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ne vous fasse pas céder à ses penchants coupables. » Commencez-vous à y céder ? Il règne. Et qu’est-ce qu’y céder, sinon « faire servir vos « membres au péché, comme des instruments d’iniquité [1] ? » Est-il rien de plus clair que ce langage ? Pourquoi demander encore que je l’explique ? Fais ce que tu viens d’entendre. Ne consacre pas tes membres au péché, comme des instruments d’iniquité. Dieu t’a donné, par son Esprit, le pouvoir de réprimer tes sens. La passion s’élève-t-elle ? Retiens tes sens ; que lui servira alors de s’être élevée ? Retiens tes sens ; garde-toi de faire servir tes membres au péché, comme des instruments d’iniquité ; n’arme pas ton ennemi contre toi. Retiens tes pieds, pour qu’ils ne courent pas au mal ; et si la convoitise se fait sentir, retiens tes sens ; éloigne tes mains de toute action mauvaise, tes yeux de tout mauvais regard, tes oreilles de toute attention volontaire aux paroles impures ; règle enfin tout ton corps, tous tes sens, les sens plus nobles comme ceux qui le sont moins. Que fait la passion ? Elle peut attaquer, elle ne saurait vaincre ; et à force d’attaquer sans résultat, elle apprend à rester calme.
13. Un retour sur les paroles de l’Apôtre où nous avons vu de l’obscurité, et nous constaterons maintenant combien elles sont claires. J’avais fait remarquer que l’Apôtre n’a pas dit Marchez selon l’Esprit et vous n’aurez point de convoitises charnelles, car il est nécessaire que nous en ayons. Pourquoi encore n’a-t-il pas dit Ne les ressentez point ? C’est que nous les ressentons. Les ressentir, c’est les produire ; mais comme s’exprime le même Apôtre : « Ce n’est pas moi qui fais cela, c’est le péché qui demeure en moi[2]. » Que dois-tu donc éviter ? Assurément d’exécuter les désirs coupables. Une passion déréglée s’élève en toi, elle s’élève, elle te parle ; ne l’écoute pas. Elle s’enflamme, loin de s’éteindre, et tu voudrais qu’elle ne s’enflammât point. Oublies-tu ces mots – « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ? » Refuse-lui tout concours, qu’elle brûle sans trouver d’aliments, elle s’éteindra. En toi donc se font sentir les convoitises, n’en disconviens pas. Aussi l’Apôtre a-t-il dit : « N’accomplissez pas leurs désirs. » Ne les accomplis pas ; c’est les accomplir, par exemple, que d’être déterminé à commettre un adultère, quand on ne s’abstient que pour n’en avoir pas trouvé l’occasion, le moment favorable, que pour avoir rencontré un obstacle dans la chasteté de la personne qu’on avait en vue. Cette personne alors reste chaste, et toi, tu es coupable d’adultère. Pourquoi ? Parce que tu as accompli tes désirs mauvais. Comment les as-tu accomplis ? En consentant dans ton âme à commettre l’adultère. Alors donc, mais que le ciel t’épargne ce malheur ! sans avoir fait l’acte même tues tombé sous les coups de la mort.
14. C’est dans la maison même que le Christ ressuscita la fille défunte d’un Chef de synagogue [3]. Cette fille était encore dans la maison de son père, on ne l’avait pas enlevée encore. Tel est l’homme qui a consenti dans son cœur à commettre le crime ; il est mort, mais il n’est pas emporté. Le pécheur est-il allé jusqu’à faire servir aux crimes les membres de son corps ? il est sorti de sa demeure. Mais le Seigneur n’a-t-il pas ressuscité aussi le jeune fils de la veuve, au moment où on l’emportait en dehors des portes de la ville ? J’ose donc dire : Si après avoir pris dans ton cœur une résolution funeste, tu te repens de ce que tu viens de faire, tu es guéri avant de commettre l’acte même. Oui, si tu fais pénitence pour avoir consenti à une action mauvaise, et criminelle, ignominieuse et inexcusable, tu ressuscites intérieurement comme intérieurement tu étais mort. N’es-tu pas allé jusqu’à consommer le crime ? On t’emporte loin de ta demeure ; mais aussi tu as quelqu’un pour te dire : « Jeune homme, je te le commande, lève-toi[4]. » Oui, lors même que le crime serait commis, repens-toi, reviens au plus vite sur, tes pas, ne descends pas dans le tombeau. Cependant, ici encore je trouve une troisième, espèce de mort, un mort qui a été conduit jusqu’au tombeau. Déjà pèse sur lui le poids de la coutume, il est accablé sous un monceau de terre ; car il s’est livré longtemps aux désordres et il est enchaîné par des habitudes tyranniques. À lui encore s’adresse le Christ, il crie : « Lazare, viens dehors. » Avec ses habitudes perverses cet homme exhale déjà une odeur infecte. Aussi Jésus crie-t-il, il crie même d’une voix forte[5]. Et à ce cri puissant ces pécheurs, quoique morts, quoiqu’ensevelis, quoique sentant déjà mauvais, ressusciteront aussi. Ils ressusciteront ; de quel mort faut-il désespérer avec un tel Rédempteur ? Tournons-nous, etc.

  1. Rom. 6, 12-13
  2. Rom. 7, 17
  3. Mrc. 5, 22-42
  4. Luc. 7, 11-15
  5. Jn. 11, 14-44