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la faim dans le pays qu’il habitait, et dut changer de contrée[1] ; il voit que son fils Isaac, pressé aussi par la disette, alla chercher des vivres[2] en d’autres contrées. Où est maintenant la vérité de cette parole : « Je n’ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité chercher du pain ? » Et quand même cette parole se vérifierait dans le cours de sa vie, la lecture des livres saints, plus croyable que la vie des hommes, lui montre néanmoins le contraire.
2. Que faire donc ? Aidez-moi, je vous prie, de votre zèle et de votre piété, à comprendre dans les versets du psaume quelle est la volonté de Dieu, et les instructions qu’il veut nous donner. Il est à craindre, en effet, qu’un homme faible et incapable de comprendre les saintes Écritures, voyant de bons serviteurs de Dieu dans quelque détresse et dans la nécessité de mendier leur pain, et réfléchissant à cette parole de saint Paul : « Nous travaillons dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité »[3], ne vienne à se scandaliser et à dire en lui-même : De bonne foi, ce que je viens de chanter est-il donc vrai ; est-ce bien vrai, ce que je viens de chanter avec piété et debout dans l’Église : « Je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni sa race mendier son pain ? » Il est à craindre qu’il ne se dise que l’Écriture le trompe ; que ses membres ne se ralentissent dans l’exercice des bonnes œuvres ; et, ce qui est pire encore, que ces membres ne se ralentissent chez l’homme intérieur, qu’il n’abjure toute œuvre pieuse et ne se dise dans son âme : À quoi bon faire le bien ? à quoi bon partager mon pain avec l’indigent et vêtir celui qui est nu, et loger chez moi celui qui n’a point de refuge, dans la foi en cette parole : « Je n’ai jamais vu le juste abandonné ni sa race mendier son pain », quand je vois tant de vrais serviteurs de Dieu en proie à la faim ? Et si je me trompe, ajoutera-t-il, au point de prendre pour juste et celui qui vit bien et celui qui vit mal, tandis que Dieu en juge tout autrement, et voit un méchant dans celui que je crois bon, du moins que dirai-je d’Abraham, que l’Écriture elle-même appelle juste ? Que dire de l’Apôtre saint Paul qui dit : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ ? »[4] Veut-il me souhaiter aussi les maux qu’il a dû endurer : « La faim et la soif, le froid et la nudité ? »[5]
3. Un homme qui est dans ces pensées, et dont les forces intérieures sont, comme je l’ai dit, affaiblies pour tout bien, pouvons-nous le prendre comme un paralytique, ouvrir le toit de ce passage de l’Écriture, et le descendre aux pieds du Seigneur ? Vous le voyez, il y a là de l’obscurité. S’il y a de l’obscurité, c’est qu’il y a un toit qui nous dérobe le sens, et je vois devant moi un paralytique spirituel. Je vois donc ce toit, et je sais que le Seigneur est caché sous ce toit. Je ferai alors, autant qu’il me sera possible, ce que le Seigneur approuva dans ceux qui découvrirent le toit et descendirent le paralytique aux pieds du Christ qui lui dit : « Mon fils, prenez courage, vos péchés vous sont remis[6] ». Puis il guérit cet homme de la paralysie intérieure, en lui remettant ses péchés et en affermissant sa foi. Mais il y avait là des hommes dont les yeux ne pouvaient voir la guérison de la paralysie intérieure, et qui prirent pour un blasphémateur le médecin qui l’avait faite. « Quel est », disaient-ils, « cet homme qui remet les péchés ? Il blasphème. Quel autre que Dieu peut remettre les péchés[7] ? » Et comme ce médecin était Dieu, il entendit ces pensées dans leurs cœurs. Ils croyaient que cette œuvre était vraiment de Dieu, et ils ne voyaient point Dieu présent devant eux. Ce médecin agit donc aussi sur le corps du paralytique, afin de guérir encore la paralysie intérieure de ceux qui tenaient ce langage. Il fit une œuvre qu’ils pussent voir et il leur donna la foi. Courage donc ! ô toi dont le cœur est faible, languissant jusqu’à laisser toute bonne œuvre, à la vue de tout ce qui se passe dans le monde ; toi qui es perdu intérieurement courage ! Découvrons ce toit, s’il nous est possible, afin de descendre aux pieds du Seigneur.
4. Dans l’Église, qui est son corps mystique, le Seigneur fut jeune dans les premiers temps et maintenant il a vieilli. C’est là ce que vous savez, ce que vous reconnaissez, ce que vous comprenez, parce que vous faites partie de ce corps et que vous comprenez que le Christ est notre chef, et que nous sommes les membres de ce chef[8] ? Mais n’y a-t-il que nous, et tous ceux qui nous ont précédés ne le sont-ils pas comme nous ? Tous ceux qui ont été justes

  1. Gen. 12,10
  2. Id. 26,1
  3. 2 Cor. 11,27
  4. 1 Cor. 4,16
  5. 2 Cor. 11,17
  6. Lc. 5,18-22
  7. Id. et Mt. 9,3
  8. 1 Cor. 12,27 ; Eph. 4,15