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quoient à étudier & à examiner soigneusement tout ce qui regarde la santé & les maladies ; les principes du corps humain, sa structure, ses parties, avec leurs actions & leurs usagés ; tout ce qui arrive au corps, soit naturellement, soit contre nature, les différences des maladies, leur nature, leurs causes, leurs signes, leurs indications, &c. le tissu, les propriétés, &c. des plantes & des autres remedes, &c. en un mot, les Médecins théorétiques étoient ceux qui se conduisoient par raisonnement, au-lieu que les Médecins empiriques ne suivoient que l’expérience. Voyez Médecine & Empirique.

THÉORETRE, s. m. (Antiq. greq.) θεώρετρον, de θεωρέω, je vois, nom qu’on donnoit en Grece au présent qu’on faisoit aux jeunes filles prêtes à se marier, lorsqu’elles se montroient la premiere fois en public en ôtant leur voile. Scaliger, poét. l. III. c. cj. prétend que ce mot désignoit les présens que l’on faisoit à la nouvelle épouse, lorsqu’on la conduisoit au lit nuptial. Quoi qu’il en soit, ces mêmes présens étoient encore appellés optheres, anacalypteres & prophtengteres, parce que l’époux futur voyoit alors à sa volonté sa future épouse. (D. J.)

THÉORIE, s. f. (Philos.) doctrine qui se borne à la considération de son objet, sans aucune application à la pratique, soit que l’objet en soit susceptible ou non.

Pour être savant dans un art, la théorie suffit ; mais pour y être maître, il faut joindre la pratique à la théorie. Souvent les machines promettent d’heureux succès dans la théorie, & échouent dans la pratique. Voyez Machine.

On dit la théorie de l’arc-en-ciel, du microscope, de la chambre obscure, du mouvement du cœur, de l’opération des purgatifs, &c.

Théories des planetes, &c. Ce sont des systèmes ou des hypotheses, selon lesquelles les Astronomes expliquent les phénomenes ou les apparences de ces planetes, & d’après lesquels ils donnent des méthodes pour calculer leurs mouvemens. Voyez Système, Planette, &c. Chambers.

Théorie, s. f. (Antiq. greq.) θεωρεία, pompe sacrée composée de chœurs de musique que les principales villes greques envoyoient toutes les années à Délos. Plutarque, en racontant la magnificence & la dévotion de Nicias, dit : avant lui les chœurs de musique que les villes envoyoient à Délos pour chanter des hymnes & des cantiques à Apollon, arrivoient d’ordinaire avec beaucoup de désordre, parce que les habitans de l’île accourant sur le rivage au-devant du vaisseau, n’attendoient pas qu’ils fussent descendus à terre ; mais poussés par leur impatience, ils les pressoient de chanter en débarquant, de sorte que ces pauvres musiciens étoient forcés de chanter dans le tems même qu’ils se couronnoient de leurs chapeaux de fleurs, & qu’ils prenoient leurs habits de cérémonie, ce qui ne pouvoit se faire qu’avec beaucoup d’indécence & de confusion. Quand Nicias eut l’honneur de conduire cette pompe sacrée, il se garda bien d’aller aborder à Délos ; mais pour éviter cet inconvénient, il alla descendre dans l’île de Rhène, ayant avec lui son chœur de musiciens, les victimes pour le sacrifice & tous les autels préparatifs pour la fête ; il avoit encore amené un pont qu’il avoit eu la précaution de faire construire à Athènes selon la mesure de la largeur du canal qui sépare l’île de Rhene & celle de Délos. Ce pont étoit d’une magnificence extraordinaire, orne de dorures, de beaux tableaux & de riches tapisseries. Nicias le fit jetter la nuit sur le canal, & le lendemain au point du jour il fit passer toute sa procession & ses musiciens superbement parés, qui en marchant en bel ordre & avec décence, remplissoient l’air de leurs cantiques. Dans cette belle ordonnance il arriva au temple d’A-

pollon. On choisissoit pour la conduite des chœurs

un des principaux citoyens, & c’étoit une grande gloire que d’être intendant des théores. Voyez Théore. Voyez aussi pour les détails de cette célebre procession navale, qu’on nommoit théorie, les archæol. græc. de Potter. l. II. c. ix. t. I. pag. 284 & suiv. (D. J.)

