Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/443

Cette page n’a pas encore été corrigée

font »[1]. Pourquoi donc leur dit-il de retourner en arrière ? C’est que ceux qui auparavant étaient orgueilleux, et tombèrent à la renverse, devinrent humbles et se relevèrent. Quand ils prennent le devant, ils veulent précéder le Seigneur, être plus parfaits que le Seigneur ; mais demeurer en arrière, c’est reconnaître qu’il est plus parfait, qu’il doit marcher devant, et eux venir après, qu’il doit les guider et eux le suivre. Aussi reprit-il Pierre qui lui donnait un conseil peu sage. Le Seigneur allait souffrir pour notre salut, il annonçait à ses disciples ce qui allait arriver dans sa Passion ; et Pierre lui dit : « Non point, Seigneur, veillez sur vous, il ne vous arrivera rien de tel ». Le voilà qui veut marcher devant le Seigneur, donner des conseils au Maître. Or, pour lui rappeler qu’il ne doit point précéder, mais suivre : « Arrière, Satan », lui dit le Seigneur. Tu es Satan, dit-il, parce que tu veux marcher devant celui qu’il te faut suivre : mais si tu marches arrière, et que tu me suives, tu ne seras plus Satan. Que sera-t-il donc ? « Sur cette terre j’établirai mon Église ».
26. « Qu’ils reculent en arrière chargés d’ignominie, ceux qui me veulent du mal ». Il y a des esprits méchants, qui maudissent leurs cœurs autant qu’ils paraissent bénir. Vous dites à l’un : Es-tu chrétien ? Sois chrétien à ton tour, répond-il. Cette parole est bonne, et Dieu ne leur en tiendra pas compte, mais du sens qu’il y ajoute ; comme il tint compte aux Juifs du souhait qu’ils firent à l’aveugle-né quand il fut guéri : accablé de leurs questions arrogantes, « Voulez-vous », dit-il, « devenir aussi ses disciples ? » « Les Juifs alors le chargèrent de malédictions », dit l’Évangéliste, « ils le maudirent en disant : Pour toi, sois son disciple »[2]. Comme ils le maudissaient, le Seigneur le bénit. Il fit ce qu’avaient dit les Juifs, et rendit à ceux-ci leurs malédictions. « Qu’ils reculent en arrière, couverts d’ignominie, ceux qui me veulent du mal ». Quelques-uns, sans être bons, nous souhaitent du bien ; il faut s’en défier. De même en effet que les premiers, en voulant nous maudire, nous souhaitent pourtant du bien, quoique dans une intention mauvaise ; ainsi d’autres, avec bonne intention, nous souhaitent ce qui un mal. Voici : tel qui te dit : Sois chrétien, te dit du bien, mais avec mauvaise intention ; mais que l’on vienne te dire : Nul n’est meilleur que toi, et que l’on t’applaudisse de la sorte dans ta vie criminelle, car le pécheur est loué dans les désirs de son âme, et l’on applaudit à celui qui fait le mal[3] ; on t’applaudit pour ton malheur : de même que le premier te maudissait pour ton bonheur, le second te bénit pour ton malheur. Mais fuis, mais évite chacun de ces deux ennemis. L’un sévit, l’autre caresse : ni l’un ni l’autre ne sont bons ; l’un a recours à la colère, l’autre est fourbe dans ses éloges. Évite l’un et l’autre, et prie pour l’un et pour l’autre. Car celui qui faisait cette prière : « Qu’ils retournent sur leurs pas, couverts d’ignominie, ceux qui me veulent du mal », celui-là jette les yeux sur une autre catégorie de fourbes et de méchants, qui nous bénit pour nous perdre : « Que ceux-là soient chargés de leur propre honte, qui me disent : Courage ! courage ! » Ils donnent de fausses louanges : c’est un grand homme, un homme de bien, un lettré, un savant ; pourquoi est-il chrétien ? Ils applaudissent en vous ce que vous ne voudriez pas qu’on louât ; ils blâment ce qui fait votre joie. Mais dis-leur seulement : Pourquoi donc, ô homme, louer en moi la bonté, la justice ? Si vous me croyez tel, bénissez Jésus-Christ qui m’a fait ainsi. Mais lui : Non pas, ne va point te calomnier toi-même, c’est toi qui t’es fait ce que tu es. « Qu’ils soient couverts de confusion ceux qui me disent : Courage ! courage ! » Qu’est-il dit ensuite ? « Qu’ils tressaillent, qu’ils soient dans la joie, Seigneur, ceux qui vous cherchent ! »[4] Ce n’est pas moi, c’est bien vous qu’ils cherchent : Ce n’est point à moi qu’ils disent : Courage ! courage ! mais ils voient que si j’ai quelque sujet de m’applaudir, c’est en vous que je me glorifie : « Que celui, en effet, qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[5]3. Qu’ils tressaillent, qu’ils soient dans la joie, ceux qui vous cherchent, et qu’ils disent toujours : Que le Seigneur soit glorifié ». Quand le pécheur devient juste, bénis celui qui justifie l’impie[6] ; s’il reste dans son péché, bénis encore celui qui l’appelle au pardon ; s’il s’élance dans la carrière de la justice, bénissons aussi celui qui l’appelle à la récompense. « Que le Seigneur

  1. Lc. 23,34
  2. Jn. 9,21-28
  3. Ps. 10,3
  4. Id. 39,17
  5. 1 Cor. 1,31
  6. Rom. 4,5