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écoulées depuis Adam ; nous voici au terme de six mille ans, et bientôt, d’après les supputations de quelques interprètes, arrivera le jour du jugement. Mais ces supputations passent aussi, et l’Époux ne vient point, et ces vierges qui allaient au-devant de lui s’endorment comme les autres. Et quand on ne s’y attend plus, quand on répète On croyait que ce serait au bout de six mille ans, elles six mille ans sont écoulés, comment savoir maintenant à quelle époque il viendra ? il viendra tout-à-coup au milieu de la nuit. Qu’est-ce à dire, ait milieu de la, nuit ? Il viendra quand tu ne l’attendras point. Et pourquoi viendra-t-il alors ? Interroge le Seigneur lui-même : « Ce n’est pas à vous, dit-il, de connaître les temps et les moments que le Père a réservés en sa puissance [1]. » – « Le jour du Seigneur, dit « encore l’Apôtre, viendra comme un voleur pendant la nuit[2]. » Donc aussi veille durant la nuit, afin de n’être pas surpris par le voleur, car bon gré, mal gré, le sommeil de la mort finira par venir, après toutefois qu’un cri se sera fait entendre au milieu de la nuit.
9. Quel est ce cri, sinon celui dont il est question dans ces paroles de l’Apôtre : « En un clin d’œil, au son de la dernière trompette ; car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront, et nous serons transformés ?[3] » Et après que ce cri se sera fait entendre au milieu de la nuit, quand on aura crié : « Voici venir l’Époux », qu’arrivera-t-il ? « Toutes se lèveront », est-il écrit. Qu’est-ce à dire ? « Viendra le moment, dit le Seigneur lui-même, où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et en sortiront [4]. » Ainsi c’est au son de la dernière trompette que « toutes se lèveront. Or les « prudentes prirent de l’huile avec elles dans leurs vases, tandis que les folles n’en prirent point. » Que signifie : « Elles n’emportèrent point d’huile avec elles dans leurs vases ? » — Dans leurs vases signifie dans leurs cœurs ; ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Voici notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience[5]. » Là en effet se trouve une huile, une huile mystérieuse qui vient de la bonté de Dieu ; car les hommes peuvent bien mettre de l’huile dans un vase, mais ils ne sauraient créer une olive. — J’ai de l’huile, dis-tu. – Est-ce toi qui l’as créée ? Elle est due à la bonté de Dieu. Tu as de l’huile ? Emporte-la avec toi. Qu’est-ce à dire ? Garde-la dans ton âme ; applique ton âme à plaire à Dieu.
10. Vois ces vierges qui n’ont point emporté d’huile avec elles. En gardant l’abstinence qui leur a fait donner le titré de vierges, en s’employant aux bonnes œuvres qui font briller comme des lampes dans leurs mains, c’est aux hommes qu’elles veulent plaire. Mais si elles veulent plaire aux hommes, si c’est dans ce dessein qu’elles se livrent à tant d’œuvres dignes d’applaudissements, elles ne portent point d’huile avec elles. Ah ! sois plus sage et portes-en, portes-en dans ton âme, dans ce sanctuaire que fixe l’œil de Dieu ; porte-là le témoignage d’une bonne conscience.C'est ne pas porter d’huile, que de dépendre du témoignage et de l’opinion d’autrui. Et si c’est en vue des louanges des hommes que tu t’abstiens du mal et que tu fais le bien, tu ne portes pas d’huile dans ton cœur, et ta lampe s’éteindra lorsque ces louanges viendront à te manquer. Que votre charité fasse bien attention à cette circonstance. Avant que ces vierges s’endormissent, il n’est pas dit que leurs lampes se fussent éteintes. Ce qui entretenait les lampes des sages, c’était l’huile intérieure, la paix de la conscience, la gloire invisible, l’intime charité. Les lampes des folles brillaient aussi. Pourquoi brillaient-elles ? C’est que les louanges humaines ne leur faisaient pas défaut. Après le réveil, c’est-à-dire à la résurrection des morts, elles commenceront à préparer leurs lampes, à se disposer à rendre compte à Dieu de leurs œuvres. Mais alors plus personne pour les louer, chacun s’occupe de soi, chacun pense à soi ; et il n’y a plus de vendeurs d’huile. Les lampes alors commencent à s’éteindre et les vierges folles se tournent vers les cinq vierges prudentes : « Donnez-nous de votre huile, disent-elles, car nos lampes s’éteignent. » Elles cherchent ainsi ce qu’elles ont cherché toujours, à brûler l’huile d’autrui, à vivre des louanges d’autrui. « Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent. »
11. « De peur qu’il n’y en ait pas assez pour nous et pour vous, répondent les sages, adressez-vous plutôt à ceux qui en vendent et achetez-en pour vous. » Ce n’est pas un conseil, c’est une dérision. Pourquoi cette dérision ? Ces vierges étaient sages, la sagesse était en elles, car elles n’étaient point sages par elles-mêmes, elles ne l’étaient que par l’impression de cette Sagesse dont parlé un de nos livres sacrés et qui dit à ses contempteurs accablés des maux dont elle les

  1. Act. 1, 7
  2. 1Th. 5, 2
  3. 1Co. 15, 52
  4. Jn. 5, 28-29
  5. 2Co. 1, 12