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phes, & quelque peu de clarté & de précision qu’il y ait dans les principes métaphysiques sur lesquels ils s’efforcent de l’appuyer, nous n’entreprendrons point de la refuter ici : nous nous contenterons de remarquer que pour avoir une idée claire du mouvement, on ne peut se dispenser de distinguer au moins par l’esprit deux sortes d’étendue ; l’une qui soit regardée comme impénétrable, & qui constitue ce qu’on appelle proprement les corps ; l’autre, qui étant considérée simplement comme étendue, sans examiner si elle est pénétrable ou non, soit la mesure de la distance d’un corps à un autre, & dont les parties envisagées comme fixes & immobiles, puissent servir à juger du repos ou du mouvement des corps. Il nous sera donc toujours permis de concevoir un espace indéfini comme le lieu des corps, soit réel, soit supposé, & de regarder le mouvement comme le transport du mobile d’un lieu dans un autre.

La considération du mouvement entre quelquefois dans les recherches de la Géométrie pure ; c’est ainsi qu’on imagine souvent les lignes droites ou courbes engendrées par le mouvement continu d’un point, les surfaces par le mouvement d’une ligne, les solides enfin par celui d’une surface. Mais il y a entre la Méchanique & la Géométrie cette différence, non seulement que dans celle-ci la génération des figures par le mouvement est pour ainsi dire arbitraire & de pure élégance, mais encore que la Géométrie ne considere dans le mouvement que l’espace parcouru, au lieu que dans la Méchanique on a égard de plus au tems que le mobile emploie à parcourir cet espace.

On ne peut comparer ensemble deux choses d’une nature différente, telles que l’espace & le tems : mais on peut comparer le rapport des parties du tems, avec celui des parties de l’espace parcouru. Le tems par sa nature coule uniformément, & la Méchanique suppose cette uniformité. Du reste, sans connoître le tems en lui-même, & sans avoir de mesure précise, nous ne pouvons représenter plus clairement le rapport de ses parties, que par celui des portions d’une ligne droite indéfinie. Or l’analogie qu’il y a entre le rapport des parties d’une telle ligne, & celui des parties de l’espace parcouru par un corps qui se meut d’une maniere quelconque, peut toujours être exprimée par une équation. On peut donc imaginer une courbe, dont les abscisses représentent les portions du tems écoulé depuis le commencement du mouvement, les ordonnées correspondantes désignant les espaces parcourus durant ces portions de tems : l’équation de cette courbe exprimera non le rapport des tems aux espaces, mais si on peut parler ainsi, le rapport du rapport que les parties de tems ont à leur unité, à celui que les parties de l’espace parcouru ont à la leur. Car l’équation d’une courbe peut être considérée ou comme exprimant le rapport des ordonnées aux abscisses, ou comme l’équation entre le rapport que les ordonnées ont à leur unité, & le rapport que les abscisses correspondantes ont à la leur.

Il est donc évident que par l’application seule de la Géométrie & du calcul, on peut, sans le secours d’aucun autre principe, trouver les propriétés générales du mouvement, varié suivant une loi quelconque. Mais comment arrive-t-il que le mouvement d’un corps suive telle ou telle loi particuliere ? C’est sur quoi la Géométrie seule ne peut rien nous apprendre ; & c’est aussi ce qu’on peut regarder comme le premier problème qui appartienne immédiatement à la Méchanique.

On voit d’abord fort-clairement qu’un corps ne peut se donner le mouvement à lui-même. Il ne peut donc être tiré du repos que par l’action de quelque cause étrangere. Mais continue-t-il à se mouvoir de lui-même, ou a-t-il besoin pour se mouvoir de l’ac-

tion répétée de la cause ? Quelque parti qu’on pût

prendre là-dessus, il sera toujours incontestable que l’existence du mouvement étant une fois supposée sans aucune autre hypothese particuliere, la loi la plus simple qu’un mobile puisse observer dans son mouvement, est la loi d’uniformité, & c’est par conséquent celle qu’il doit suivre.

Le mouvement est donc uniforme par sa nature ; j’avoue que les preuves qu’on a données jusqu’à-présent de ce principe, ne sont peut-être pas fort-convaincantes. On verra à l’article Force d’Inertie, les difficultés qu’on peut y opposer, & le chemin que j’ai pris pour éviter de m’engager à les résoudre. Il me semble que cette loi d’uniformité essentielle au mouvement considéré en lui-même, fournit une des meilleures raisons sur lesquelles la mesure du tems par le mouvement uniforme, puisse être appuyée. Voyez Uniforme.

La force d’inertie, c’est-à-dire la propriété qu’ont les corps de persévérer dans leur état de repos ou de mouvement, étant une fois établie, il est clair que le mouvement qui a besoin d’une cause pour commencer au-moins à exister, ne sauroit non plus être accéleré ou retardé que par une cause étrangere. Or quelles sont les causes capables de produire ou de changer le mouvement dans les corps ? Nous n’en connoissons jusqu’à-présent que de deux sortes ; les unes se manifestent à nous en même tems que l’effet qu’elles produisent, ou plutôt dont elles sont l’occasion : ce sont celles qui ont leur source dans l’action sensible & mutuelle des corps, résultante de leur impénétrabilité ; elles se réduisent à l’impulsion & à quelques autres actions dérivées de celles-là : toutes les autres causes ne se font connoître que par leur effet, & nous en ignorons entierement la nature : telle est la cause qui fait tomber les corps pesans vers le centre de la terre, celle qui retient les planetes dans leurs orbites, &c.

Nous verrons bien-tôt comment on peut déterminer les effets de l’impulsion & des causes qui peuvent s’y rapporter : pour nous en tenir ici à celles de la seconde espece, il est clair que lorsqu’il est question des effets produits par de telles causes, ces effets doivent toujours être donnés indépendamment de la connoissance de la cause, puisqu’ils ne peuvent en être déduits ; sur quoi voyez Accélératrice.

Nous n’avons fait mention jusqu’à présent, que du changement produit dans la vîtesse du mobile par les causes capables d’altérer son mouvement : & nous n’avons point encore cherché ce qui doit arriver, si la cause motrice tend à mouvoir le corps dans une direction différente de celle qu’il a déja. Tout ce que nous apprend dans ce cas le principe de la force d’inertie, c’est que le mobile ne peut tendre qu’à décrire une ligne droite, & à la décrire uniformément : mais cela ne fait connoître ni sa vîtesse, ni sa direction. On est donc obligé d’avoir recours à un second principe, c’est celui qu’on appelle la composition des mouvemens, & par lequel on détermine le mouvement unique d’un corps qui tend à se mouvoir suivant différentes directions à la fois avec des vîtesses données. Voyez Composition du mouvement.

Comme le mouvement d’un corps qui change de direction, peut être regardé comme composé du mouvement qu’il avoit d’abord, & d’un nouveau mouvement qu’il a reçu, de même le mouvement que le corps avoit d’abord peut être regardé comme composé du nouveau mouvement qu’il a pris, & d’un autre qu’il a perdu. De-là il s’ensuit, que les lois du mouvement changé par quelques obstacles que ce puisse être, dépendent uniquement des lois du mouvement, détruit par ces mêmes obstacles. Car il est évident qu’il suffit de décomposer le mou-