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de Dieu, que la nôtre en reprenant notre dessein. Ne vous en prenez donc pas à moi, si la longueur de celui-ci me force à vous retenir un peu plus longtemps ; croyez plutôt que Dieu n’a pas voulu nous imposer tan travail inutile. Ce n’est point sans raison que, pour châtiment de notre premier péché, nous devons manger notre pain à la sueur de notre front[1]. Voyez seulement s’il y a ici quelque pain. Or, il y a du pain, s’il y a le Christ ; car il a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel[2] ». Cherchons aussi dans les Prophètes ce pain qui s’est montré dans les Évangiles. Ils ne l’y trouvent point, ceux qui ont encore un voile sur le cœur[3], comme l’a compris hier votre charité. Mais nous, pour qui le sacrifice du soir, offert sur la croix par le Seigneur, a déchiré ce voile[4], afin de nous découvrir les secrets du temple ; tant qu’on nous prêche le Christ, ce ne peut être que dans le travail et dans les sueurs que nous mangerons notre pain.
2. Or, dans les Prophètes, Notre-Seigneur Jésus-Christ parle quelquefois comme notre tête, car il est le Christ notre Sauveur, assis à la droite de son Père. C’est pour nous qu’il est né de la Vierge, et qu’il a souffert tout ce que vous savez sous Ponce-Pilate ; son sang innocent est notre rançon ; il l’a répandu pour nous racheter de l’esclavage où le diable nous retenait, en nous remettant nos péchés, et en effaçant de son sang la cédule qui nous retenait dans nos dettes[5]. C’est lui qui est le guide, l’Époux, le rédempteur de son Église, qui est notre tête. S’il est tête, il a un corps : et ce corps c’est la sainte Église, qui est aussi son Épouse, et à laquelle saint Paul dit : « Vous êtes le corps du Christ et ses membres[6] ». Le Christ tout entier est donc formé de la tête et du corps, aussi bien que l’homme dans sou intégrité : car c’est de l’homme et pour être à l’homme que la femme a été formée ; et il est dit à propos du premier mariage : « Ils seront deux dans une seule chair[7] ». Et saint Paul dit que cette parole n’a pas été dite sans un grand mystère à propos du premier homme et de la première femme, qui figuraient le Christ et l’Église. Voici en effet l’explication de l’Apôtre : « Ils seront deux dans une même chair », nous dit-il : « ce sacrement est grand, je l’entends « du Christ et de l’Église[8] ». « Adam », nous dit-il, « est la figure de l’Adam à venir[9] ». Si donc Adam est un symbole de l’Adam futur, comme Eve fut tirée du flanc d’Adam pendant son sommeil, ainsi du flanc du Christ pendant son sommeil, c’est-à-dire, pendant qu’il mourait sur la croix, et ouvert par un coup de lance, découlèrent les sacrements dont l’Église est formée. Aussi, dans un autre psaume, nous parle-t-il ainsi de sa passion : « Pour moi, j’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a soutenu[10] ». Ce sommeil s’entend donc de sa passion, et dès lors Eve formée du côté d’Adam qui sommeille, c’est l’Église tirée du flanc du Christ souffrant. C’est donc parfois en son nom et parfois en notre nom que Jésus-Christ parle dans les saintes Écritures, car il s’identifie avec nous, selon cette parole : « ils seront deux dans une même chair ». C’est pourquoi dans l’Évangile, à propos du mariage, il ajoute : « Ils ne sont donc plus deux, mais une même chair[11] ». Une même chair, parce qu’il a emprunté sa chair à notre nature mortelle ; mais il ne dit point une même divinité, puisqu’il est créateur, tandis que nous sommes créatures. Dès lors tout ce que dit le Sauveur au nom de cette humanité appartient à cette tête qui est remontée dans les cieux, et à ces membres qui souffrent sur la terre dans l’exil : et ce fut au nom de ces membres souffrants que Saul persécutait, qu’il s’écria du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[12] ? » Écoutons donc le Seigneur Jésus qui parle dans cette prophétie. Car si les psaumes ont été chantés avant que le Seigneur naquit de la Vierge Marie, ils ne l’ont pas été avant qu’il fût le souverain Seigneur. Le Créateur du monde a toujours été, mais, dans le temps, il est né d’une créature. Croyons à sa divinité, et autant qu’il est en nous, croyons qu’il est égal à son Père ; mais cette divinité égale au Père a pris part à notre mortalité, non par notre nature, mais en se revêtant de la nôtre, mais qu’à notre tour nous pussions participer à sa divinité, non par notre nature, mais par la sienne.
3. « Seigneur, vous m’avez éprouvé et m’avez connu[13] ». Que Notre-Seigneur Jésus-Christ tienne ce langage, qu’il dise lui-même

  1. Gen. 3,19
  2. Jn. 6,41
  3. 2 Cor. 3,14
  4. Mt. 27,51
  5. Col. 2,13-14
  6. 1 Cor. 12,27
  7. Gen. 2,24
  8. Eph. 5,31-32
  9. Rom. 5,14
  10. Ps. 3,6
  11. Mt. 19,6
  12. Act. 9,4
  13. Ps. 138,1