cette apostrophe du Prophète : « Qui habitera dans vos tabernacles, ô mon Dieu, ou qui se reposera sur votre montagne sainte ? » Non point d’abord sur la montagne et dans le tabernacle ensuite, mais d’abord dans le tabernacle et ainsi sur la montagne. Le tabernacle n’est point une demeure permanente, le tabernacle n’a point de fondement, mais on le plante ; çà et là, il suit les migrations de l’homme. Aussi est-il appelé paroikia, et non point habitation. « Seigneur, qui habitera dans vos tabernacles ? » Comme ce n’est qu’une tente, ou l’appelle en grec paroikia. Voyons donc ce qu’est un tabernacle, ce qu’est une montagne. Un tabernacle n’a aucun fondement, c’est une demeure passagère ; les montagnes, au contraire, ont des fondements solides ; c’est pourquoi ce tabernacle me parait être l’Église de ce monde. Or, les églises que vous voyez aujourd’hui sont des tabernacles, puisque nous ne devons point y demeurer, nous devons passer ailleurs. Car, si la figure de ce monde passe[1], et si le ciel et la terre passeront[2], comme il est dit ailleurs, à combien plus forte raison les pierres de ces églises que nous avons sous les yeux ? On appelle donc maintenant les églises des tabernacles, parce que nous devons en sortir pour aller à la montagne sainte du Seigneur. Quelle est cette montagne sainte du Seigneur ? Ezéchiel nous le dit en parlant contre le prince de Tyr : « Tu as été blessé sur la montagne du Seigneur[3]. Et qui reposera sur votre montagne sainte ? » Puisque nous devons quitter les tabernacles pour aller sur les saintes montagnes, il nous faut apprendre à quels hommes il appartient d’aller sur la sainte montagne de Dieu.
3. Il y a une interrogation dans cette parole : « Qui habitera dans vos tabernacles, ou qui se reposera sur votre montagne sainte ? » C’est maintenant l’Esprit-Saint qui répond à la question du Prophète ; et que lui dit-il ? Veux-tu savoir, ô Prophète, veux-tu savoir qui doit habiter dans mes tabernacles, et reposer sur ma montagne sainte ? Écoute ce qui suit : Si tu observes ce que je vais dire, tu habiteras sur ma montagne sainte. Vous donc qui voulez habiter les saints tabernacles, et vous élever sur la sainte montagne du Seigneur, vous n’avez pas besoin d’écouter mes paroles, écoutez ce que le Seigneur répondit au Prophète ; pratiquez ce que le Seigneur vous ordonne, et vous arriverez à la sainte montagne du Seigneur. « C’est celui qui marche dans l’innocence, et qui pratique la justice »[4]. Aussi le psaume cent-dix-huitième nous dit-il : « Heureux les hommes innocents dans leurs voies ! » Oui, c’est ainsi qu’il commence : « Bienheureux les hommes innocents dans leurs voies ! »[5] De même qu’il est dit là : « Innocents dans leurs voies », il est dit ici : « Qui marche dans l’innocence ». Or, marcher c’est être dans la voie, « Qui marche dans l’innocence ». Voyez ce qui est prescrit. Il n’est pas dit qui est pur en atteignant la fin ; mais qui est encore en chemin, et qui est sans tache. Quelqu’un pouvait dire : Je n’ai aucune tache, n’ayant commis aucun mal. Il ne suffit pas d’éviter le mal, si nous ne faisons aussi le bien. Car le Prophète continue : « Et qui pratique la justice ». Non point qui garde la chasteté, non point, qui fait des actes de sagesse ou de courage. Voilà sans doute les principales vertus. Ainsi la sagesse nous vient en aide pour résister aux persécutions : la tempérance et la chasteté nous sont utiles, pour ne point perdre nos âmes. Mais il n’y a que la justice pour dominer toutes les vertus dont elle est la mère. Comment, dira-t-on, la justice peut-elle dominer toutes les autres ? Les autres vertus font la joie de ceux qui les pratiquent, tandis que la justice fait la joie, non de celui qui la pratique, mais des autres. Que je sois sage, la sagesse fait mes délices ; que je sois courageux, le courage me plaît ; que je sois chaste, la chasteté a des charmes pour moi mais la justice fait moins le bonheur de ceux qui la possèdent, que des malheureux qui ne l’ont point. Donne-moi un pauvre qui a un différend avec mon frère, donne à ce frère une puissance telle qu’il opprime de son crédit tout ce qui n’est pas moi, ou qui m’est étranger ; de quoi ma sagesse va-t-elle servir à ce pauvre ? Que fait à ce pauvre ma chasteté ? Que lui fait mon courage ? Mais ma justice lui vient en aide, parce que, sans acception pour mon frère, je prononce selon la justice. La justice, en effet, ne connaît ni frère, ni mère, ni père ; elle connaît la vérité. Non plus que Dieu, elle ne fait acception de personne, Aussi le Prophète nous dit-il : « Et qui pratique la justice », de peur qu’il ne paraisse exclure les autres vertus. Quiconque se met dans une sainte colère pour en soulager un autre, quiconque ne fait point sa joie du malheur d’autrui, celui-là est juste.
