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ils ont donc empêché la mémoire de la nativité des saints de durer` toujours, afin que celle de leurs propres méfaits ne se conservât pas éternellement. Néanmoins, la précaution qu’ils ont prise est devenue inutile. À quoi leur sert, en effet, que nous ignorions le jour où les saints personnages ont souffert, puisque nous les reconnaissons pour des martyrs ? Ils n’ont, par conséquent, réussi à rien. Impossible à nous de savoir quel jour sont nés les saints qui ont souffert pour Jésus-Christ ; mais, tous les jours, ne rendons-nous pas hommage aux Prophètes qui ont versé leur sang pour défendre la cause de Dieu ? Ainsi le léger dommage causé à leur mémoire se trouve-t-il largement compensé, puisque, au lieu d’un jour dérobé à leur souvenir par l’oubli, on leur consacre tous les jours par les honneurs qu’on leur rend.
2. Les choses étant ainsi, pourquoi les fidèles n’ont-ils pas subi l’effet de la haine ou de la négligence des Juifs, à l’égard de saint Jean ? Pourquoi ne se souviennent-ils que de la nativité de lui seul ? Le voici. Au moment du martyre et de la mort du bienheureux Jean, le peuple chrétien était déjà formé, et si l’impiété des Juifs a négligé la culte de ce témoin du Sauveur, la piété des chrétiens l’a consacré. En effet, bien que le Christ l’ait envoyé sous l’empire de l’ancienne loi, il l’a fait connaître plutôt comme sort propre témoin que comme un prophète des Juifs ; la raison en est facile à saisir : c’est que, en prêchant la foi chrétienne, il a vraiment confessé celui qu’il avait précédé en qualité de précurseur. C’est que, en commençant de prime abord à faire connaître la doctrine évangélique, il a, en réalité, souffert le martyre pour la cause de celui dont il avait annoncé la venue. Nos livres saints font, à juste titre, courir le temps de la loi et des Prophètes jusqu’à celui de Jean-Baptiste ; car en lui s’est terminé le règne de l’ancienne loi, comme en lui a commencé le règne de la prédication nouvelle. Voulez-vous saisir plus parfaitement encore ma pensée ? Eh bien ! Remarquez-le : l’Évangéliste, dont on vous a lu tout à l’heure les écrits, fait partir son récit de l’époque où le bienheureux saint Jean a commencé à prêcher. Quel motif singulièrement plausible pour faire aller jusqu’à Jean le règne de la loi ? C’est à bon droit qu’on le reconnaît comme ayant mis fin à la loi ancienne, puisqu’il a établi, le premier, le règne de l’Évangile. Et non-seulement cela, car qu’est-ce qu’ajoute l’Évangéliste ? « Jean était dans le désert, baptisant et prêchant[1] ».
3. Ce que, au rapport de l’Écriture, saint Jean a prêché dans le désert, vous le savez tous parfaitement, bien-aimés frères. Par désert, par lieu caché, on entend le peuple Gentil, qui, on ne saurait le révoquer en doute, était encore à cette époque plongé dans la solitude, marchant loin de Dieu en de fausses voies, et vivant à 50 a manière des brutes et des animaux sauvages. Jean y fut donc envoyé pour prêcher le Verbe de Dieu et annoncer la foi du Christ ; aussi abandonna-t-il les villes des Juifs, selon cette parole de l’Écriture : « Le désert se réjouira et fleurira comme un lis[2] ». Comme nous l’avons dit, mes chers frères, le désert est l’emblème des Gentils, et les lis, celui des hommes saints et agréables au Très-Haut. Voilà pourquoi le Prophète a dit : « Le désert se réjouira et fleurira comme un lis ». Cette comparaison, faite par l’Écriture, des saints avec les lis, est très juste, puisque leur persévérance dans le bien leur en donne la blancheur et la suavité. Les saints n’ont-ils pas, en effet, mes bien-aimés, la blancheur la plus éclatante ? Ne répandent-ils pas autour d’eux un parfum d’agréable odeur ? La vivacité de leur éclat vient de leur pureté, et l’odeur qu’ils répandent a pour principe leur suavité ; car l’Apôtre l’a dit : « Nous sommes devant Dieu la bonne odeur de Jésus-Christ[3] ». Plantés par la main des Prophètes et des Apôtres dans le désert, c’est-à-dire dans l’Église, unis ensemble par les liens de la paix et d’une charité mutuelle, les lis ont servi à tresser au Christ une couronne toute blanche, suivant ce passage où l’Apôtre dit aux saints qu’ils sont sa couronne : « Mes frères, ma joie et ma couronne, maintenez-vous fermes dans le Seigneur[4] ».
4. « Jean fut donc prêchant dans le désert ». Oui, et c’est ce que dit, en d’autres termes, un autre Évangéliste : « La parole du Seigneur se fit entendre sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert[5] ». Pour nous faire toucher du doigt le berceau de l’Église naissante, et bien qu’il eût dit que Jean prêchait près du Jourdain, l’Écrivain sacré nous a fait connaître avec

  1. Mrc. 1, 4
  2. Isa. 35, 1
  3. 2Co. 2, 15
  4. Phi. 4, 1
  5. Luc. 3, 2