Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/470

Cette page n’a pas encore été corrigée

C'est peu d’éviter l’attachement à l’argent, évite aussi l’attachement à la vie. Que cet attachement est à craindre, qu’il est redoutable ! On rencontre parfois des hommes qui pour ne pas faire un faux témoignage méprisent ce qu’ils possèdent. – Tu n’en fais pas ? leur dit-on ; j’enlève ce que tu as. – Enlève-le ; mais tu ne peux rien sur mon trésor intérieur. Non, cet ancien n’était pas pauvre, lorsque dépouillé de tout il disait : « Le Seigneur adonné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; ainsi, que le nom du Seigneur soit béni ; je suis sorti nu du sein de ma mère ; je rentrerai nu dans la terre[1]. » Extérieurement il était dépouillé ; mais à l’intérieur quels riches vêtements ! Il ne portait plus ces étoffes qui s’usent, et pourtant il n’était point sans vêtement. Quel était ce vêtement ? « Que vos prêtres, est-il écrit, soient revêtus de justice[2]. » Si donc, témoin de ton mépris pour la fortune, on te disait : Je te mets à mort ; réponds, si tu es fidèle au Christ : Tu me mettras à mort ? Eh bien, j’aime mieux que tu tues mon corps que de tuer mon âme par le mensonge. Que peux-tu contre moi ? Tuer ma chair ; mais l’âme en sortira pleine de liberté pour s’y réunir à la fin des siècles après l’avoir sacrifiée maintenant. Ainsi que peux-tu contre moi ? Mais moi, en faisant pour toi un faux témoignage, je me tue par là même, et je me tue, non pas corporellement, car « la bouche menteuse donne la mort à l’âme[3]. » – Peut-être, hélas ! ne tiens-tu pas ce langage. Pourquoi ne le tiens-tu pas ? C’est que tu veux vivre. Quoi ! vivre plus que Dieu ne veut ? Est-ce te garder de toute avarice ? Dieu voulait que tu vécusses jusqu’au moment où ce tentateur s’est approché de toi. Il pourra te mettre à mort et faire de toi un martyr. N’aie pas la passion de vivre pour mourir éternellement. Vous voyez donc que partout où nous recherchons plus qu’il n’est nécessaire, cette funeste avarice nous conduit au péché. Gardons-nous de toute avarice, si nous voulons jouir de l’éternelle sagesse.


SERMON CVIII. RÉCOMPENSE ET MÉRITE[4].

ANALYSE. – Quoique toujours présent parmi nous, Jésus-Christ viendra récompenser les bons au dernier jour et pour leur accorder cette récompense, il demande qu’ils évitent le mal et fassent le bien. Que ne nous empressons-nous de mériter cette récompense, puisqu’ici tout nous échappe, puisqu’ici nous ne saurions trouver le bonheur ? Peut-on dire qu’elle soit mise à des conditions trop difficiles ?


1. Jésus-Christ Notre-Seigneur est venu parmi les hommes ; il les a quittés ensuite pour revenir vers eux. Déjà il était ici quand il y est venu, et en s’en allant il ne nous a pas quittés, puisqu’avant de revenir vers nous il nous a dit « Voici, je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle[5]. » C’est dont en qualité de serviteur, tel qu’il s’est fait pour nous, qu’il est né dans le temps, qu’il a été mis à mort, qu’il est ressuscité, qu’il ne meurt plus, et que la mort n’aura plus d’empire sur lui[6] ; et c’est comme Dieu, comme étant égal à son Père, qu’il, était dans ce monde, que le monde a été fait par lui et que le monde ne l’a point connu[7]. Or à propos de ce dernier avènement, vous venez d’entendre comment il nous avertit, dans l’Évangile ; d’être sur nos gardes, de nous tenir toujours prêts et disposés à nos derniers moments, afin qu’a ces derniers moments, redoutables au point de vue de ce siècle ; succède un repos sans fin. Heureux quiconque y sera admis ! Alors seront sans crainte ceux qui craignent maintenant, et ceux qui ne tremblent pas aujourd’hui trembleront alors. C’est dans cette vue dernière et dans cette espérance que nous sommes devenus chrétiens. Notre espoir en effet n’est-il pas en dehors de ce siècle ? N’aimons pas ce siècle ; de l’amour de ce siècle nous avons été appelés à aimer et à espérer un autre monde. Nous devons ici nous abstenir de tout désir coupable, c’est-à-dire, noirs ceindre les reins ; être remplis d’ardeur et de lumière pour faire

  1. Job. 21
  2. Psa. 131, 9
  3. Sag. 1, 11
  4. Luc. 12, 35-36
  5. Mat. 28, 20
  6. Rom. 6, 9
  7. Jn. 1, 10