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donner des soufflets ; c’est pourquoi j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi. Il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse[1] ». Voilà bien la preuve qu’il n’a pas été exaucé, et qu’on n’a pas éloigné de lui l’ange de Satan. Mais pourquoi ? Parce que cela ne lui était pas utile. Par rapport au salut, la prière de Paul a donc été exaucée, quoiqu’elle ne l’ait pas été relativement à son désir. Que votre charité remarque en cela un grand mystère ; nous vous le recommandons, afin qu’au milieu de vos tentations, vous n’en perdiez point le souvenir. Par rapport au salut, les prières des saints sont exaucées en tout ; toujours elles sont écoutées favorablement, quand il est question du salut éternel : ils souhaitent y parvenir ; aussi, relativement à lui, voient-ils toujours leurs vœux exaucés.


7. Mais, remarquons-le bien, Dieu a différentes manières d’exaucer : pour les uns, il les exauce en ce qui concerne leur salut, sans obtempérer à leurs désirs ; quant aux autres, il se conforme à leurs volontés, sans avoir égard au salut de leur âme. Faites-y attention. Voici l’exemple d’un homme dont Dieu a négligé les désirs pour assurer son salut. Ecoute l’apôtre Paul, car Dieu lui a montré qu’il l’exauçait dans la vue de son salut : « Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse ». Tu as prié, tu as crié, tu as crié trois fois ; j’ai entendu tes cris dès le premier moment où ils sont montés vers moi ; je n’ai pas détourné mes oreilles ; je sais ce que je ferai ; tu voudrais voir s’éloigner de toi le médicament qui te tourmente ; je connais le mal dont tu souffres. Dieu l’a donc écouté en ce qui intéressait son salut, sans condescendre à ses vœux. Quels sont ceux aux volontés desquels Dieu se conforme, sans avoir égard à leur salut ? Il est facile, je pense, de trouver un méchant, un impie, dont Dieu favorise les désirs et néglige le salut. Si je te cite l’exemple d’un pareil homme, tu me diras sans doute : Tu me le désignes comme pécheur, parce qu’il a été juste ; s’il n’était pas juste, Dieu ne l’exaucerait pas. Je vais t’en citer un, sur la méchanceté et l’impiété duquel personne n’élève de doutes. Le diable a demandé Job, et il l’a obtenu[2]. Dans cette épître elle-même n’avez-vous pas lu que celui qui commet le péchéest né du diable[3] ? Non pas qu’il ait été créé par le diable, mais parce qu’il l’imite. N’est-il pas encore écrit de lui : « Il ne s’est pas tenu dans la vérité[4] ? » N’est-il pas cet antique serpent qui, par l’intermédiaire de la femme, a glissé le poison dans le cœur du premier homme[5] ? Ce fut lui qui conserva à Job sa femme, afin d’en faire pour ce malheureux, non pas un sujet de consolation, mais un instrument de tentation[6]. Le diable a lui-même demandé ce saint homme pour l’éprouver, et il l’a obtenu. L’Apôtre a conjuré le Seigneur d’éloigner de lui cet aiguillon de la chair, et sa demande a été repoussée ; et, néanmoins, l’Apôtre a été plus exaucé que le diable. En effet, quoique ses désirs n’aient pas abouti, Paul a été exaucé relativement au salut de son âme ; le diable l’a été dans ses volontés, mais pour sa damnation. Job lui a été abandonné pour être tenté, afin que, son épreuve finie, le démon fût tourmenté à son tour. Ceci, mes frères, se voit non-seulement dans les livres de l’Ancien Testament, mais encore dans l’Evangile. Au moment où il les chassait du corps d’un homme, les démons demandèrent au Sauveur la permission de se retirer dans un troupeau de porcs. Est-ce que le Sauveur ne pouvait pas leur dire qu’il leur défendait même d’aller là ? S’il n’y avait pas consenti, il est sûr qu’ils ne se seraient pas révoltés contre le roi du ciel et de la terre. Par une évidente et mystérieuse grâce, par une disposition toute particulière de sa providence, il les laissa donc se jeter dans un troupeau de porcs[7], afin de montrer que le diable règne en maître sur ceux qui se conduisent à la manière des pourceaux. Maintenant, les démons ont-ils été exaucés ? L’Apôtre ne l’a-t-il pas été ? Ou plutôt, ne devons-nous pas dire ce qui est plus conforme à la vérité, à savoir qu’en réalité l’Apôtre a été exaucé, et que les démons ne l’ont pas été ? Leur volonté a été faite, mais l’innocence de Paul a été perfectionnée.


8. D’après cela, nous devons comprendre que si Dieu refuse d’obtempérer à nos désirs, il nous ménage le salut. Qu’adviendra-t-il si tu demandes une chose qui te serait nuisible, et que le médecin sache combien elle peut t’être nuisible ? Il est sûr qu’il reste sourd à tes demandes. Demande-lui, parexemple,

  1. 2 Cor. 12, 7-9
  2. Job, 1, 11-12
  3. Jn. 3, 8
  4. Jn. 8, 11
  5. Gen. 3, 1-6
  6. Job, 2, 9
  7. Lc. 8, 32