4. Disons encore ce qui suit : « Celui qui dit la vérité dans son cœur »[6]. Beaucoup ont la vérité sur les lèvres, et non dans le cœur ; ils paraissent dire la vérité, et le cœur n’est point d’accord avec la bouche. « Celui qui ne cache point l’artifice dans ses paroles ». Qui dit au-dehors ce qu’il a dans la pensée. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Au nom de prochain beaucoup s’imaginent un frère, un voisin, un allié, un parent. Mais le Seigneur nous fait connaître le prochain dans cette parabole de l’Évangile, à propos de celui qui descendait de Jérusalem à Jéricho. Le prêtre passa outre, le lévite passa outre, sans en prendre pitié ; mais un samaritain qui vint à passer, fut ému de compassion. Le Seigneur fait ensuite cette question : « Lequel de ces hommes fut son prochain ? » On lui répond « Celui qui lui fit du bien ». Et le Seigneur ajoute : « Allez, vous aussi, et faites de même »[7]. Nous sommes donc tous notre prochain réciproquement, et nous ne devons faire aucun mal à personne. Mais si nous ne voyons le prochain que dans nos frères et dans nos proches, il nous sera donc permis de faire du mal aux autres ? Loin de nous de le croire. Nous sommes tous notre prochain, et nous n’avons qu’un même père. « Et que son prochain n’a point couvert d’opprobre ». C’est le comble de la louange. Jamais voisin n’a murmuré contre lui ; jamais il n’a trouvé occasion d’en dire du mal. C’est là une vertu bien supérieure à l’humanité, c’est un don de Dieu.
5. « Le méchant, sous ses yeux est réduit à néant »[8]. Qu’un homme soit empereur, qu’il soit préfet, qu’il soit évêque ou qu’il soit prêtre (car l’Église a aussi ses dignités), quiconque est méchant sous les yeux du saint par excellence, est compté pour rien. Puis aussitôt le Prophète ajoute : « Il glorifie ceux qui craignent le Seigneur ». Ce saint qui marche dans l’innocence, qui méprise les puissants dès qu’ils sont méchants, décerne l’honneur à tout homme qui craint Dieu, quelle que soit sa pauvreté. « Qui s’engage par serment à son prochain, sans le tromper ». Et ici nous devons entendre comme plus haut ce mot de prochain.
6. « Celui qui n’a point donné d’argent à usure »[9]. On pourrait dire ici bien des choses, mais le temps nous presse. Mais, avant-hier, nous en avons parlé au commencement de l’instruction, et puisque vous êtes par la grâce de Dieu sortis de la Chaldée avec Abraham[10], et que vous vous souvenez de ce que nous avons dit au sujet de cette sortie, venez dans la terre des promesses. Quant à Abraham, dès qu’il fut entré dans la terre promise, il trouva des adversaires à droite et à gauche, des ennemis qui tenaient le pays : le Seigneur vint pour l’en tirer, et lui fit gravir une montagne d’où il lui montra la terre entière, en disant : « Je te donnerai toute cette terre et à ta postérité »[11]. À lui la promesse, à nous l’accomplissement.
