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et lisses comme le marbre ; puisque l’on me montre, à moi, Paul versant des larmes, je laisserai l’habitué du théâtre regarder la vierge, et je m’empresserai d’aller contempler Paul. Car c’est des yeux de Paul que jaillissent les rayons de la beauté immatérielle. La beauté matérielle transporte, brûle et enflamme le cœur de la jeunesse ; la beauté spirituelle apaise les sens. Quand on voit ces yeux qui pleurent, les yeux de l’âme deviennent plus beaux, on met un frein à Sa sensualité, on se sent rempli de sagesse et de commisération, un cœur de bronze est capable de s’amollir.
Ces larmes de Paul arrosent le sol de l’Église et engendrent des âmes. Ces larmes peuvent éteindre le feu qui dévore le corps et les sens ces larmes éteignent les traits enflammés de l’esprit malin. Songeons donc à ces larmes et nous nous rirons de tous les biens de la vie présente. C’étaient ces larmes que le Christ appelait des larmes bienheureuses, quand il disait : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’un jour ils seront dans la joie ». (Mt. 5,5) Voilà les larmes que versaient Isaïe et Jérémie. Isaïe disait : « Laissez-moi partir ; laissez-moi répandre des larmes amères ». (Is. 22,4) Jérémie disait. « Qui changera mes yeux en deux sources de larmes » (Jer. 9,1), comme si la source naturelle de ces larmes ne lui suffisait pas. Rien de plus doux que de pareilles larmes ; elles sont plus douces que le rire de la gaîté. Ils savent bien, ceux qui pleurent, quelle consolation on éprouve à pleurer. Ne demandons pas à Dieu d’éloigner de nous les larmes ; demandons-lui plutôt de pouvoir pleurer. Souvenons-nous de ces larmes et de ces liens pour avoir le cœur content, en pensant aux pécheurs. Les larmes de Paul coulaient donc sur ses liens ; mais la mort de ses bourreaux l’empêchait de goûter le charme de ces mêmes liens. Il pleurait sur ces bourreaux, en vrai disciple de Celui qui pleurait sur le sort des prêtres juifs, non pas parce qu’ils devaient le faire mettre en croix, mais parce qu’ils devaient périr. Non content d’agir ainsi, le maître exhorte ses disciples à l’imiter, en disant : « Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem ». (Lc. 23,28)
Oui, les yeux de Paul ont contemplé le paradis, ils ont contemplé le troisième ciel ; mais, selon moi, ils sont moins heureux encore d’avoir eu ce privilège que d’avoir versé les larmes, à travers lesquelles ils ont vu le Christ. Voilà ce qui a fait leur véritable bonheur ; car Paul lui-même se vante d’avoir joui de ce spectacle, en ces termes : « N’ai-je pas vu Jésus-Christ Notre-Seigneur ? » (1Cor. 9,1) Mais c’est un plus grand bonheur encore de pleurer, comme Paul pleurait. Beaucoup ont été admis à voir le Christ, et ceux qui n’y ont pas été admis sont aussi proclamés heureux par le Christ, qui s’écrie : « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » (Jn. 20,29) Mais peu de gens ont obtenu ce privilège. Si, en effet, pour travailler au salut de ses frères, mieux vaut rester sur cette terre que de trouver dans la mort un moyen de se réunir au Christ, il est encore plus nécessaire de gémir pour sauver ses frères que de voir le Christ. S’il est plus désirable d’être dans la géhenne pour ses frères que d’être avec le Christ, il est plus désirable aussi d’être séparé du Christ pour l’amour de ses frères que d’être avec lui. C’est ce que disait saint Paul « Pour mes frères, je voudrais être anathème et séparé du Christ ». (Rom. 9,3) À plus forte raison doit-on désirer d’être condamné aux larmes pour ses frères. Je n’ai pas cessé, dit l’apôtre, d’avertir chacun de vous, en pleurant. (Act. 20,31) Pourquoi ? Ce n’était point par crainte des périls. Mais, semblable à un ami qui, assis au chevet d’un malade, ignore comment tout cela finira, et qui pleure, parce qu’il tremble pour les jours de son ami, saint Paul pleurait sur les âmes faibles que ses avis ne pouvaient ramener. C’est ce que faisait le Christ, qui voulait voir si ses larmes seraient respectées. Rencontrait-il un pécheur, il l’avertissait. Le pécheur s’éloignait, en lui crachant au visage ; alors le Christ pleurait, pour le ramener à lui.
4. Souvenons-nous de ces larmes. C’est ainsi que nous devons élever nos fils et nos filles. Pleurons sur eux, quand nous les voyons en proie à la maladie du péché. O femmes, qui voulez être aimées, souvenez-vous des larmes de Paul, et gémissez ; ô femmes si heureuses aux yeux du monde, vous qui goûtez les douceurs de l’hymen et qui vivez au sein des plaisirs, souvenez-vous de ces larmes ; vous tous qui êtes dans le deuil, échangez vos larmes contre celles de l’apôtre. Ce n’était pas sur les morts qu’il pleurait ; c’était sur les vivants qui couraient à leur perte. Dois-je citer d’autres exemples ? Il pleurait aussi, Timothée, le disciple de l’apôtre, et voilà pourquoi saint Paul lui