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INTRODUCTION

Mais il a compté sans les curieux qui pourraient un jour comparer ses trois textes entre eux et les confronter avec les textes du poète. Or l’examen de ces textes, ainsi rapprochés les uns des autres et de leurs vraies sources, conduit à des constatations qui ne sont pas toujours à son avantage. Cinq de ces prétendues conversations ne sont que la transcription de faits ou d’opinions qui se trouvent imprimés dans les œuvres mêmes de Ronsard (les nos 4, 5, 8, 9 et 10) ; quelques-unes reproduisent jusqu’aux expressions qui sont sorties de la plume du poète, parfois même la transcription est littérale[1].

Il y a plus : l’étude des variantes montre que certaines de ces confidences sont entièrement fictives. Prenons le no 3. Non seulement Binet change dans sa deuxième rédaction « il m’a dit maintes fois » en « il m’a dit autrefois » ; non seulement ces derniers mots mêmes disparaissent de la troisième rédaction, mais encore cette troisième rédaction contredit nettement l’affirmation que précédemment Binet prétendait avoir reçue de la bouche de Ronsard. Évidemment, en dépit de cette prétention, Binet ne savait rien sur Cassandre quand Ronsard mourut, sauf ce qu’il pouvait recueillir dans les œuvres du poète, et son opinion n’est rien qu’une façon d’interpréter le vers qu’il cite. Dix ans plus tard, une connaissance plus intime du texte des Amours et de son Commentaire l’a conduit à changer d’opinion, mais cette fois encore il substitue simplement le sens de la devise grecque citée dès sa deuxième édition, à celui du vers cité dans la première, sans apporter de nouveaux arguments[2]. — On peut faire des remarques analogues sur le no 6. La prétendue confidence relative aux sentiments de Ronsard pour Hélène, introduite dans la deuxième rédaction, disparaît dix ans plus tard, remplacée par une anecdote que Ronsard n’aurait pas manqué de raconter à Binet, si vraiment il l’avait entretenu de ce sujet, et si, en outre, l’anecdote était authentique. Il est clair qu’à la mort de Ronsard, Binet ne connaissait de ses rapports avec Hélène que ce que lui révélait l’œuvre de Ronsard.

On voit combien le témoignage de Binet est sujet à caution. Il s’est arrangé de façon à produire cette impression qu’il avait eu avec Ronsard des relations prolongées et intimes, qu’il était devenu son plus cher confident, et qu’il tenait du poète lui-même la plus grande partie des renseignements contenus dans sa biographie, — depuis le début tout rempli de détails empruntés à l’autobiographie de Ronsard, jusqu’à cette fin, dont l’intention n’est pas douteuse, où Binet affirme qu’il alla voir Ronsard dès sa seizième année, et insinue qu’il ne cessa depuis de le fréquenter et de recevoir de lui les plus flatteuses marques d’estime, au point de voir ses écrits « honorés de la gloire qui regorgeoit en luy » et sa personne « aimée » comme celle d’un « fils » adoptif. Nous avons vu plus haut ce qu’on peut raisonnablement en croire. Il y a eu, cela n’est pas douteux, à un moment donné, entre le poète et lui des rapports assez familiers,

  1. V. pour ces passages le Commentaire, pp. 131, 160, 197-198, 201-202, 207.
  2. Ceci a été très bien observé par Mlle Evers ; et si, comme elle s’est plu à le dire, je fus amené en 1902 par diverses considérations à conclure que Binet savait peu de chose sur Cassandre, je ne puis mieux faire aujourd’hui que de reproduire son argumentation qui me paraît tout à fait probante.