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ET CRITIQUE

P. 19, l. 37. — conceüe. Binet veut dire : « Il a fort aimé Marie après avoir fait l’amour à Cassandre pendant dix ans, et il a quitté Marie par quelque jalousie conçue. » Les sources de cette addition de C se trouvent dans l’Elegie à son livre, prologue du Deuxiéme livre des Amours, dans quelques pièces où la jalousie de Ronsard est manifeste (Bl., I, 145, 148, 191, 403, 404), enfin dans ce passage d’une Elégie à Genevre :

Je m’espris en Anjou d’une belle Marie...
Mais, o cruel destin, pour ma trop longue absence
D’un autre serviteur elle a fait accointance. (Bl., IV, 229.)

Colletet, interprétant mal la phrase de Binet, a faussement écrit à propos de Cassandre : « Du moins, au rapport de Claude Binet, la quitta-t-il pour quelque jalousie conçue. » (Vie de Ronsard, éd. par Blanchemain, p. 60.)

P. 19, l. 39. — beaucoup. Source très probable, ces lignes signées R. Belleau, en note du sonnet Mes soupirs, mes amis (Bl., I, 178) : « ... Ce sonnet et le madrigal precedent, comme beaucoup d’autres de ce livre, sont fort simples et faits sans grand artifice, tout expres composez ainsi par nostre Autheur, comme il m’a dit, pour varier son style, tantost haut, tantost bas, tantost mediocre, selon qu’il l’a voulu, encores que la gravité luy fust propre et naturelle. » — Cf. la note du même au sonnet Marie levez-vous (Bl., I, 164) : « Ce ne sont que mignardises, lesquelles sont plus belles en leur simplicité que toutes les inventions alambiquées des Espagnols, et de quelques Italiens... »

Quant au jugement lui-même de Belleau et de Binet, il ne faudrait pas l’appliquer à tout le Deuxiéme livre des Amours, notamment aux chansons. Celles-ci, presque toutes imitées du poète néo-latin Marulle témoignent au contraire d’un « artifice » très visible dans la composition, et la « simplicité » ne s’y manifeste que dans le vocabulaire et par l’absence presque complète de mythologie. D’ailleurs l’expression « à la Catullienne » qu’emploie Binet est contestable, car l’art de Catulle est en général raffiné, et ce n’est pas sans raison qu’on a dit « doctus Catullus » (cf. Couat, thèse sur Catulle ; Lafaye, Catulle et ses modèles). Il est vrai que Ronsard lui-même a opposé le « beau style bas, populaire et plaisant » de Tibulle, d’Ovide et du « docte Catulle » à celui de Pindare (fin de l’Elegie à son livre, prologue du Deuxiéme livre des Amours) ; et il est encore vrai, comme l’a remarqué Belleau dans la préface de son Commentaire, que le style des poésies inspirées par Marie est plus simple et plus clair que le style des poésies inspirées par Cassandre. — Pour toute cette question, v. ma thèse sur Ronsard p. lyr., pp. 153 et suiv., 534 à 549.

P. 19, l. 43. — digerer. Cette phrase insérée en C vient de l’Epitre au Lecteur, préface de l’éd. princeps des Quatre prem. livres des Odes (1550) : « Pour telle vermine de gens ignorantement envieuse ce petit labeur n’est publié, mais pour les gentils esprits, ardans de la vertu et dedaignans mordre comme les mastins la pierre qu’ils ne peuvent digerer. « (Bl., II, 12.)

P. 20, l. 4. — de Savoye. En 1559, par son mariage avec Emmanuel Philibert, duc de Savoie, auquel le traité de Cateau-Cambrésis rendait