Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/253

Cette page n’a pas encore été corrigée

Jésus-Christ donc étant descendu dans cette vie, le Verbe s’étant fait chair afin de s’immoler pour nos péchés et de ressusciter pour notre justification[1], saint Matthieu s’est attaché au nombre quarante. La génération qui excède ce nombre ne le détruit pas plus, que les trente années dont noirs avons parlé ne détruisent le nombre de quatre cents. Peut-être aussi l’Évangéliste a-t-il voulu t’aire entendre que tout en descendant en cette vie pour y porter le fardeau de nos crimes, le Seigneur Jésus, dont le nom forme l’unité qui s’ajoute à quarante, Dieu et homme tout ensemble, y occupe un rang si élevé et si incomparable, qu’il ne semble pas en faire partie. De lui en effet l’on peut dire ce que jamais on n’a pu, ce qu’on ne pourra dire jamais d’aucun homme, si saint, si sage, si juste et si parfait qu’il soit : « Le Verbe s’est fait chair[2]. »
33. Saint Luc, après avoir rapporté le baptême du Seigneur, suppute les générations en montant, et atteint le nombre complet de soixante-dix-sept, à partir de Notre-Seigneur Jésus-Christ jusqu’à Dieu, et en comprenant Joseph et Adam. C’est que ce nombre désigne tons les péchés effacés dans le baptême. Le Sauveur sans doute n’avait rien à effacer, mais son humilité, en recevant le baptême, a voulu nous recommander cet utile remède. Ce n’était encore que le baptême de Jean ; la Trinité s’y révéla toutefois d’une manière sensible ; l’on y vit le Père, le Fils et l’Esprit-Saint consacrer ainsi le baptême institué par le Christ en faveur des chrétiens : le Père dans la voix qui se fit entendre du haut du ciel ; le Fils dans l’humanité même du divin Médiateur ; et l’Esprit-Saint dans la colombe[3].
34. Le nombre de soixante-dix-sept, avons-nous dit, désigne tous les péchés effacés dans le baptême. En voici la raison qui parait convaincante. Dix exprime la justice et la félicité parfaite ; car elles consistent dans l’union de la créature, signifiée parle nombre sept, avec la Trinité aussi le Décalogue comprend-il-en dix préceptes toute la loi divine. En outrepassant, en transgressant dix, on arrive à onze ; or le péché est une transgression, puisqu’il vient de ce que l’homme franchit tes règles de la justice en désirant plus qu’il rie doit, ce qui a fait dire à l’Apôtre que la cupidité est la racine de tous les maux[4] ; et ce qui permet d’adresser au nom du Seigneur les paroles suivantes à l’âme que la volupté entraîne loin de lui : Tu espérais davantage en te séparant de moi. Le pécheur en cherchant son bien propre, rapporte donc à lui-même son péché ou sa transgression. C’est pourquoi l’Écriture, condamne ceux qui poursuivent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus-Christ [5], et loue au contraire la charité qui ne s’occupe pas d’elle-même[6]. De là vient que ce nombre onze, qui signifie la transgression, n’est pas ici multiplié par dix, mais par sept, et produit soixante-dix-sept. Ce n’est pas, effectivement à la Trinité qui l’a créé, c’est à lui-même, c’est à la créature que l’homme rapporte ses transgressions, et le nombre sept rappelle ta créature, car il y a dans ce nombre, trois pour désigner son âme, qui a été formée il l’image d e la Trinité créatrice et où reluit cette image ; et quatre pour désigner le corps, dont on courrait partout les quatre éléments constitutifs. Si toutefois quelqu’un de vous les ignorait, je l’invite à se rappeler que ce monde où se meut localement notre corps, a comme quatre parties principales dont il est fait souvent mention dans l’Écriture et qui sont l’orient et l’occident ; le nord et le midi. Et parce que les péchés se commettent ou dans l’âme, comme les péchés qui ne sortent pas de la volonté, ou dans le corps, comme les fautes extérieures, le prophète Amos exprime fréquemment en ces termes les menaces de Dieu : « Après trois et quatre crimes je ne me détournerai point[7] », c’est-à-dire je ne dissimulerai pas. Les trois crimes sont ceux de l’âme ; les quatre, ceux du corps, et l’homme est composé d’un corps et d’une âme.
35. Ainsi donc onze fois sept, ou, comme nous venons de l’expliquer, la, transgression de la justice faite en vue du pécheur, donnent soixante-dix-sept, et ce chiffre comprend toutes les fautes qu’efface le baptême. C’est pour ce motif que saint Luc s’élève jusqu’à Dieu en passant par les soixante-dix-sept générations ; il nous apprend ainsi que l’homme se réconcilie avec Dieu par l’expiation de ses péchés. C’est pour ce, motif aussi que Pierre demandant au Seigneur combien de fois il devait pardonner à son frère, le Seigneur lui répondit : « Non pas sept fois, mais jusqu’à soixante-dix-sept fois[8]. » Des esprits plus appliqués et plus, dignes sauront peut-être puiser autre chose dans ces profonds trésors des mystères divins. Pour nous, voilà ce qu’avec l’aide et le secours du Seigneur nous ont permis de dire notre faible intelligence et la brièveté du temps. Ceux de vous qui demandent

  1. Rom. 4, 25
  2. Jn. 1, 14
  3. Mt. 3, 16-17
  4. 1 Tim. 6, 10
  5. Philip. 2, 21
  6. 1 Cor. 13, 5
  7. Amo. 1, 11
  8. Mt. 18, 22