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dit dans le psaume : « Votre main s’est appesantie sur nous[1] ». Donc, afin qu’ils ne connussent point la divinité du Christ, (car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire[2], et, s’il n’eût été crucifié, son sang n’eût point racheté le monde), que fait le Seigneur, sinon ce que dit saint Paul des richesses de la sagesse et de la science de Dieu, quand il s’écrie : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu, que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies insondables ! Qui a connu les desseins de Dieu, ou est entré dans ses conseils ? Qui lui adonné le premier pour en attendre une récompense ? Tout est de lui, par lui, en lui. À lui seul gloire et honneur dans les siècles des siècles ». L’Apôtre s’exprime ainsi parce qu’il avait dit plus haut : « L’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et que de cette manière tout Israël fût sauvé[3] ». Les juifs donc sont tombés en partie dans l’aveuglement, à cause de leur orgueil, parce qu’ils se disaient justes, et dans leur aveuglement ils ont crucifié le Seigneur. Il les a couverts de sa main, afin qu’ils ne pussent le voir durant son passage de ce monde à son Père. Examinons s’ils l’ont vu par-derrière après son passage. Le Seigneur ressuscite ; il apparaît aux disciples[4], et à tous ceux qui avaient cru en lui non point à ceux qui l’avaient crucifié, parce que sa main était sur eux jusqu’à ce qu’il fût passé. Il monte au ciel après avoir vécu quarante jours avec ses disciples, et, le jour de la Pentecôte, il leur envoie le Saint-Esprit. Remplis de l’Esprit-Saint, ils commencent à parler diverses langues, eux qui étaient nés dans une seule, n’en avaient appris qu’une seule. À la vue d’un tel miracle, grand effroi chez tous les bourreaux du Seigneur ; des milliers d’entre eux, touchés jusqu’au fond du cœur, demandèrent aux Apôtres ce qu’ils devaient faire, quand on leur eut prêché le Christ, et dans la surprise où ils étaient que des hommes sans lettres pussent parler diverses langues. L’apôtre saint Pierre alors leur parle du Christ qu’ils avaient insulté à la croix, qu’ils avaient raillé comme un homme assujetti à la mort, qu’ils défiaient surtout parce qu’il ne descendait pas de la croix, quoique sortir du tombeau fût un miracle bien plus grand que descendre du gibet. Et quand on leur eut annoncé le Christ, « que faut-il donc faire ? » demandèrent-ils. Eux qui avaient si cruellement traité le Seigneur qu’ils voyaient, demandent ce qui pourra les sauver ; et on leur répond : « Faites pénitence, que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis[5] ». Ce fut alors qu’ils virent par-derrière celui dont ils n’avaient pu voir la face. Sa main était sur leurs yeux, non pour toujours, mais tant qu’il passerait. Après son passage, il ôta sa main de leurs yeux. Quand cette main fut ôtée, ils dirent aux disciples : « Que ferons-nous ? » D’abord pleins de fureur, ils sont pleins de piété ; à la colère succède la timidité, à la dureté la souplesse, à l’aveuglement la lumière.
9. Il me semble entendre dans ce psaume la voix des Gentils qui se souviennent à leur tour de leur incrédulité. « Car le Seigneur a renfermé tous les hommes dans l’incrédulité, afin de les prendre tous en pitié[6]. Vous m’avez formé, vous avez mis votre main sur moi. Votre science de moi est admirable, elle s’élève et je ne saurais l’atteindre ». C’est-à-dire : vous avez mis votre main sur moi, vous m’avez paru admirable, et quoique je fusse avec vous, je ne vous comprenais pas. Qu’il m’était facile de voir le visage de mon père, quand je lui disais : « Donnez-moi le bien qui me doit échoir ». Mais depuis que je suis dans cette région lointaine, et que je meurs de faim[7], que la douleur est devant moi, je ne puis recouvrer ce que j’ai perdu. « Votre science de moi est infiniment admirable ». À cause de mon péché, cette science est pour moi un mystère, elle est incompréhensible. Quand l’orgueil ne m’avait point éloigné de vous, je pouvais vous contempler. « Votre science de moi est admirable, elle s’élève, et je ne pourrai l’atteindre ». Sous-entendez, par moi-même. « Je ne pourrai l’atteindre par mes forces » ; et quand je le pourrai ce sera par vous.
10. Vous le voyez, ce fugitif ne saurait fuir assez loin pour se dérober aux regards de celui qu’il veut fuir. Où pourra-t-il fuir, lui dont la fuite est mesurée ? Voyez ce qu’il dit :

  1. Ps. 31,4
  2. 1 Cor. 2,8
  3. Rom. 11,25-26.33-36
  4. Jn. 20,14 ; 21,1 ss
  5. Act. 2,38
  6. Rom. 11,32
  7. Lc. 15,12-17