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je le fais d’autant plus volontiers que ce psaume très court nous permet de nous étendre. Bien que l’apôtre saint Paul ait été persécuteur avant d’être prédicateur, Dieu bénit ses travaux apostoliques beaucoup plus que ceux des autres Apôtres ; afin de montrer que ce don vient de Dieu, et non de l’homme. De même que c’est sur des malades désespérés que les médecins peuvent montrer la puissance de leur art ; de même Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur et Médecin, fit éclater dans un homme désespéré, dans un persécuteur de son Église, la puissance de son art, puisqu’il en fit non seulement un chrétien, mais un Apôtre, et non seulement un Apôtre, mais un Apôtre qui a travaillé plus que tous les autres, comme il l’a consigné lui-même. Il avait donc reçu une grâce par excellence. Aussi vous voyez, mis frères, la faveur dont jouissent dans l’Église les Epîtres de saint Paul[1], bien plus que celles des autres Apôtres. Les uns n’ont point écrit, mais seulement prêché dans l’Église. Car les écrits que les hérétiques publient sous leur nom, ne sont point à eux ; l’Église les désapprouve et les rejette. Pour les autres qui ont écrit, ils ne l’ont fait ni autant, ni avec tant de grâce. Comme donc il avait reçu une telle grâce, et mérité de Dieu des dons si extraordinaires, que dit-il dans un certain endroit ? « De peur que la grandeur de mes révélations une m’élève ». Écoutez, mes frères, voici de quoi nous faire trembler. « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, nous dit-il, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan, pour me souffleter[2] ». Qu’est-ce à dire, mes frères ? De peur que cet Apôtre ne s’élève comme un jeune homme, on le soufflette comme un enfant. Qui le soufflette ? Un ange de Satan. Qu’est-ce à dire ? Que l’Apôtre sentait en son corps une douleur violente ; or, les douleurs corporelles nous viennent presque toujours par les anges de Satan ; mais ils ne peuvent rien sans la permission de Dieu. C’est à cette épreuve que fut mis Job, tout saint qu’il était[3]. Il fut permis à Satan de l’éprouver ; et il le frappa d’une telle plaie que son corps s’en allait en pourriture avec les vers. L’esprit impur avait ce pouvoir afin d’éprouver cette âme sainte. Le diable ne sait point quels grands biens il fait, même dans ses fureurs.
Ce fut dans sa fureur qu’il pénétra dans le cœur de Judas, dans sa fureur qu’il livra le Christ[4], dans sa fureur qu’il le mit en croix ; et ce fut par la croix que Jésus racheta le monde. C’est ainsi que la fureur du démon nuisit au démon et devint utile pour nous. Et cette fureur lui a fait perdre ceux qu’il tenait sous sa puissance, et qui ont été rachetés par ce sang du Seigneur, que sa rage lui a fait répandre. S’il eût connu la perte qu’il allait faire, il n’eût point répandu sur la terre ce prix infini qui a racheté le monde. C’est ainsi encore qu’il fut permis à l’ange de Satan de souffleter saint Paul. Mais comme ce remède appliqué parle Médecin, était insupportable au malade, celui-ci pria le Médecin de l’enlever. Quelquefois un médecin applique, sur les entrailles d’un malade, un remède cuisant et insupportable, et qui doit cependant guérir ces entrailles gonflées : brûlé bientôt par ce remède, le malade prie le médecin de l’enlever ; mais voilà que le médecin console son malade, l’encourage à la patience parce qu’il connaît l’utilité de son remède. C’est ce que saint Paul nous fait voir dans la suite. Après avoir dit : « Il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter » ; il en montre la cause : « De peur », dit-il, « que la grandeur des révélations ne vînt à m’enorgueillir, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter. Trois fois », dit-il encore, « j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer[5] ». C’est bien là dire : J’ai prié le médecin de me délivrer de ce remède fâcheux qu’il m’avait appliqué. Mais écoute la réponse du médecin : « Et le Seigneur m’a dit : Ma grâce te suffit ; car la vertu se perfectionne dans l’infirmité ». Je connais le remède appliqué, je connais la cause du mal, je sais ce qui te guérira.
8. Ainsi, mes bien-aimés, la grandeur des révélations eût pu enorgueillir saint Paul, s’il n’eût eu un ange de Satan pour lui donner des soufflets ; dès lors, qui peut être en sûreté sur son propre compte ? Il semble que celui qui a moins reçu marche avec plus d’assurance, pourvu que, dans sa folie, il ne cherche point ce que Dieu lui a refusé dans sa sagesse. Qu’il cherche ce qui lui est nécessaire pour être dans le corps du Christ, et sans quoi il ne saurait y être que mal. Un doigt qui est sain est Plus en sûreté dans le corps de l’homme,

  1. 1 Cor. 15,10
  2. 2 Cor. 12,7
  3. Job. 2,6-7
  4. Jn. 13,27
  5. 2 Cor. 12,7 ss