Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

sur ce qui ne se voit pas ; car ce qui se voit est temporel, tandis que ce qui ne se voit pas est éternel[1]. Or, dès que nous espérons ainsi ce que nous ne voyons pas et que nous l’attendons avec patience, on a droit de nous adresser ces paroles d’un psaume : « Attends le Seigneur, agis avec courage, fortifie ton cœur et attends le Seigneur[2] ». Car les promesses du monde sont toujours trompeuses, au lieu que les promesses divines ne trompent jamais. Cependant le monde semble devoir donner ce qu’il promet, ici même, sur la terre des mourants où nous sommes ; Dieu au contraire ne nous mettra en possession de ce qu’il nous offre que dans la terre des vivants : de là vient que plusieurs se lassent d’attendre Celui qui ne peut les induire en erreur, et qu’ils ne rougissent pas de s’attacher à ce qui ne fait que les tromper. C’est de ces aveugles qu’il est dit dans l’Écriture : « Malheur à ceux qui ont perdu patience et qui ont abandonné les droites voies[3] ». De plus, quand on agit avec courage et qu’on attend Dieu avec résolution, on est constamment outragé par les victimes de l’éternelle mort qui ne cessent de prôner leurs joies éphémères, joies perfides qui ne flattent un moment que pour surpasser le fiel en amertume. Où est, nous répètent-ils, ce qu’on vous promet au-delà de cette vie ? Qui est venu de l’autre inonde pour vous assurer que vos espérances sont fondées ? Nous au moins nous savons jouir de nos plaisirs, car nous espérons ce que nous voyons : pour vous, qui croyez ce que vous ne voyez pas, vous ne savez vous imposer qu’abstinences et tortures. Puis ils ajoutent, comme l’a rappelé saint Paul : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ». Remarquez cependant à quoi il nous avertit de prendre garde. « Les mauvais propos, dit-il, corrompent les bonnes mœurs. Usez d’une sage sobriété et ne péchez pas[4] ».

2. Prenez donc garde, mes frères, que de semblables propos ne corrompent en vous les mœurs, n’abattent vos espérances, n’affaiblissent votre patience et ne vous jettent dans des voies funestes. Ah ! plutôt soyez doux et dociles pour suivre les voies droites, celles que vous montre le Seigneur, et dont il est ainsi parlé dans un psaume : « Il conduira dans la justice ceux qui sont dociles, il enseignera ses voies à ceux qui sont doux[5] ». En effet, pour pratiquer, toujours au milieu des épreuves de la vie, la patience sans laquelle il est impossible de conserver l’espérance du bonheur à venir, il est absolument nécessaire d’être doux et docile, de ne pas résister à la volonté de Dieu, de Dieu dont le joug est doux et le fardeau léger, mais pour ceux qui croient en lui, qui espèrent en lui et qui l’aiment. Si vous êtes ainsi doux et dociles, non-seulement vous aimerez les consolations de Dieu, mais, comme de bons fils, vous saurez endurer, encore les coups de sa verge et attendre avec patience ce que vous espérez sans le voir. Agissez, agissez ainsi. C’est le Christ que vous suivez, et il a dit : « Je suis la voie[6] ». Or apprenez dans ses exemples comme dans ses paroles de quelle manière vous le devez suivre. Il est le Fils unique du Père, et le Père ne l’a pas épargné, mais il l’a livré pour nous tous[7], sans que le Fils refusât ou résistât. Car il voulait ce que voulait son Père, n’ayant avec lui qu’une même volonté dans l’égalité de la divine nature, égalité qui lui permettait, sans usurpation, de s’égaler à Dieu. Et pourtant quelle incomparable obéissance il pratiqua dans la nature d’esclave qu’il prit en s’anéantissant[8] ! Car « il nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous en oblation à Dieu et en hostie de suave odeur[9] ». D’où il suit que si le Père n’a pas épargné son propre Fils et l’a livré pour nous tous, le Fils aussi s’est sacrifié pour nous.

3. Or c’est en se livrant ainsi, dans sa nature humaine, aux opprobres des hommes, aux dérisions de la multitude, aux outrages, aux fouets et à la mort de la Croix, que ce Dieu Très-haut, par qui tout a été fait, nous a enseigné avec quelle patience nous devons marcher dans son amour ; et, par l’exemple de sa résurrection, il nous dit encore ce qu’avec une invincible patience nous devons espérer de lui. « Car si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience ». Il est vrai, nous espérons ce que nous ne voyons pas ; mais nous sommes le corps d’un Chef divin cri qui nous voyons réalisées dès maintenant nos espérances. N’est-il pas dit de lui qu’« il est le Chef de son corps, de l’Église, le premier-né, et qu’il garde en tout la primauté[10] ? » Et de nous : « Vous êtes le corps et les membres du Christ[11] ? »

  1. 2Co. 4, 18
  2. Psa. 26, 14
  3. Sir. 2, 16
  4. 1Co. 15, 32-34
  5. Psa. 24, 9
  6. Jn. 14, 6
  7. Rom. 8, 32
  8. Phi. 2, 6, 7
  9. Eph. 5, 2
  10. Col. 1, 18
  11. 1Co. 2, 27