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forme ressemble à celle des couteaux de sacrifice. On y trouve aussi des noisettes, des glands et des cônes de sapins en grande quantité. Plusieurs autres endroits marécageux de l’Angleterre et de l’Irlande sont remplis de troncs d’arbres, aussi bien que les marais de France et de Suisse, de Savoie et d’Italie. (Voyez Trans. Phil. Abr., vol. IV, p. 218, etc.)

Dans la ville de Modène et à quatre milles aux environs, en quelque endroit qu’on fouille, lorsqu’on est parvenu à la profondeur de 63 pieds et qu’on a percé la terre à 5 pieds de profondeur de plus avec une tarière, l’eau jaillit avec une si grande force, que le puits se remplit en fort peu de temps presque jusqu’au-dessus ; cette eau coule continuellement et ne diminue ni n’augmente par la pluie ou par la sécheresse. Ce qu’il y a de remarquable dans ce terrain, c’est que lorsqu’on est parvenu à 14 pieds de profondeur, on trouve les décombrements et les ruines d’une ancienne ville, des rues pavées, des planchers, des maisons, différentes pièces de mosaïque ; après quoi on trouve une terre assez solide et qu’on croirait n’avoir jamais été remuée ; cependant au-dessous on trouve une terre humide et mêlée de végétaux, et à 26 pieds des arbres tout entiers, comme des noisetiers avec les noisettes dessus, et une grande quantité de branches et de feuilles d’arbres ; à 28 pieds on trouve une craie tendre mêlée de beaucoup de coquillages, et ce lit a 11 pieds d’épaisseur ; après quoi on retrouve encore des végétaux, des feuilles et des branches, et ainsi alternativement de la craie et une terre mêlée de végétaux jusqu’à la profondeur de 63 pieds, à laquelle profondeur est un lit de sable mêlé de petit gravier et de coquilles semblables à celles qu’on trouve sur les côtes de la mer d’Italie : ces lits successifs de terre marécageuse et de craie se trouvent toujours dans le même ordre, en quelque endroit qu’on fouille, et quelquefois la tarière trouve de gros troncs d’arbres qu’il faut percer, ce qui donne beaucoup de peine aux ouvriers ; on y trouve aussi des os, du charbon de terre, des cailloux et des morceaux de fer. Ramazzini, qui rapporte ces faits, croit que le golfe de Venise s’étendait autrefois jusqu’à Modène et au delà, et que, par la succession des temps, les rivières, et peut-être les inondations de la mer, ont formé successivement ce terrain.

Je ne m’étendrais pas davantage ici sur les variétés que présentent ces couches de nouvelle formation ; il suffit d’avoir montré qu’elles n’ont pas d’autres causes que les eaux courantes ou stagnantes qui sont à la surface de la terre, et qu’elles ne sont jamais aussi dures ni aussi solides que les couches anciennes qui se sont formées sous les eaux de la mer.





ARTICLE XIX

DES CHANGEMENTS DE TERRES EN MERS, ET DE MERS EN TERRES.



Il paraît, par ce que nous avons dit dans les articles i, vii, viii et ix, qu’il est arrivé au globe terrestre de grands changements qu’on peut regarder comme généraux, et il est certain, par ce que nous avons rapporté dans les autres articles, que la surface de la terre a souffert des altérations particulières : quoique l’ordre, ou plutôt la succession de ces altérations ou de ces changements particuliers ne nous soit pas bien connue, nous en connaissons cependant les causes principales, nous sommes même en état d’en distinguer les différents effets ; et, si nous pouvions rassembler tous les indices et tous les faits que l’histoire naturelle et l’histoire civile nous fournissent au sujet des révolutions arrivées à la surface de la terre, nous ne doutons pas que la théorie que nous avons donnée n’en devînt bien plus plausible.