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c’est le rendre plus libre & plus léger du devant que du derriere, afin qu’il ait plus de grace dans ses airs de manege. Lorsqu’on veut allégerir un cheval, il faut qu’en le faisant troter, on le sente toûjours disposé à galopper ; & que l’ayant fait galopper quelque tems, on le remette encore au trot. Ce cheval est si pesant d’épaules & si attaché à la terre, qu’on a de la peine à lui rendre le devant léger, quand même l’on se serviroit pour l’allégerir du caveçon à la Newcastle. Ce cheval s’abandonne trop sur les épaules, il faut l’allégerir du devant & le mettre sous lui. (V)

ALLEGORIE, s. f. (Littérat.) figure de Rhétorique par laquelle on employe des termes qui, pris à la lettre, signifient toute autre chose que ce qu’on veut leur faire signifier. L’allégorie n’est proprement autre chose qu’une métaphore continuée, qui sert de comparaison pour faire entendre un sens qu’on n’exprime point, mais qu’on a en vûe. C’est ainsi que les Orateurs & les Poëtes ont coûtume de représenter un état sous l’image d’un vaisseau, & les troubles qui l’agitent sous celle des flots & des vents déchaînés ; par les Pilotes, ils entendent les Souverains ou les Magistrats ; par le port, la paix ou la concorde. Horace fait un pareil tableau de sa patrie prête à être replongée dans les horreurs d’une guerre civile, dans cette belle ode qui commence ainsi :

O navis, reserent in mare te novi
Fluctus, &c.

La plûpart des Théologiens trouvent l’ancien Testament plein d’allégories & de sens typiques qu’ils rapportent au nouveau : mais on convient que le sens allégorique, à moins qu’il ne soit fondé sur une tradition constante, ne forme pas un argument sur comme le sens littéral. Sans cette sage précaution, chaque fanatique trouveroit dans l’Ecriture dequoi appuyer ses visions. En effet c’est en matiere de religion surtout, que l’allégorie est d’un plus grand usage. Philon le Juif a fait trois livres d’allégories sur l’histoire des six jours. Voyez Hexameron. Et l’on sait assez quelle carriere les Rabbins ont donnée à leur imagination dans le Talmud & dans leurs autres Commentaires.

Les Payens eux-mêmes faisoient grand usage des allégories, & cela avant les Juifs ; car quelques-uns de leurs Philosophes voulant donner des sens raisonnables à leurs fables & à l’histoire de leurs dieux, prétendirent qu’elles signifioient toute autre chose que ce qu’elles portoient à la lettre ; & de là vint le mot d’allégorie, c’est-à-dire un discours qui, à le prendre dans son sens figuré ἀλλὸ ἀγορεύει, signifie toute autre chose que ce qu’il énonce. Ils eurent donc recours à cet expédient pour contenter de leur mieux ceux qui étoient choqués des absurdités dont les Poëtes avoient farci la religion, en leur insinuant qu’il ne falloit pas prendre à la lettre ces fictions, qu’elles contenoient des mysteres, & que leurs dieux avoient été des personnages tout autrement respectables que ne les dépeignoit la Mythologie, dont ils donnerent des explications telles qu’ils les vouloient imaginer : ensorte qu’on ne vit plus dans les fables que ce qui n’y étoit réellement pas ; on abandonna l’historique qui révoltoit, pour se jetter dans la mysticité qu’on n’entendoit pas.

M. de la Nause dans un discours sur l’origine & l’antiquité de la cabale, inséré dans le tome IX. de l’Académie des Belles-Lettres, prétend que ce n’étoit point pour se cacher, mais pour se mieux faire entendre, que les Orientaux employoient leur style figuré, les Egyptiens leurs hiéroglyphes, les Poetes leurs images, & les Philosophes la singularité de leurs discours, qui étoient autant d’especes d’allégories. En ce cas il faudra dire, que l’explication étoit plus obscure que le texte, & l’expérience le prouva bien ; car

on brouilla si bien les signes figuratifs avec les choses figurées, & la lettre de l’allégorie avec le sens qu’on prétendoit qu’elle enveloppoit, qu’il fut très-difficile, pour ne pas dire impossible, de démêler l’un d’avec l’autre. Les Platoniciens surtout donnoient beaucoup dans cette méthode : & le desir de les imiter en transportant quelques-unes de leurs idées aux mysteres de la véritable religion, enfanta dans les premiers siecles de l’Eglise les hérésies des Marcionites, des Valentiniens, & de plusieurs autres compris sous le nom de Gnostiques.

