Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 8, 1865.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée

n’en ferme l’accès : si donc quelques-uns s’obstinent à demeurer dehors, c’est par leur propre faute qu’ils périssent : « Il était dans le monde » ; mais ce n’est pas à dire qu’il fût du même âge que le monde loin de nous une pareille pensée. Voilà pourquoi l’évangéliste ajoute : « Et le monde a été fait par lui », par où il vous ramène à l’existence du Fils unique avant les siècles : car celui qui est une fois instruit que tout ce vaste univers est l’ouvrage de ses mains (manquât-il tout à fait de raison, fût-il ennemi déclaré de la gloire de Dieu) est forcé de confesser malgré lui que le Créateur est avant les créatures.
Voilà pourquoi la folie de Paul de Samosate m’étonne toujours davantage : j’admire qu’il ait pu combattre une vérité si lumineuse et si éclatante, et se jeter de gaieté de cœur dans le précipice : car il n’est pas tombé dans l’erreur par ignorance, il l’a embrassée avec pleine connaissance de la vérité comme les Juifs. En effet, comme ceux-ci l’ont trahie par complaisance pour les hommes (ils savaient que Jésus-Christ était le Fils unique de Dieu, mais ils ne l’ont pas confessé par crainte de leurs princes, et pour n’être pas chassés de la synagogue), on rapporte de même que l’autre a trahi sa conscience et perdu son salut par complaisance pour une certaine femme[1]. Et certes la vaine gloire est un cruel et très-dangereux tyran ; elle peut aveugler les yeux des sages mêmes, s’ils ne sont vigilants et attentifs. Si les présents ont ce pouvoir, cette passion, bien plus forte, le peut encore davantage. Voilà pourquoi Jésus-Christ disait aux Juifs : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire des hommes, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? » (Jn. 5,44)
« Et le monde ne l’a point connu (10) ». L’évangéliste appelle ici le monde cette multitude de gens corrompus qui n’a de goût et d’empressement que pour les choses de la terre, la foule, la populace, le peuple insensé ; car les amis de Dieu, les grands hommes, l’avaient tous connu, avant même son incarnation. Jésus-Christ le dit nommément du grand patriarche : « Abraham votre père », dit-il, « a désiré avec ardeur de voir mon jour : il l’a vu, et il en a été rempli de joie ». (Jn. 8,56) Et de même de David, en disputant contre les Juifs : « Comment donc », leur dit-il, « David l’appelle-t-il en esprit son Seigneur par ces paroles : le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite ? » (Mt. 22,43) Souvent aussi en les combattant il nomme Moïse ; l’apôtre saint Pierre le déclare des autres prophètes, car il assure que tous les prophètes, depuis Samuel, ont connu Jésus-Christ, et ont prédit son avènement longtemps auparavant : « Tous les prophètes », dit-il, « qui sont venus de temps en temps depuis Samuel, ont prédit ce qui est arrivé en ces jours ». (Act. 3,24) Il s’est fait voir, et il a parlé à Jacques et à son père, et même à son grand-père (1Cor. 15,5-8) ; il leur a fait beaucoup et de très-grandes promesses, et il les a effectivement accomplies.
Pourquoi, répliquerez-vous, dit-il donc lui-même : « Beaucoup de prophètes ont souhaité de voir ce que vous voyez et ne l’ont point vu, et d’entendre ce que vous entendez et ne l’ont point entendu ? » (Lc. 10,24) Est-ce qu’ils n’en ont point eu la connaissance ? Ils l’ont eue sûrement, et je tâcherai de le démontrer par le même endroit par lequel quelques-uns croient prouver le contraire. Jésus-Christ dit : « Beaucoup ont souhaité de voir ce que vous voyez ». Ils ont donc connu qu’il devait venir parmi les hommes, et accomplir ce qu’il a véritablement accompli : car s’ils n’avaient point eu cette connaissance, ils n’auraient pas formé ce souhait. Personne, en effet, ne peut désirer de voir ce dont il n’a nulle connaissance, nulle idée. C’est pourquoi ils ont connu le Fils de Dieu, et ils ont su qu’il devait venir parmi les hommes.
Quelles sont donc ces choses qu’ils n’ont point connues, qu’ils n’ont point entendues ? Ce sont celles-là même que vous voyez et que vous entendez maintenant. Les prophètes ont entendu sa voix et l’ont vu ; mais ils ne l’ont pas vu incarné, conversant avec les hommes, leur parlant familièrement : voilà ce que Jésus-Christ déclare lui-même ; car il n’a pas dit simplement : Ils ont désiré de me voir. Mais qu’a-t-il dit ? « Ils ont désiré de voir ce que vous voyez ». Il n’a pas dit : ils ont désiré de m’entendre ; mais : « Ils ont désiré d’entendre ce que vous entendez ». C’est pourquoi, s’ils n’ont pas vu son avènement dans la chair, du moins ils ont connu que Celui qu’ils désiraient de voir viendrait un jour dans le monde, et

  1. Zénobie, reine de Palmyre.