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plus habiles Musiciens sont très-ignorans aujourd’hui. (S)

On peut voir aux mots Fondamental, Gamme & Echelle la maniere dont M. Rameau imagine la formation des deux modes, le majeur & le mineur. Dans la premiere édition de mes Elémens de Musique, j’avois adopté entierement tous les principes de cet habile artiste sur ce sujet. Mais dans la seconde édition que je prépare, & qui probablement aura vû le jour avant que cet article paroisse, j’ai cru devoir adopter une maniere plus simple de former le mode mineur ; la voici : mi étant, par exemple, la fondamentale, elle fait résonner sa quinte si ; or si entre la quinte si & la fondamentale mi on place une autre note sol, telle que cette note sol fasse aussi résonner si, on aura le mode mineur ; si la note étoit sol, on auroit le mode majeur. Ces deux modes different en ce que dans le majeur la fondamentale fait résonner sa tierce & sa quinte à-la-fois, & que dans le majeur la quinte résonne à-la-fois dans la fondamentale & dans sa tierce. Cette origine me paroît plus naturelle que celle du frémissement des multiples, imaginée par M. Rameau, & que j’avois d’abord suivie. Voyez Fondamental. Cette raison me dispense d’en dire ici davantage.

Quant au nombre de dièses & de bémols de chaque mode ou ton, soit en montant, soit en descendant, on peut voir là-dessus mes Elémens de musique, art. ccxxxiv. Et voici la regle pour trouver ce nombre ; le mode majeur, soit en montant, soit en descendant, est formé 1° de deux tons consécutifs, 2° d’un demi-ton, 3° de trois tons consécutifs, 4° d’un semi-ton ; le mode mineur en montant differe du mode majeur en montant en ce qu’il y a d’abord un ton, plus un demi-ton ; puis quatre tons consécutifs, puis un demi-ton. Ce même mode en descendant a d’abord deux tons, puis un demi-ton, puis deux tons, puis un demi-ton, puis un ton. Voyez Echelle & Gamme, voyez aussi Clé & Transposition. (O)

Mode, (Arts.) coutume, usage, maniere de s’habiller, de s’ajuster, en un mot, tout ce qui sert à la parure & au luxe ; ainsi la mode peut être considérée politiquement & philosophiquement.

Quoique l’envie de plaire plus que les autres ait établi les parures, & que l’envie de plaire plus que soi-même ait établi les modes, quoiqu’elles naissent encore de la frivolité de l’esprit, elles sont un objet important, dont un état de luxe peut augmenter sans cesse les branches de son commerce. Les François ont cet avantage sur plusieurs autres peuples. Dès le xvj. siecle, leurs modes commencerent à se communiquer aux cours d’Allemagne, à l’Angleterre & à la Lombardie. Les Historiens italiens se plaignent que depuis le passage de Charles VIII. on affectoit chez eux de s’habiller à la françoise, & de faire venir de France tout ce qui servoit à la parure. Mylord Bolinbroke rapporte que du tems de M. Colbert les colifichets, les folies & les frivolités du luxe françois coutoient à l’Angleterre 5 à 600000 livres sterlings par an, c’est-à-dire plus de 11 millions de notre monnoie actuelle, & aux autres nations à proportion.

Je loue l’industrie d’un peuple qui cherche à faire payer aux autres ses propres mœurs & ajustemens ; mais je le plains, dit Montagne, de se laisser lui-même si fort pipper & aveugler à l’autorité de l’usage présent, qu’il soit capable de changer d’opinion & d’avis tous les mois, s’il plaît à la coutume, & qu’il juge si diversement de soi même ; quand il portoit le busc de son pourpoint entre les mamelles, il maintenoit par vive raison qu’il étoit en son vrai lieu. Quelques années après le voilà ravalé jusqu’entre les cuisses, il se moque d’un autre usage, le trouve inepte & insupportable, La façon présente de se vê-

tir lui fait incontinent condamner l’ancienne d’une résolution si grande & d’un consentement si universel, que c’est quelque espece de manie qui lui tourneboule ainsi l’entendement.

On a tort cependant de se recrier contre telle ou telle mode qui, toute bisarre qu’elle est, pare & embellit pendant qu’elle dure, & dont l’on tire tout l’avantage qu’on en peut espérer qui est de plaire. On devroit seulement admirer l’inconstance de la légereté des hommes qui attachent successivement les agrémens & la bienséance à des choses tout opposées, qui emploient pour le comique & pour la mascarade ce qui leur a servi de parure grave & d’ornement très-sérieux. Mais une chose folle & qui découvre bien notre petitesse, c’est l’assujettissement aux modes quand on l’étend à ce qui concerne le goût, le vivre, la santé, la conscience, l’esprit & les connoissances. (D. J.)

Mode ; ce terme est pris généralement pour toute invention, tous usages introduits dans la société par la fantaisie des hommes. En ce sens, on dit l’amour entre les époux, le vrai génie, la solide éloquence parmi les savans ; cette gravité majestueuse qui, dans les magistrats, inspiroit tout-à-la-fois le respect & la confiance au bon droit, ne sont plus de mode. On a substitué à celui-là l’indifférence & la légereté, à ceux là le bel esprit & les phrases, à cette autre la mignardise & l’afféterie. Ce terme se prend le plus souvent en mauvaise part sans doute, parce que toute invention de cette nature est le fruit du rafinement & d’une présomption impuissante, qui, hors d’état de produire le grand & le beau, se tourne du côté du merveilleux & du colifichet.

Mode s’entend encore distributivement, pour me servir des termes de l’école, de certains ornemens, dont on enjolive les habits & les personnes de l’un & l’autre sexe. C’est ici le vrai domaine du changement & du caprice. Les modes se détruisent & se succedent continuellement quelquefois sans la moindre apparence de raison, le bizarre étant le plus souvent préferé aux plus belles choses, par cela seul qu’il est plus nouveau. Un animal monstrueux paroît-il parmi nous, les femmes le font passer de son étable sur leurs têtes. Toutes les parties de leur pature prennent son nom, & il n’y a point de femme comme il faut qui ne porte trois ou quatre rhinocéros ; une autre fois on court toutes les boutiques pour avoir un bonnet au lapin, aux zéphirs, aux amours, à la comete. Quoi qu’on dise du rapide changement des modes, cette derniere a presque duré pendant tout un printems ; & j’ai ouï dire à quelques-uns de ces gens qui font des réflexions sur tout, qu’il n’y avoit rien là de trop extraordinaire eu égard au goût dominant dont, continuent-ils, cette mode rappelle l’idée. Un dénombrement de toutes les modes passées & regnantes seulement en France, pourroit remplir, sans trop exagérer, la moitié des volumes que nous avons annoncés, ne remontât-t-on que de sept ou huit siecles chez nos ayeuls, gens néanmoins beaucoup plus sobres que nous à tous égards.

Mode, marchands & marchandes de, (Com.) les marchandes de modes sont du corps des Merciers, qui peuvent faire le même commerce qu’elles ; mais comme il est fort étendu, les marchands de modes se sont fixés à vendre seulement tout ce qui regarde les ajustemens & la parure des hommes & des femmes, & que l’on appelle ornemens & agrémens. Souvent ce sont eux qui les posent sur les habillemens, & qui inventent la façon de les poser. Ils font aussi des coëffures, & les montent comme les coëffeuses.

Ils tirent leurs noms de leur commerce, parce que ne vendant que choses à la mode, on les appelle marchands de modes.

Il y a fort peu de tems que ces marchands sont éta-