THÉORIUS, (Mythol.) Apollon avoit un temple à Troëzène, sous ce nom qui signifie je vois, & qui convient fort à ce dieu considéré comme le soleil. C’étoit le plus ancien temple de cette ville ; il fut rebâti & décoré par le sage Pithée. (D. J.)

THÉOSOPHES, les, (Hist. de la Philosophie.) voici peut-être l’espece de philosophie la plus singuliere. Ceux qui l’ont professée, regardoient en pitié la raison humaine ; ils n’avoient nulle confiance dans sa lueur ténébreuse & trompeuse ; ils se prétendirent éclairés par un principe intérieur, surnaturel & divin qui brilloit en eux, & s’y éteignoit par intervalles, qui les élevoit aux connoissances les plus sublimes lorsqu’il agissoit, ou qui les laissoit tomber dans l’état d’imbécillité naturelle lorsqu’il cessoit d’agir ; qui s’emparoit violemment de leur imagination, qui les agitoit, qu’ils ne maîtrisoient pas, mais dont ils étoient maîtrisés, & qui les conduisoit aux découvertes les plus importantes & les plus cachées sur Dieu & sur la nature : c’est ce qu’ils ont appellé la théosophie.

Les théosophes ont passé pour des fous auprès de ces hommes tranquilles & froids, dont l’ame pesante ou rassisse n’est susceptible ni d’émotion, ni d’enthousiasme, ni de ces transports dans lesquels l’homme ne voit point, ne sent point, ne juge point, ne parle point, comme dans son état habituel. Ils ont dit de Socrate & de son démon, que si le sage de la Grece y croyoit, c’étoit un insensé, & que s’il n’y croyoit pas, c’étoit un fripon.

Me sera-t-il permis de dire un mot en faveur du démon de Socrate & de celui des théosophes ? Nous avons tous des pressentimens, & ces pressentimens sont d’autant plus justes & plus-prompts, que nous avons plus de pénétration & d’expérience. Ce sont des jugemens subits auxquels nous sommes entraînés par certaines circonstances très-déliées. Il n’y a aucun fait qui ne soit précédé & qui ne soit accompagné de quelques phénomenes. Quelque fugitifs, momentanés & subtils que soient ces phénomenes, les hommes doués d’une grande sensibilité, que tout frappe, à qui rien n’échappe, en sont affectés, mais souvent dans un moment où ils n’y attachent aucune importance. Ils reçoivent une foule de ces impressions. La mémoire du phénomene passe ; mais celle de l’impression se réveillera dans l’occasion ; alors ils prononcent que tel évenement aura lieu ; il leur semble que c’est une voix secrette qui parle au fond de leur cœur, & qui les avertit. Ils se croyent inspirés, & ils le sont en effet, non par quelque puissance surnaturelle & divine, mais par une prudence particuliere & extraordinaire. Car qu’est-ce que la prudence, sinon une supposition dans laquelle nous sommes portés à regarder les circonstances diverses où nous nous trouvons, comme les causes possibles d’effets à craindre ou à espérer dans l’avenir ? or il arrive que cette supposition est quelquefois fondée sur une infinité de choses légeres que nous avons vues, apperçues, senties, dont nous ne pouvons plus nous rendre compte, ni à nous-mêmes, ni aux autres, mais qui n’en ont pas une liaison moins nécessaire ni moins forte avec l’objet de notre crainte & de notre espérance. C’est une multitude d’atomes imperceptibles chacun, mais qui réunis forment un poids considérable qui nous incline, sans presque savoir pourquoi. Dieu voit l’ordre de l’univers entier dans la plus petite molécule de la matiere. La pru-