Ma vie (Cardan)/Chapitre XXV

Traduction par Jean Dayre.
Texte établi par Jean DayreHonoré Champion (p. 57-58).

XXV

PAUVRETÉ ET PERTES DANS MA FORTUNE

(94) Pauvre, sans être ni avide de gains ni attaché à la vaine et ambitieuse dignité de la parure, j’ai souffert de continuels dommages : l’écroulement de ma maison, la guerre presque continuelle dans ma patrie et des impôts insupportables, une domesticité nombreuse, les attaques de mes rivaux, les refus prolongés du Collège[1], et quelquefois ma prodigalité et mon irréflexion ; les infirmités, les vols qui me dépouillaient, mes dépenses excessives pour des achats de livres, les changements continuels — je ne sais si je puis les dire plus fréquents d’une ville à l’autre ou d’une maison à l’autre dans la même ville ; — mon séjour sans profit à Gallarate où en dix-neuf mois je ne gagnai même pas les vingt-cinq écus de mon loyer ; la malchance aux dès qui me fit mettre en gage les bijoux de ma femme et nos meubles. Avec tout cela il est bien étonnant que j’aie pu me passer de tout secours, bien plus, que dans ce dénuement je n’aie pas mendié, et, plus encore, que je n’aie jamais accepté ni envisagé rien d’indigne de mes ancêtres, (95) de la vertu, des honneurs dont j’avais été auparavant revêtu et dont je fus plus tard couvert ; mais je supportai tout d’une âme égale, au long de quinze années, et sans vouloir profiter d’une charge de médecin public. Mais, dira-t-on, par quel moyen as-tu subsisté ? As-tu donné des leçons particulières ? — Non. — As-tu obtenu des prêts sans gages ? — Non. — As-tu sollicité des cadeaux ? — Je n’en aurais point trouvé, je pense, et j’en aurais eu honte. — Peut-être as-tu économisé sur la nourriture ? — Même pas cela. — Et quoi donc ? — J’écrivais des almanachs[2], j’enseignais publiquement dans les écoles platiniennes, je gagnais quelque chose à exercer la médecine, chaque domestique était employé à un travail lucratif ; les Archinti m’aidaient de quelques petits présents, je vendais des consultations, je guettais les occasions, j’imitais le travail du glaneur, je m’abstenais de toute dépense de vêtement. Ainsi je supportai la fortune contraire pour savoir, dans un sort plus favorable, mieux employer mes gains.


  1. Voir chap. IV, note 3.
  2. On en connaît un Pronostico o uero indicio generale composto per lo eccellente messer Hieronymo Cardano… dal 1534 insino al 1550 con molti capitoli eccellenti, Venise, 1534, in-4, 6 ff.