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gance, sans pureté, sans nombre. Un poëme ne peut faire d’effet s’il n’est élégant : c’est un des principaux mérites de Virgile : Horace est bien moins élégant dans ses satyres, dans ses épîtres ; aussi y est-il moins poëte, sermoni propior.

Le grand point dans la Poésie & dans l’Art oratoire, est que l’élégance ne fasse jamais tort à la force ; & le poëte en cela, comme dans tout le reste, a de plus grandes difficultés à surmonter que l’orateur : car l’harmonie étant la base de son art, il ne doit pas se permettre un concours de syllabes rudes. Il faut même quelquefois sacrifier un peu de la pensée à l’élégance de l’expression : c’est une gêne que l’orateur n’éprouve jamais.

Il est à remarquer que si l’élégance a toûjours l’air facile, tout ce qui a cet air facile & naturel, n’est cependant pas élégant. Il n’y a rien de si facile, de si naturel que, la cigale ayant chanté tout l’été, &, maitre corbeau sur un arbre perché. Pourquoi ces morceaux manquent-ils d’élégance ? c’est que cette naïveté est dépourvûe de mots choisis & d’harmonie. Amans heureux, voulez-vous voyager ? que ce soit aux rives prochaines, & cent autres traits, ont avec d’autres mérites celui de l’élégance.

On dit rarement d’une comédie qu’elle est écrite élégamment. La naïveté & la rapidité d’un dialogue familier, excluent ce mérite, propre à toute autre poésie. L’élégance sembleroit faire tort au comique, on ne rit point d’une chose élégamment dite ; cependant la plûpart des vers de l’Amphitrion de Moliere, excepté ceux de pure plaisanterie, sont élégans. Le mélange des dieux & des hommes dans cette piece unique en son genre, & les vers irréguliers qui forment un grand nombre de madrigaux, en sont peut-être la cause.

Un madrigal doit bien plûtôt être élégant qu’une épigramme, parce que le madrigal tient quelque chose des stances, & que l’épigramme tient du comique ; l’un est fait pour exprimer un sentiment délicat, & l’autre un ridicule.

Dans le sublime il ne faut pas que l’élégance se remarque, elle l’affoibliroit. Si on avoit loüé l’elégance du Jupiter-Olympien de Phidias, c’eût été en faire une satyre. L’élégance de la Vénus de Praxitele pouvoit être remarquée. Voyez Eloquence, Eloquent, Style, Goût, &c. Cet article est de M. de Voltaire.

Elégance, (Peinture.) L’élégance en Peinture consiste principalement dans la beauté du choix, & la délicatesse de l’exécution : c’est donc une maniere d’être qui embellit les objets ou dans le dessein, ou dans la forme, ou dans la couleur, ou dans tous les trois ensemble, sans en détruire le vrai. Heureux présent du ciel, qu’on tient de la naissance, & qui ne dépend ni des maîtres, ni des préceptes ! Le goût naturel donne l’élégance aux ouvrages de l’artiste, le goût la fait sentir à l’amateur.

Cette partie de la Peinture brille admirablement dans l’antique & dans Raphaël. N’imaginons pas néanmoins, par cette raison, qu’elle soit nécessairement fondée sur la correction du dessein, & qu’elle lui soit toûjours subordonnée ; elle peut se trouver éminemment dans des ouvrages qui sont d’ailleurs négligés. Elle se trouve, par exemple, dans la plûpart des tableaux du Correge, où ce célebre maître peche souvent contre la justesse des proportions, tandis que dans ces mêmes tableaux il se montre par ses contours coulans, legers & sinueux, un peintre plein de graces & d’élégance. Voyez Correge, au mot Ecole lombarde.

Cependant celui qui joint l’élégance à la correction, attache encore davantage par cette perfection nos avides regards. Un peintre de cet ordre éleve notre esprit, après l’avoir agréablement étonné,

remplit notre attente, & touche presqu’au sublime de l’art. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

ELEGIAQUE, adj. (Belles-Lett.) se dit de ce qui appartient à l’élégie, & s’applique plus particulierement à l’espece de vers qui entroient dans l’élégie des anciens, & qui consistoient en une suite de distiques formés d’un hexametre & d’un pentametre. Voyez Elégie, Distique, &c.

Cette forme de vers a été en usage de très-bonne heure dans les élégies, & Horace dit qu’on en ignore l’auteur :

Quis tamen exiguos elegos emiserit autor
Grammatici certant, & adhuc sub judice lis est.

Il avoit dit auparavant que la forme du distique avoit d’abord été employée pour exprimer la plainte, & qu’elle le fut ensuite aussi pour exprimer la satisfaction & la joie :

Versibus impariter junctis querimonia primùm,
Post etiam inclusa est voti sententia compos.

Sur quoi nous proposons aux savans les questions suivantes : 1°. pourquoi les anciens avoient-ils pris d’abord cette forme de vers pour les élégies tristes ? est-ce parce que l’uniformité des distiques, les repos qui se succedent à intervalles égaux, & l’espece de monotonie qui y regnent, rendoient cette forme propre à exprimer l’abattement & la langueur qu’inspire la tristesse ? 2°. Pourquoi ces mêmes vers ont-ils ensuite été employés à exprimer les sentimens d’une ame contente ? seroit-ce que cette même forme, ou du moins le vers pentametre qui y entre, auroit une sorte de legereté & de facilité propres à exprimer la joie ? seroit-ce qu’à mesure que les hommes se sont corrompus, l’expression des sentimens tendres & vrais est devenue moins commune & moins touchante, & qu’en conséquence la forme des vers consacrés à la tristesse, a été employée par les poëtes (bien ou mal-à-propos) à exprimer un sentiment contraire, par une bisarrerie à-peu-près semblable à celle qui a porté nos musiciens modernes à composer des sonates pour la flûte, instrument dont le caractere sembloit être d’exprimer la tendresse & & la tristesse ? (O)

M. Marmontel nous a communiqué sur ce sujet les réflexions suivantes. L’inégalité des vers élégiaques les distingue, dit-il, des vers héroiques, dont la marche soûtenue caractérise la majesté :

Arma, gravi numero, violentaque bella parabam
Edere, materiâ conveniente modis.
Par erat inferior versus : risisse Cupido
Dicitur, atque unum subripuisse pedem.

Ovid. Am. lib. I. el. 1.

Mais comment cette mesure pouvoit-elle peindre également deux affections de l’ame opposées ? c’est ce qui est encore sensible pour nos oreilles, continue M. Marmontel, malgré l’altération de la prosodie latine dans notre prononciation.

La tristesse & la joie ont cela de commun, que leurs mouvemens sont inégaux & fréquemment interrompus : l’un & l’autre suspendent la respiration, coupent la voix, rompent la mesure : l’une s’affoiblit, expire, & tombe ; l’autre s’anime, tressaillit & s’élance. Or le vers pentametre a cette propriété, que ses interruptions peuvent être ou des chûtes ou des élans, suivant l’expression qu’on lui donne : la mesure en est donc également docile à peindre les mouvemens de la tristesse & de la joie. Mais comme dans la nature les mouvemens de l’une & de l’autre ne sont pas aussi fréquemment interrompus que ceux du vers pentametre, on y a joint, pour les suspendre & les soûtenir, la mesure ferme du vers héroïque : de-là le mélange alternatif de ces deux vers dans l’élégie.