Au cours de l’été de 1547, je reçus un avertissement pendant que mon plus jeune fils était malade à Pavie : il me semblait qu’il était sur le point de mourir, et je m’évanouissais. Je me réveille, et au même instant accourt une servante qui me dit : « Levez-vous, je pense qu’Aldo va mourir ». « Qu’y a-t-il ? » « Il a les yeux révulsés et il est étendu immobile. » Je me lève, je lui fais prendre une poudre de perles et de pierres précieuses en quoi j’avais confiance ; il rend, je la lui donne une deuxième fois. Il garda le remède, dormit, sua et en trois jours fut rétabli.
De telles faveurs sont réservées aux hommes à la piété agissante, fermes dans leur foi en Dieu, prudents dans leurs desseins, sachant, en vue d’une fin salutaire, comme des pères de famille prévoyants, saisir les occasions utiles de conserver le corps et l’âme qui y est étroitement unie, en se servant de la méthode la plus convenable de traitement. Et cette méthode, si d’autres veulent l’imiter, ils se rendent ridicules comme de vains prophètes, car ce sont des choses qui ne se peuvent réduire en règles. Ce malheureux est celui qui m’a donné tant de peines[1].
J’ai vu encore bien d’autres songes étonnants et incroyables, que j’omets ici volontairement. Ces prodiges, mes pensées de divers genres, mes songes, les (177) quatre accidents dont trois ont déjà été racontés, c’est-à-dire le contrat de Magenta, ma chute dans la mer, l’écroulement de ma maison et dont le quatrième, l’étonnante histoire des aiguillettes, sera rapporté plus loin[2], — tout cela, je dois le reconnaître comme des faveurs de Dieu. Mais personne ne pourrait établir comme une règle commune ce qui m’est arrivé de ce genre, soit par accident, soit dans des circonstances passagères, soit dans les rêves. Il serait largement et peut-être gravement déçu. Il ne le serait pas moins celui qui voudrait les rapporter à mes mérites. Ce sont en effet des dons de la libéralité divine qui ne doit rien à personne et encore moins à moi. On se trompe beaucoup en les attribuant à mon zèle, à mes travaux, à mes études qui auraient à peine pu en réaliser la millième partie. L’erreur la plus grave est celle des gens qui ont supposé que j’avais simulé tout cela pour le soin d’une vaine gloire, dont je suis bien éloigné. Enfin, pourquoi voudrais-je souiller de ces balivernes frivoles et de ces contes ridicules un mérite qui ne m’est pas seulement naturel (si vous voulez) mais qui, je le sais, vient de Dieu.
- ↑ C’est son plus jeune fils Aldo. Voir chap. XXVII n. 6, XXV n. 3 et XLI.
- ↑ Il y a bien dans le texte dont j’ai parlé plus haut, mais l’anecdote n’est racontée qu’au chap. XLIX.