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Dieu un saint amour et conséquemment des mœurs saintes ? Il cherchait son propre bien ; aussi ajouta-t-il. « Si vous voulez, dressons ici trois tentes : une pour vous, une pour Moïse et une autre pour Élie. » Le Seigneur ne répondit rien à cette demande, et toutefois il y fut répondu. En effet, comme il parlait encore, une nuée lumineuse descendit et les couvrit de son ombre. Pierre demandait trois tentes ; et la réponse du ciel témoigna que nous n’en avons qu’une, celle que le sens humain voulait partager. Le Christ est la parole de Dieu, la Parole de Dieu dans la loi, la Parole de Dieu dans les prophètes. Pourquoi, Pierre, chercher à la diviser ? Cherche plutôt à t’unir à elle. Tu demandes trois tentes comprends qu’il n’y en a qu’une.
4. Pendant que la nuée les couvrait et formait comme une seule tente au-dessus d’eux, une voix sortit de son sein et fit entendre ces paroles « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Là se trouvaient Moïse et Élie. La voix ne dit pas : Ceux-ci sont mes Fils bien-aimés. Autre chose est d’être le Fils unique, et autre chose, des enfants adoptifs. Celui qui se trouve aujourd’hui signalé est Celui dont se glorifient la loi et les prophètes : « Voici, est-il dit, mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes douces complaisances ; écoutez-le ; » car c’est lui que vous avez entendu dans les prophètes, lui aussi que vous avez entendu dans la loi, et où ne l’avez-vous pas entendu ? Ils tombèrent à ces mots la face contre terre. Voilà donc dans l’Église le royaume de Dieu. Là en effet nous apparaissent le Seigneur, la loi et les prophètes : le Seigneur dans la personne du Seigneur même, la loi dans la personne de Moïse et les prophètes dans celle d’Élie. Ces deux derniers figurent ici comme serviteurs et comme ministres, comme des vaisseaux que remplissait une source divine ; car si Moïse et les prophètes parlaient et écrivaient, c’est qu’ils recevaient du Seigneur ce qu’ils répandaient dans autrui.
5. Le Seigneur ensuite étendit la main et releva ses disciples prosternés. « Ils ne virent plus alors que Jésus resté seul. » Que signifie cette circonstance ? Vous avez entendu, pendant la lecture de l’Apôtre, que « nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme, mais que nous verrons alors face à face », et que les langues cesseront lorsque nous posséderons l’objet même de notre espoir et de notre foi[1]. Les Apôtres en tombant symbolisent donc notre mort, car il a été dit à la chair : « Tu es terre et tu retourneras en terre[2] ; » et notre résurrection quand le Seigneur les relève. Mais après la résurrection, à quoi bon la loi ? à quoi bon les, prophètes ? Aussi ne voit-on plus ni Élie ni Moïse. Il ne reste que Celui dont il est écrit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu[3]. » Il ne reste plus que Dieu, pour être tout en tous[4]. Là sera Moïse, mais non plus la loi. Nous y verrons aussi Élie, mais non plus comme prophète. Car la loi et les prophètes devaient seulement rendre témoignage au Christ, annoncer qu’il devrait souffrir, ressusciter d’entre les morts le troisième jour et entrer ainsi dans sa gloire[5] ; dans cette gloire où se voit l’accomplissement de cette promesse adressée à ceux qui l’aiment : « Celui qui m’aime, dit-il, sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai. » Et comme si on lui eût demandé : Que lui donnerez-vous en témoignage de votre amour ? « Et je me montrerai à lui », poursuit-il[6]. Quelle faveur ! Quelle magnifique promesse ! Dieu te réserve pour récompense, non pas quelque don particulier, mais lui-même. Comment, ô avare, ne pas te contenter des promesses du Christ ? Tu te crois riche, mais qu’as-tu si tu n’as pas Dieu, et si ce pauvre l’a, que ne possède-t-il point ?
6. Descends, Pierre, tu voulais te reposer sur la montagne, descends, annonce la parole, insiste à temps, à contre-temps, reprends, exhorte, menace, en toute patience et doctrine[7] ; travaille, sue, souffre des supplices afin de parvenir par la candeur et la beauté des bonnes œuvres accomplies avec charité, à posséder ce que figurent les blancs vêtements du Seigneur. L’Apôtre ne vient-il pas de nous dire, à la gloire de la charité : « Elle ne cherche point son propre intérêt[8] ? » Il s’exprime ailleurs autrement, et il est fort dangereux de ne pas le comprendre. Expliquant donc les devoirs de la charité aux membres fidèles du Christ : « Que personne, dit-il, ne cherche son bien propre, mais le bien d’autrui. » Or en entendant ces mots, l’avare prépare ses artifices ; il veut dans les affaires, pour rechercher le bien d’autrui, tromper le prochain, et ne pas chercher son bien propre, mais celui des étrangers. Arrête, ô avarice, justice, montre-toi : écoutons et comprenons. C’est la charité qu’il a été dit : « Que personne ne cherche

  1. 1Co. 13, 12, 8-9
  2. Gen. 3, 19
  3. Jn. 1, 1
  4. 1Co. 15, 28
  5. Luc. 24, 44-47
  6. Jn. 14, 21
  7. 2 Tim. 4, 2
  8. 1Co. 13, 6