C’étoit de quelques Juifs récemment convertis, tels qu’Ebion, que cette maniere de raisonner s’étoit introduite parmi les Chrétiens. Philon, comme nous l’avons déjà dit, & plusieurs autres Docteurs Juifs s’appliquoient à ce sens figuré, flatteur pour certains esprits par la nouveauté & la singularité des découvertes qu’ils s’imaginent y faire. Quelques Auteurs des premiers siecles du Christianisme, tels qu’Origene, imiterent les Juifs & expliquerent aussi l’ancien & le nouveau Testament par des allégories. Voyez Allégorique & Prophétie.

Quelques Auteurs, & entre autres le P. le Bossu, ont pensé que le sujet du Poëme épique n’étoit qu’une maxime de morale allégoriée, qu’on revêtoit d’abord d’une action chimérique, dont les acteurs étoient A & B ; qu’on cherchoit ensuite dans l’histoire quelque fait intéressant, dont la vérité mise avec le fabuleux pût donner au Poëme quelque vraissemblance, & qu’ensuite on donnoit des noms aux acteurs, comme Achille, Enée, Renaud, &c. Voyez ce qu’on doit penser de cette prétension sous le mot Epopée ou Poeme Epique. (G)

ALLEGORIQUE, adj. (Théol.) ce qui contient une allegorie. Voyez Allegorie. Les Théologiens distinguent dans l’Ecriture deux sortes de sens en général, le sens littéral & le sens mystique. V. Sens Litteral & Mystique.

Ils subdivisent le sens mystique en allegorique, tropologique & anagogique.

Le sens allégorique est celui qui résulte de l’application d’une chose accomplie à la lettre, mais qui n’est pourtant que la figure d’une autre chose : ainsi le serpent d’airain élevé par Moyse dans le desert pour guérir les Israëlites de leurs plaies, représentoit dans un sens allégorique Jesus-Christ élevé en croix pour la rédemption du genre humain.

Les anciens Interpretes de l’Ecriture se sont fort attachés aux sens allégoriques. On peut s’en convaincre en lisant Origene, Clément d’Alexandrie, &c. mais ces allégories ne sont pas toûjours des preuves concluantes, à moins qu’elles ne soient indiquées dans l’Ecriture même, ou fondées sur le concert unanime des Peres.

Le sens allégorique proprement dit, est un sens mystique qui regarde l’Eglise & les matieres de religion. Tel est ce point de doctrine que S. Paul explique dans son Epître aux Galates : Abraham duos filios habuit, unum de ancillâ, & unum de liberâ : sed qui de ancillâ, secundum carnem natus est ; qui autem de liberâ, per repromissionem : quæ sunt per Allegoriam dicta. Voilà l’allégorie ; en voici le sens & l’application à l’Eglise & à ses enfans : Hæc enim sunt duo testamenta ; unum quidem in monte Sina, in servitutem generans ; quæ est Agar . . . . Illa autem quæ sursum est Jerusalem libera est, quæ est mater nostra . . . . Nos autem fratres, secundum Isaac promissionis filii sumus . . . . Non sumus ancillæ filii, sed liberæ ; quâ libertate Christus nos liberavit. Galat. cap. jv. vers. 23. 24. 25. 26. 29. 31. (G)

* ALLEGRANIA, (Géog.) petite isle d’Afrique, l’une des Canaries, au nord de la Gracieuse, au nord-ouest de Rocca, & au nord-est de Sainte-Claire.

* ALLEGRE ou ALEGRE, ville de France en