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pour l’autre, et vous deviendrez leurs enfants. Voici donc en quoi vous devez faire des progrès : Aimez le Seigneur, et apprenez par là à vous aimer vous-mêmes ; et lorsqu’en aimant le Seigneur vous serez parvenus à vous aimer, vous pourrez en toute sécurité aimer votre prochain comme vous-mêmes. Quand en effet je rencontre un homme qui ne s’aime pas, comment lui permettrai-je d’aimer son prochain comme lui-même ? – Mais qui ne s’aime soi-même, dira-t-on ? Voici : « Aimer l’iniquité, c’est haïr, son âme[1]. » Est-ce en effet s’aimer que d’idolâtrer sa chair et de haïr son âme, et cela à son détriment, au détriment de l’âme et de la chair même ? Mais quand on aime Dieu de tout son cœur et de tout son esprit, je permets alors d’aimer le prochain. – Aimez ainsi votre prochain comme vous-mêmes.

7. Qui est mon prochain, demandera-t-on ? — Tout homme est ton prochain. Tous en effet ne sommes-nous pas descendus de deux premiers parents ? On voit parmi les animaux les individus de chaque espèce se rapprocher ; la colombe se rapproche de la colombe, le léopard du léopard, l’aspic de l’aspic, la brebis de la brebis, et l’homme ne serait pas le prochain de l’homme ? Rappelez-vous la création du monde. Dieu dit, et les eaux produisirent ; elles produisirent des animaux qui nagent, de grands cétacés, des poissons, des oiseaux mêmes et d’autres êtres semblables. Mais tous les oiseaux descendent-ils d’un oiseau ? Tous les vautours d’un premier vautour ? Toutes les colombes d’une même colombe ? Tous les serpents d’un seul serpent ? Toutes les dorades d’une même dorade ? Enfin toute les brebis d’une première brebis ? Non, la terre a produit en même temps toutes les espèces d’animaux. Mais quand il s’est agi de l’homme, la terre ne l’a point produit ainsi. Dieu nous a donné un même père remarquez, il ne nous a pas donné d’abord un père et une mère ; non, il nous a donné un père seulement et non pas un père et une mère. La mère a été tirée du père, et le père n’a été tiré de personne ; c’est Dieu qui l’a fait de rien, tandis que de lui il a formé la mère.[2]. Considérez donc notre race ; nous sortons tous d’une même source, et parce que cette source primitive s’est aigrie, nous avons dégénéré et nous ne sommes que des oliviers sauvages. Mais la grâce est venue ensuite. Un premier père nous avait engendrés pour le péché et pour la mort, sans nous empêcher toutefois de former la même famille, d’être proches les uns des autres ; non-seulement de nous ressembler, mais encore d’être parents. Un autre vint réparer l’œuvre du premier. L’un avait dispersé, l’autre vint recueillir l’un avait donné la mort, l’autre vint donner la vie. Car « de même que tous nous mourons en Adam, ainsi nous serons tous vivifiés en Jésus-Christ[3]. » Quiconque naît d’Adam est destiné à la mort ; quiconque aussi croit en Jésus-Christ recouvre la vie, mais à condition qu’il aura la robe nuptiale et qu’il sera invité au festin pour y rester et non pour en être chassé.

8. Ainsi donc, mes frères, ayez la charité. Je viens de vous faire connaître en quoi consiste la robe nuptiale, le vêtement proprement dit. On loue la foi, sans aucun doute, on la loue. Mais laquelle ? C’est ce que précise l’Apôtre. Quelques-uns se glorifiaient de leur foi, sans avoir des mœurs qui y répondissent : l’Apôtre saint Jacques les réprimande en ces termes : « Tu crois qu’il n’y a qu’un Dieu, tu fais bien. Les démons croient aussi, et ils tremblent[4]. » Pourquoi les félicitations données à Pierre ? Pourquoi fut-il appelé bienheureux ? Rappelons-le ensemble ; c’est qu’il avait dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant[5]. » Mais en déclarant cet Apôtre bienheureux, le Christ avait en vue, non les paroles elles-mêmes, mais l’affection du cœur qui les inspirait. Voulez-vous vous convaincre en effet que le bonheur de Pierre ne vint pas de les avoir prononcées ? Considérez que les démons les prononcèrent également : « Nous savons qui vous êtes, disaient-ils, vous êtes le Fils de Dieu[6]. » Pierre confessa que Jésus était le Fils de Dieu ; les démons le confessèrent aussi. – Ah ! Seigneur, ne confondez pas l’un avec les autres. – Je ne les confonds pas ensemble. Pierre parlait avec amour, et les démons par crainte. L’un disait : « Je vous suis jusqu’à la mort;[7] » et les autres : « Qu’y a-t-il entre nous et vous[8] ? » Toi donc qui te présentes au festin, garde-toi de te glorifier de ta foi si elle est seule. Il y a une distinction à faire entre foi et foi, c’est le moyen de porter la robe nuptiale. Or apprenons de l’Apôtre cette distinction importante : « Ni la circoncision, dit-il, ni l’incirconcision ne servent de rien, mais la foi. » – Quelle foi ? N’est-il pas vrai que les démons mêmes ont la foi et qu’ils tremblent ? – Je vais préciser, reprend-il, écoutez ; voici, voici la distinction : « Mais la

  1. Psa. 10, 6
  2. Gen. 1-2
  3. 1Co. 15, 22
  4. Jac. 2, 19
  5. Mat. 16, 16, 17
  6. Mrc. 1, 24
  7. Luc. 22, 38
  8. Mat. 8, 29