’à un certain point ». Du tems de la république romaine, où il y avoit peu de lois, & où les juges étoient souvent pris au hasard, il suffisoit presque toûjours de les émouvoir, ou de les rendre favorables par quelque autre moyen ; dans notre barreau, il faut les convaincre : Cicéron eût perdu à la grand-chambre la plûpart des causes qu’il a gagnées, parce que ses cliens étoient coupables ; osons ajoûter que plusieurs endroits de ses harangues qui plaisoient peut-être avec raison aux Romains, & que nos latinistes modernes admirent sans savoir pourquoi, ne seroient aujourd’hui que médiocrement goûtés. (O)

ELOGE, s. m. (Belles-Lettres.) loüange que l’on donne à quelque personne ou à quelque chose, en considération de son excellence, de son rang, ou de ses vertus, &c.

La vérité simple & exacte devroit être la base & l’ame de tous les éloges ; ceux qui sont outrés & sans vraissemblance, font tort à celui qui les reçoit, & à