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ils s’efforcent souvent de le regarder en élevant la tête vers lui. Ils ne sont donc, eux aussi, suivant le mot du Prophète, ils ne sont que chair, « qu’un vent qui passe et qui ne revient point[1]. » Toutefois, comme nous l’avons dit, leur persévérance dans la foi et dans l’unité de l’Église ne permet pas de les comparer à l’ivraie, qui a une racine différente de celle du froment ; ni à la barbe de l’épi, qui ose élever au-dessus du froment sa pointe hérissée et sa fragile enveloppe ; mais à la paille, qui, malgré son union avec le froment, sera au dernier jour vannée et séparée du bon grain.
4. Les bons catholiques sont ceux qui ont une foi intègre et de bonnes mœurs. En ce qui concerne la foi, s’ils veulent approfondir ses enseignements, ils font en sorte que la discussion ne soit dangereuse ni à celui qui questionne, ni à celui avec qui ils discutent, ni aux témoins de leur discussion. En enseignant, si le devoir d’enseigner leur incombe, ils s’attachent de préférence aux choses communes et certaines, et les font pénétrer dans les âmes avec une sécurité, une douceur et une confiance parfaites ; quant aux choses peu communes, lors même qu’elles brilleraient à leurs yeux de tout d’éclat de la vérité, au lieu de les enseigner ou de les affirmer positivement, ils les laissent plutôt à l’état de question, par respect pour la faiblesse de leur auditeur. Car si une vérité est d’un poids trop lourd pour les forces de celui qu’on enseigne, il faut attendre qu’il ait acquis des forces et ne pas imposer à un enfant un fardeau qui l’écrase. De là cette parole du Seigneur : « Mais lorsque le Fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouve de la foi sur la terre[2] ? » Parfois même il faut laisser la vérité dans le secret ; mais toutefois il faut en même temps laisser entrevoir l’espérance, afin que le désespoir ne glace pas les tueurs, mais qu’ils soient préparés par leurs désirs à mieux recevoir cette vérité. De là cette autre parole du Seigneur : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ; mais vous ne pouvez pas les porter présentement[3]. » En ce qui concerne les mœurs, voici, en quelques mots, une règle excellente : il faut combattre l’amour des biens temporels, afin de n’être pas vaincu par lui ; ou il faut déjà l’avoir dompté et soumis, afin que, quand il essaiera de se relever, on n’ait pas de peine à le réprimer ; ou enfin, il doit être tellement anéanti, qu’il ne puisse plus en aucune manière donner signe de vie. C’est ce qui inspire le courage d’aller au-devant de la mort avec résolution, avec tranquillité d’âme, et même avec joie. Ce sont les trois genres de fruits produits par la terre fertile : les uns donnent trente, les autres soixante, d’autres cent pour un[4]. Si l’on veut sortir de cette vie dans de bonnes dispositions, il faut appartenir à l’une de ces trois catégories.
5. Or, il faut tolérer, jusqu’à la moisson, non pas seulement l’ivraie, que le démon a semée avec les erreurs et les fausses doctrines, quand il a semé les hérésies sous le couvert du christianisme, en se dissimulant et se cachant lui-même le plus possible, car c’est ce que signifie : « Et il s’en alla ; » mais il faut encore tolérer la paille jusqu’à ce qu’elle sera vannée. Rien ne fait mieux connaître le poids du froment que les secousses données à la paille : celui qui ne pourra pas y opposer de résistance en défendant la vérité, sortira par là même de l’unité. Cependant, sous le nom d’ivraie, le Seigneur entend, comme il le dit en finissant l’explication de cette parabole, non pas quelques scandales, mais tous les scandales et ceux qui commettent l’iniquité.
XII. Suite du même sujet[5]. —
1. « L’herbe ayant donc poussé, et étant montée en épis, l’ivraie parut aussi. » Lorsque l’homme devient spirituel et juge de tout[6], alors on commence à bien distinguer les erreurs. Les serviteurs dirent au maître : « Voulez-vous que nous allions arracher l’ivraie ? » Sont-ce ces mêmes serviteurs qui sont appelés moissonneurs un peu plus loin ? Comme Notre-Seigneur désigné ses anges sous le nom de moissonneurs dans l’explication de la parabole, mais que personne n’oserait dire que les anges ont ignoré qui avait semé l’ivraie, et qu’ils ne l’ont vue que quand l’herbe eût poussé, n’est-il pas préférable d’admettre que les serviteurs signifient les hommes fidèles, figurés d’ailleurs par la bonne semence ? Il n’y a rien d’étonnant que ces hommes soient appelés à la fois la bonne semence et les serviteurs du père de famille, de même que le Sauveur s’appelle lui-même et la porte du bercail et le pasteur du troupeau[7]. Une chose reçoit en effet de diverses significations des applications différentes. Ce qui fortifie cette hypothèse, c’est qu’en s’adressant aux serviteurs il ne dit pas : « Au temps de la moisson » je vous dirai; mais : « je dirai aux

  1. Ps. 82, 39
  2. Lc. 18, 8
  3. Jn. 16, 12
  4. Mt. 13, 8-23
  5. Id. 26-30
  6. 1 Cor. 2, 15
  7. Jn. 10, 7-11