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l’abbé Girard, & la conséquence qu’il en tire contre la méthode trop ordinaire des grammairiens, me paroissent également plausibles ; & je révoque volontiers & sans détour, ce que je me rappelle d’avoir écrit de contraire à l’article Gallicisme.

Je passe à l’observation qui concerne la langue allemande : c’est que l’usage y a introduit deux articles & deux adjectifs possessifs qui ont rapport à la troisieme personne du singulier ; l’un s’emploie quand la troisieme personne est du feminin, & l’autre, quand elle est du masculin. Cette différence ne sert qu’à déterminer le choix du mot, & n’empêche pas qu’il ne s’accorde en genre avec le nom auquel on l’applique. Ainsi son, quand la troisieme personne est du masculin, se dit en allemand sein, m. seine, f. & sein, n. & sien se dit seiner, m. seine, f. seines, n. ou bien der sernige, m. die seinige, f. das seinige, n. & tous ces mots sont dérivés du génitif masculin seiner (de lui). Mais si la troisieme personne est du feminin, son se dit en allemand ihr, m. ihre, f. ihr, n. & sien se dit ihrer, m. ihre, f. ihres, n. ou bien der ihrige, m. die ihrige, f. das ihrige, n. & tous ces mots sont dérivés du génitif feminin ihrer (d’elle). On peut concevoir, par cette propriété de la langue allemande, combien l’usage a de ressources pour enrichir les langues, pour y mettre de la clarté, de la précision, de la justesse, & combien il importe d’examiner de près les idiotismes pour en demêler les finesses & le véritable sens. C’est la conclusion que j’ai prétendu tirer de cette observation. (B. E. R. M.)

POSSESSION, s. f. (Jurisprud.) est la détention & la jouissance d’une chose, soit qu’il s’agisse d’une chose mobiliaire que l’on peut tenir en sa main, soit qu’il s’agisse d’un héritage ou autre immeuble, ou droit réel reputé immeuble, dont la possession s’acquiert & se conserve par des actes tendans à user de la jouissance, ou à en disposer comme propriétaire.

On distingue plusieurs sortes de possessions, savoir la possession de fait, & celle de droit ; la possession naturelle & la possession civile, & autres, ainsi qu’on l’expliquera dans les subdivisions suivantes.

La possession est de fait & de droit ; mais pour connoître quand elle est acquise, on a plutôt égard à la volonté qu’au seul fait.

On peut acquérir la possession par autrui ; savoir par un fermier ou locataire, par un dépositaire, un fondé de procuration, un tuteur.

La possession du défunt se continue en la personne de l’héritier ; elle est regardée comme la même & non comme une possession nouvelle.

Celui qui a la possession d’une chose, quoiqu’il n’en soit pas le véritable propriétaire, a beaucoup d’avantage sur ceux qui ne la possedent pas ; c’est pourquoi l’on dit en droit, in pari causâ, melior est possidentis.

Lorsqu’il est troublé dans sa possession, après an & jour, il peut intenter complainte, & par ce moyen se faire maintenir en sa possession, même contre le véritable propriétaire, auquel il ne reste plus que la ressource du pétitoire, & de demander la restitution des fruits. Voyez Complainte & Possessoire.

Le possesseur n’est pas obligé de montrer son titre, il lui suffit de dire qu’il possede parce qu’il possede ; & en cas de dénégation, on peut ordonner la preuve par témoins.

Quand la chose est sujette à prescription, & que le propriétaire en a laissé jouir paisiblement le possesseur assez long-tems pour acquérir la prescription, le possesseur devient lui-même légitime propriétaire.

Le tems nécessaire pour donner cet effet à la possession, est différent selon les objets dont il s’agit, & aussi selon les pays, ainsi qu’il sera expliqué au mot Prescription.

Celui qui a été dépossédé par force & par violen-

ce, peut intenter dans l’an & jour l’action de réintégrande,

pour être rétabli dans sa possession ; & cette action est si favorable que quand ce seroit le propriétaire qui auroit commis la violence, & qu’il justifieroit sur le champ de sa propriété, on ne l’écouteroit point jusqu’à ce qu’il ait retabli celui qu’il a dépouillé : c’est la maxime des Canonistes, spoliatus ante omnia restituendus est. Voyez Réintégrande.

La possession se perd par négligence & par le défaut d’exercice, ou par un jugement d’éviction qui envoie un autre en possession de la chose. Voyez au digeste le livre XLII. le tit. 4 de acquirenda vel amittendâ possessione, & livre XLII. les tit. 4. & 5. au code, livre VII. tit. 32. de acquirendâ & retin. possessione ; les lois civiles, & Argout, tit, de la possession.

Possession actuelle, est celle que l’on a réellement & dans le moment présent.

Possession d’an et jour, est celle qui a duré pendant une année entiere & encore un jour au-delà. Pour pouvoir s’aider de cette possession, il faut qu’elle ait duré pendant l’an & jour qui ont précédé le trouble.

Possession annale, c’est ainsi qu’en matiere canonique & bénéficiale on appelle la possession du bénéficier qui jouit paisiblement depuis un an de son bénéfice.

Cette possession se compte du jour de la prise de possession du bénéfice, & doit être paisible & non interrompue par aucun exploit.

Elle donne droit au pourvu de demeurer en possession du bénéfice, jusqu’à ce que le pétitoire soit jugé.

Telle est la teneur de la regle de chancellerie romaine, appellée regle de annali possessore.

Cette regle étoit suivie en France du tems de Rebuffe & de Dumolin, mais présentement elle n’y est plus suivie ; & il n’y a point de provisions par dévolu dans lesquelles on ne déroge à cette regle, & quand la dérogation ne s’y trouveroit pas nommément exprimée, elle y seroit toujours sous-entendue. Voyez ci-après Possession triennale.

Possession artificielle ou feinte, est une fiction de droit qui nous fait réputer possesseur d’une chose qu’un autre possede sous notre nom, comme dans le cas de la relocation, du constitut ou précaire Voyez Constitut, Précaire, Relocation.

Possession de bonne foi, est celle où le possesseur est convaincu qu’il possede légitimement. Voyez Prescription.

Possession centenaire, est celle qui dure depuis cent ans ; cette possession est aussi appellée possession ancienne & immémoriale : elle vaut titre.

Possession civile, est celle qui est plus de droit que de fait, comme quand on dit suivant la regle, le mort saisit le vif, qu’un héritier est en possession de tous les biens du défunt des le moment de son décès. Cela est vrai selon les principes ; mais cette possession est purement civile, & n’est qu’une fiction de droit, parce que cet héritier ne possede naturellement & réellement les choses que quand il les a appréhendées, & qu’il les a mises de fait en sa main & jouissance.

On appelle aussi possession civile, celle d’un bénéficier qui a pris possession de droit. Il acquiert par ce moyen la qualité & les actions de possesseur, quoiqu’il ne jouisse pas & réellement, & même qu’il y ait un autre pourvu qui jouisse du même bénéfice.

Quelquefois au contraire le terme de possession civile est opposé à la possession naturelle ; on entend alors par possession civile la détention d’une chose avec affection de la tenir comme en ayant la propriété, quoiqu’on ne l’ait pas encore véritablement. Telle est la possession d’un possesseur de bonne foi, lequel ayant acheté un fonds de celui qu’il en croyoit le véritable