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comprendre, parce que c’est par l’Esprit qu’on en doit juger[1]. » Il ne perçoit plus ; c’est-à-dire, comme l’explique l’auteur sacré, il n’en a point l’intelligence. Ces sortes de chrétiens sont dans l’Église comme de petits enfants ; ils ne sont point spirituels encore, mais charnels ; il leur faut du lait et non pas une nourriture solide. « Comme de petits enfants en Jésus-Christ, dit saint Paul, je vous ai abreuvés de lait, je ne vous ai point donné à manger car vous n’en étiez pas capables encore, vous ne l’êtes pas encore non plus. » Cette expression encore n’est pas un terme de désespoir, mais il faut faire effort pour devenir ce qu’on n’est pas encore. « Vous êtes encore charnels », est-il dit. Pourquoi le sont-ils encore ? « Puisqu’il y a parmi vous jalousie et contention, poursuit l’Apôtre, n’êtes-vous pas charnels et ne vivez-vous pas humainement ? » Et mettant la plaie de plus en plus à nu : « Puisque l’un dit : Je suis à Paul ; un autre : Et moi à Apollo ; n’êtes-vous pas des hommes ? Qu’est donc Apollo ? et qu’est Paul ? Des ministres de Celui en qui vous avez cru[2]. » Paul donc et Apollo vivaient de concert dans l’unité de l’Esprit et le lien de la paix. Cependant pour avoir voulu les désunir, en faire des hommes de parti, s’enflammer pour l’un aux dépens de l’autre, ces Corinthiens sont traités à la fois d’hommes charnels, de vie animale, incapables de percevoir ce qui est de l’Esprit de Dieu. Comme, toutefois, ils ne sont pas séparés de l’Église, ils sont traités de petits enfants en Jésus-Christ. L’Apôtre aurait voulu les voir des Anges ou des dieux ; et il leur reprochait de n’être que des hommes, c’est-à-dire de rechercher dans leurs disputes, non pas les choses divines, mais les choses humaines. Mais à ceux qui sont séparés de l’Église, il ne dit pas qu’ils ne perçoivent point ce qui est de l’Esprit de Dieu ; il craindrait qu’on n’entendît ici le défaut d’intelligence, il dit seulement qu’ils ne possèdent pas l’Esprit. Car de ce qu’on possède une chose, il ne s’ensuit pas qu’on en ait en même temps l’intelligence.
31. L’Esprit-Saint est donc dans ces petits enfants en Jésus-Christ, qui demeurent dans l’Église, dont la vie est encore animale, charnelle, qui sont incapables de percevoir, en d’autres termes, de savoir et de comprendre ce qu’ils possèdent. Eh ! Comment seraient-ils enfants en Jésus-Christ, s’il ne leur était arrivé de renaître de l’Esprit-Saint Qu’on ne s’étonne pas d’ailleurs si l’on ne sait pas toujours ce que l’on possède. Sans parler ici de la divinité et de l’unité de la toute puissante et immuable Trinité, est-il si facile à chacun de comprendre scientifiquement la nature de l’âme ? Qui pourtant n’a pas d’âme ? Pour connaître enfin de la manière la plus indubitable que les petits enfants en Jésus-Christ possèdent l’Esprit de Dieu saris percevoir néanmoins ce qui est de l’Esprit de Dieu, considérons comment l’Apôtre Paul les réprimande un peu plus loin : « Ignorez-vous, dit-il, que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous [3]. » Assurément il ne parlerait pas de la sorte aux membres séparés de l’Église, puisqu’il a dit d’eux qu’ils n’avaient pas cet Esprit.
32. Mais il faut bien se garder de considérer comme appartenant à l’Église, à cette grande société que forme l’Esprit-Saint, celui qui se mêle extérieurement, mais hypocritement, aux brebis du Christ. « Car l’Esprit-Saint, qui enseigne la sagesse, fuit le déguisement[4]. » De là vient qu’après avoir reçu le baptême dans les communions, ou plutôt dans les désunions hérétiques ou schismatiques, mais sans avoir pu renaître de l’Esprit, ressemblant ainsi à Ismaël, fils d’Abraham selon la chair, et non à Isaac, son fils selon l’Esprit, parce qu’il était le fils de la promesse ; lorsqu’on rentre dans l’Église catholique et qu’on se réunit à cette société formée par l’Esprit divin, que sans doute on ne possédait pas en dehors, on ne réitère point le baptême extérieur ; car on avait, même dans la séparation, cette forme de religion ; mais on reçoit ce qui ne peut se donner qu’au sein de l’Église, l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. Telle était, avant qu’ils devinssent catholiques, la situation de ces hommes dont l’Apôtre dit : « Qu’ils avaient une forme de religion, mais qu’ils en repoussaient la vertu[5]. » Une branche peut avoir la forme extérieure du sarment sans appartenir réellement à la vigne ; peut-elle puiser ailleurs que sur le cep la sève intérieure que communique la racine ? Ainsi peut-on voir dans les Sacrements visibles qu’emportent avec soi et que célèbrent ceux mêmes qui sont séparés du corps de Jésus-Christ, le signe extérieur de la piété chrétienne[6] ; mais il est aussi impossible à ces hommes d’avoir en eux la vertu intérieure

  1. 1 Cor. 2, 14
  2. 1 Co. 3, 1-5
  3. 2 Co. 3, 16
  4. Sag. 1, 15
  5. Gal. 6, 28, 29
  6. 2 Ti. 3, 5