DISCOURS SUR LE PSAUME 15
LE CHANT DE LA RÉSURRECTION.
Parce que le Christ a mis sa confiance dans le Seigneur, qu’il n’a voulu d’autre héritage que lui seul, le Seigneur l’a fait triompher de ses ennemis par la résurrection. Ces sentiments peuvent être aussi ceux de l’âme juste qui se confie en Dieu et qui triomphe aussi de la mort éternelle.
INSCRIPTION DU TITRE, POUR DAVID (Ps. 15,1).
1. Ce Psaume est le chant de notre roi, dans son humanité, lui qui dans sa passion obtint sur l’inscription le titre de roi.
2. Voici ses paroles : « Conservez-moi, Seigneur, parce que j’ai mis en vous mon espoir ; j’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu ; vous n’avez nul besoin de mes biens[12] ». Vous n’avez que faire de mes biens pour votre félicité.
3. « Aux âmes saintes qui habitent ses domaines[13] », c’est-à-dire à ces saints qui ont mis leur espoir dans la terre des vivants, aux citoyens de la Jérusalem céleste, dont la conversation spirituelle est fixée par l’ancre de l’espérance, dans cette terre qui est fort bien nommée la terre de Dieu, quoique selon le corps ils vivent en ce bas monde, « il a fait admirer tout l’amour que j’ai pour eux[14] ». Le Seigneur donc a fait connaître à ces âmes saintes, mes desseins merveilleux pour leurs progrès, et ils ont alors compris l’avantage que leur procure ce mystère d’un Dieu qui est homme pour mourir, et de cet homme qui est Dieu pour ressusciter.
4. « Leurs infirmités se sont multipliées » ; non pour leur perte, mais pour leur faire désirer le médecin. « C’est pourquoi ils ont hâté leur course ». Donc, à la vue de leurs nombreuses maladies, ils se sont hâtés d’en chercher la guérison. « Je ne les assemblerai pas pour des sacrifices sanglants[15] ». Leurs assemblées ne seront plus charnelles, et ce n’est point en faveur du sang des animaux que je les rassemblerai pour les exaucer. « J’oublierai leur nom qui ne sera plus sur mes lèvres ». Par un changement tout spi-r rituel, ils oublieront ce qu’ils étaient autrefois ; et moi, dans la paix que je leur donnerai, je ne verrai plus en eux des pécheurs ou des ennemis, ou même des hommes, mais je les appellerai des justes, des frères, et des enfants de Dieu.
5. « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice[16] ». Car ils posséderont aussi avec moi cet héritage qui est Dieu même. Que d’autres se choisissent, pour en jouir, l’héritage des biens temporels et passagers ; le partage des saints, c’est Dieu qui est éternel. Que d’autres s’enivrent de mortelles voluptés, le Seigneur est la part de mon calice. En disant « de mon calice », je comprends aussi l’Église avec moi, car où est la tête, là est aussi le corps. Je ferai en effet mon héritage de leurs assemblées, et dans l’ivresse de mon calice j’oublierai leurs noms anciens. « C’est vous, ô Dieu, qui me rétablirez dans mon héritage[17] », afin que ceux que je délivre, connaissent l’éclat que j’avais en vous avant la création du monde[18] ». Ce n’est point pour moi que vous me rendrez ce que je n’ai point perdu, mais pour ceux qui ont perdu la connaissance de cette gloire ; et comme je suis en eux, « c’est à moi que vous la rendrez ».
6. « Le cordeau a mesuré ma part dans des lieux ravissants[19] ». Comme le Seigneur devint autrefois la possession des prêtres et des lévites, mon héritage m’est échu comme par le sort, dans la splendeur de votre gloire, ô mon Dieu. « Et cet héritage est glorieux pour moi », car il n’est pas glorieux pour tous, mais pour ceux qui le comprennent ; et comme je suis en eux, c’est pour moi qu’il est glorieux.
7. « Je bénirai le Seigneur qui m’a donné l’intelligence », nécessaire