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Une mesure est une espace qui contient un ou plusieurs tems. L’étendue du tems est d’une fixation arbitraire. Si un tems est l’espace dans lequel on prononce une syllabe longue, un demi-tems sera pour la syllabe breve. De ces tems & de ces demi-tems sont composées les mesures : de ces mesures sont composés les vers, & enfin de ceux-ci sont composés les poëmes. Voyez donc Poeme, & ses différentes especes ; voyez Poésie, Vers (Poësie du) Poete, Versification, &c. car il ne s’agit ici que de la définition des vers en général ; les détails sont réservés à chaque article particulier.

J’ajouterai seulement qu’avant Herodote, l’histoire ne s’écriyoit qu’en vers chez les Grecs. Cet usage étoit très-raisonnable, car le but de l’histoire est de conserver à la postérité le petit nombre de grands hommes qui lui doivent servir d’exemple. On ne s’étoit point encore avisé de donner l’histoire d’une ville en plusieurs volumes in-folio ; on n’écrivoit que ce qui en étoit digne, que ce que les peuples devoient retenir par cœur, & pour aider la mémoire on se servoit de l’harmonie des vers. C’est par cette raison que les premiers philosophes, les législateurs, les fondateurs des religions, & les historiens étoient poetes. (D. J.)

Vers François, (Poësie françoise.) assemblage d’un certain nombre de syllabes qui finissent par des rimes, c’est-à-dire, par un même son à la fin des mots.

C’est seulement par le nombre des syllabes, & non par la qualité des voyelles longues ou breves, qu’on a déterminé les différentes especes de vers françois. Le nombre des syllabes est donc ce qui fait toute la structure de nos vers ; & parce que ce nombre de syllabes n’est pas toujours égal en chaque genre de vers ; cela a donné occasion de nommer nos vers les uns masculins & les autres féminins.

Le vers masculin a une syllabe moins que le féminin, & se termine toujours ou par un e clair, comme beauté, clarté, ou par quelque syllabe que ce soit qui ne finisse point par un e muet.

On nomme vers féminin celui dont la derniere voyelle du dernier mot est un e muet ou obscur, ainsi que l’e de ces mots, ouvrage, prince soit qu’après cet e il y ait une s, comme dans tous les pluriels des noms ouvrages, princes, &c. ou nt, comme en de certains tems des pluriers des verbes aiment, désirent, &c.

L’e obscur ou féminin se perd au singulier quand il est suivi d’un mot qui commence par une voyelle, & alors il est compté pour rien, comme on le peut remarquer deux fois dans le vers qui suit.

Le sexe aime à jouir d’un peu de liberté,
On le retient fort mal avec l’austérité.

Moliere.

Mais il arrive autrement lorsqu’il est suivi d’une consonne, ou qu’il y a une s ou nt à la fin, alors il ne se mange & ne se perd jamais, en quelque rencontre que ce soit.

Son teint est composé de roses & de lis . . .
Ils percent à grands coups leurs cruels ennemis.

Racan.


Il faut encore remarquer que le nombre des syllabes se prend aussi par rapport à la prononciation, & non à l’ortographe ; de cette maniere le vers suivant n’a que douze syllabes pour l’oreille, quoiqu’il en offre aux yeux dix-neuf.

Cache une ame agitée, aime, ose, espere & crains.

Quoiqu’on prétende communément que notre poesie n’adopte que cinq especes différentes de vers, ceux de six, de sept, de huit, & de dix syllabes

appellés vers communs, & ceux de douze qu’on nomme aléxandrins ; cette division n’est pas néanmoins trop juste, car on peut faire des vers depuis trois syllabes jusqu’à douze ; il est vrai que les vers qui ont moins de cinq syllabes, loin de plaire, ennuient par leur monotomie ; par exemple, ceux-ci de M. de Chaulieu ne sont pas supportables.

Grand Nevers,
Si les vers
Découloient,
Jaillissaient,
De mon fonds,
Comme ils font
De ton chef ;
De rechef,
J’aurois jà
De pié çà
Répondu, &c.

Les vers de cinq syllabes ne sont pas dans ce cas, & peuvent avoir lieu dans les contes, les fables, & autres petites pieces où il s’agit de peindre des choses agréables avec rapidité. On peut citer pour exemple les deux strophes suivantes tirées d’une épitre moderne assez connue.

Telle est des saisons
La marche éternelle ;
Des fleurs, des moissons,
Des fruits, des glaçons,
Le tribut fidele,
Qui se renouvelle
Avec nos desirs,
En changeant nos plaines,
Fait tantôt nos peines,
Tantôt nos plaisirs.

Cédant nos campagnes
Aux tyrans des airs,
Flore & ses compagnes
Ont fait ces désires ;
Si quelqu’une y reste,
Son sein outragé,
Gémit ombragé
D’un voile funeste ;
Et la nymphe en pleurs
Doit être modeste
Jusqu’au tems des fleurs.

Les vers de six syllabes servoient autrefois à des odes, mais aujourd’hui on les emploie volontiers dans les petites pieces de poësie & dans les chansons.

Cher ami, ta fureur
Contre ton procureur
Injustement s’allume ;
Cesse d’en mal parler ;
Tout ce qui porte plume,
Fut créé pour voler.

Les vers de sept syllabes ont de l’harmonie, ils sont propres à exprimer les choses très-vivement ; c’est pourquoi ils servent à composer de fort belles odes, des sonnets, & plus ordinairement des épîtres, des contes & des épigrammes.

Matelot, quand je te dis
Que tu ne mets en lumiere
Que des livres mal écrits,
Qu’on envoye à la beurriere,
Tu t’emportes contre moi ;
Et même avec insolence ?
Ah, mon pauvre ami, je voi
Que la vérité l’offense !


Benserade a fait une fable en quatre vers de cette mesure.

Le serpent rongeoit la lime ;