Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/370

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme il n’était pas utile pour nous de connaître ce que connaissait fort bien celui qui était venu nous instruire, sans nous apprendre ce qu’il ne nous était pas avantageux de savoir : alors, non seulement c’est en qualité de maître qu’il nous a donné certains enseignements, mais encore en qualité de maître qu’il nous en a refusé d’autres. Ce Maître par excellence savait parfaitement enseigner ce qu’il nous fallait savoir, et nous dérober ce qui était nuisible. Dire alors que le Fils ignore ce qu’il n’enseigne pas, c’est là une manière de parler, qui signifie qu’il nous le laisse ignorer ; c’est un langage qui nous est ordinaire. Ainsi, nous appelons joyeux le jour qui nous donne de la joie ; et jour triste, celui qui vient nous contrister ; et froid engourdi, le froid qui nous engourdit. Dans un sens contraire, le Seigneur a dit : « C’est maintenant que je connais ». Il dit à Abraham : « Je connais maintenant que tu crains le Seigneur »[1]. Dieu toutefois le savait avant cette épreuve. Puisque cette épreuve eut lieu afin que nous puissions connaître ce que Dieu connaissait, et qu’elle fut écrite pour nous apprendre ce que Dieu savait bien, avant toute preuve visible. Abraham à son tour ne connaissait peut-être point les forces de sa foi : (car l’épreuve est une leçon qui nous révèle à nous-mêmes) ; ainsi Pierre ne connaissait point non plus ce que pourrait sa foi, quand il dit au Seigneur : «. Je suis avec vous jusqu’à la mort »[2]. Mais le Seigneur, qui le connaissait, lui prédit le moment de sa chute, lui révélant ainsi sa faiblesse comme s’il eût touché la veine de son cœur. Aussi, Pierre qui comptait sur lui-même avant la tentation, apprit par la tentation même à se connaître. C’est en ce sens que nous avons raison de croire qu’Abraham connut les forces de sa foi, quand, soumis à l’ordre du Seigneur qui lui commandait d’immoler son fils, il l’offrit sans hésiter à celui qui le lui avait donné ; de même qu’il n’avait su avant sa naissance comment Dieu lui donnerait cet enfant, de même il crut que Dieu pourrait le ressusciter après qu’il le lui aurait immolé. Dieu dit donc : « Je connais maintenant » : c’est-à-dire, je t’ai fait connaître. Comme dans ces locutions dont je viens de parler : un froid engourdi, parce qu’il engourdit ; un jour joyeux, parce qu’il nous procure de la joie ; de même connaître signifiera : « Faire connaître ».
De là encore cette parole : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin de « savoir si vous l’aimez »[3]. Or, est-ce au Seigneur notre Dieu, au Dieu souverain, au Dieu véritable que tu peux attribuer l’ignorance ? Ce serait un sacrilège de l’entendre ainsi « Le Seigneur vous éprouve afin de savoir », comme si la tentation lui apprenait ce qui pouvait ignorer auparavant. Que signifie donc : « Il vous éprouve afin de savoir », sinon : Il vous éprouve afin que vous sachiez ? C’est donc ce sens contraire qui doit régler pour vous ces manières de parler ; et de misse qu’en lisant de la part de Dieu : « J’ai compris », vous entendez : je vous ai fait comprendre, de même quand il est dit que le Fils de l’homme ou le Christ ignore ce jour-là, entendez qu’il le laisse ignorer. Mais commet nous le laisse-t-il ignorer ? Il nous le cache, afin que nous ne sachions point ce qu’il ne nous est pas utile de savoir. C’est ainsi, comme je le disais, qu’un maître habile sait ce qui faut enseigner comme ce qu’il faut taire. Il même lisons-nous qu’il tint en réserve certains enseignements. D’où nous devons comprendre qu’il n’est pas bon de dire toutes les vérités, quand ceux qui nous entendent nom peuvent porter. Jésus-Christ nous dit ailleurs : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les comprendre maintenant »[4], Et saint Paul : « Je n’ai pu vous parler », dit-il, « comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes charnelles, comme à des enfants en Jésus-Christ. Je ne vous ai nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous ne le pouviez pas, et que même à présent vous ne le pouvez encore »[5]. À quoi tend ce discours, mes frères ? Puisque nous savons qu’il nous est utile de savoir que le jour du jugement viendra, et qu’il nous est utile encore d’en ignorer le moment, qu’une vie pure tienne toujours notre cœur préparé ; et non seulement gardons-non d’en craindre l’arrivée, mais allons jusqu’à l’aimer. Car si ce jour est pour les infidèles un surcroît de peines, il en est le terme pour les vrais fidèles. Avant que ce jour n’arrive, il vous est possible de choisir le parti qui nous plaît ; lorsqu’il sera venu, il ne sera plus temps. Choisissez donc, tandis que vous le pouvez : c’est par miséricorde que Dieu diffère ce qu’il nous laisse ignorer dans sa miséricorde.

  1. Gen. 22,12
  2. Lc. 22,33
  3. Deut. 13,3
  4. Jn. 16,12
  5. 1 Cor. 3,1-2