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en effet, ne sont point des scandales. Qu’est-ce que le scandale ? Attention !

Un homme, par exemple, éprouve quelque affliction, il est opprimé. Être opprimé n’est pas être scandalisé ; ainsi les martyrs ont été opprimés, mais non pas oppressés. Qu’on se préserve donc du scandale ; il est moins nécessaire d’échapper à l’affliction ; l’affliction opprime et le scandale oppresse. Quelle différence y a-t-il donc entre l’affliction et le scandale ? Sous le poids de l’affliction, on se disposait à pratiquer la patience, à conserver la constance, et à être ferme dans la foi, à repousser le péché. Si l’on a été ou si l’on est fidèle à cette résolution, l’affliction ne nuira point ; elle fera ce que fait le pressoir, il ne cherche point à déchirer l’olive, mais à en exprimer l’huile. Et si l’on va alors jusqu’à louer Dieu, combien l’adversité est avantageuse, puisqu’elle sert à former ces divines louanges !

Les Apôtres étaient arrêtés et enchaînés, et sous le poids de cette épreuve ils chantaient ; des hymnes au Seigneur. Voilà bien le pressoir et ce qui s’en exprime. Job aussi fut soumis à une cruelle épreuve, jeté sur un fumier, dépouillé de sa fortune, sans ressources, sans aucun bien, sans enfants, et riche seulement des vers qui le dévoraient. Tel était en lui l’homme extérieur, mais intérieurement il était rempli de Dieu ; aussi louait-il le Seigneur, et cette affliction cruelle n’était pas pour lui un scandale. Où commença le scandale ? Quand son épouse s’approcha de lui en disant : « Blasphème contre Dieu et meurs. » Le démon lui avait tout enlevé ; mais, dans son épreuve, Eve lui fut laissée, laissée pour le tenter et non pour : le consoler. Voilà le scandale. Elle lui représente son malheur et sa propre infortune attachée à celle de son époux, essayant ainsi de le porter au blasphème. Mais Job était doux, car Dieu l’avait instruit de sa loi, il l’avait rendu doux pour les jours mauvais ; Job aimait la loi divine, une paix abondante remplissait son cœur ; aussi n’y eut-il point pour lui de scandale. Il y en eut, du scandale, mais pas pour lui. Sa femme fut un scandale, mais pas pour son époux. Considère donc combien il était doux, combien il était instruit de la loi de Dieu. Je dis de la loi éternelle ; car à l’époque du patriarche, la loi n’avait pas été encore donnée aux Juifs sur des tables de pierre et il n’y avait dans les cœurs pieux que l’éternelle loi dont la loi publiée devant Israël était un extrait. La loi de Dieu avait ainsi adouci Job pour les jours mauvais ; il aimait cette loi et jouissait d’une paix abondante. Aussi vois ce qu’il répond dans sa douceur, et apprends ici, selon mon dessein, quels sont les hommes doux : « Tu as parlé, dit-il à sa femme, comme une insensée. Si nous avons reçu des biens de la main du Seigneur, pourquoi n’en souffririons-nous pas des maux ?[1] »

3. Cet exemple nous a appris quelles sont les âmes douces ; donnons maintenant, s’il nous est possible, une définition de la douceur. Les hommes doux sont ceux à qui rien ne plaît que Dieu dans tout ce qu’ils font, dans toutes leurs bonnes œuvres, et à qui Dieu ne déplaît jamais, quelques maux qu’ils endurent. Allons, mes frères, appliquez-vous à bien comprendre cette définition, cette règle : cherchons à nous y conformer et acquérons ce qui nous manque pour nous y adapter. Eh ! que nous sert de planter et d’arroser si Dieu ne donne l’accroissement ? « Ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu de qui vient la croissance[2]. » Écoute bien cela, toi qui veux être doux, toi qui prétends t’adoucir contre les jours mauvais et qui aimes la loi Dieu pour n’être pas victime du scandale, pour goûter unie paix abondante, pour posséder la terre et jouir des délices de la paix ; écoute donc, toi qui veux être doux. Quelque bien que tu fasses, garde-toi de te plaire ; car « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles.[3] » Ainsi, quelque soit le bien que tu fais, que Dieu seul te plaise ; et que jamais il ne te déplaise, quelques maux que tu endures. Qu’ajouter encore ? Rien ; fais cela et tu vivras. Tu ne périras point pendant les jours mauvais et tu échapperas à nette menace : « Malheur au monde à cause des scandales ![4]» Et à quel monde, sinon au monde dont il est écrit : « Et le monde ne l’a point connu ?[5] » Ce n’est sûrement pas à celui dont il est dit : « Dieu était dans le Christ pour se réconcilier se monde[6]. »
Il y a donc un monde méchant et un monde honnête. Le monde méchant, ce sont tous les méchants que renferme le monde, et le monde honnête en comprend tous les bons. N’avons-nous pas remarqué souvent quelque chose de semblable sur la terre ? Ce champ est tout couvert ; de quoi ? de froment. Nous disons pourtant aussi, et sans mentir, qu’il est tout couvert de

  1. Job. 2, 9-10
  2. 1Co. 3, 7
  3. 1Co. 3, 7
  4. Jac. 4, 6
  5. Jn. 1, 10
  6. 2Co. 5, 19.